Le prix Alfred Nobel de la Banque de Suède a été remis à Thomas Sargent et Christopher Sims pour leurs travaux sur la causalité en macroéconomie.
Sargent est connu pour ses travaux sur la politique monétaire qu'il a menés avec Neil Wallace dans les années 1970 et 1980. Les deux auteurs montrent l'importance d'une politique budgétaire soutenable comme préalable à la mise en place d'une politique monétaire crédible. En effet, la lutte contre l'inflation peut entraîner une contraction de la croissance économique et donc mener à une hausse des déficits publics pour soutenir l'activité et in fine un accroissement de l'endettement public. Face à l'augmentation de l'endettement, la Banque centrale va alors "monétiser" les dettes publiques, c'est-à-dire financer directement l'endettement public, au prix d'un regain d'inflation. C'est la "déplaisante arithmétique monétariste": la lutte contre l'inflation entraîne une augmentation de la dette publique si la politique budgétaire n'est pas saine et finalement à un regain d'inflation pour diminuer la dette en volume. Toute politique de lutte contre l'inflation n'est alors crédible que si la politique budgétaire est soutenable à long terme et que les banquiers centraux ont les mains liées, c'est-à-dire qu'ils s'imposent de résister aux sirènes du financement direct de la dette publique. L'analyse de Sargent et Wallace est donc définitive pour comprendre la gouvernance des banques centrales des pays industrialisés et les règlessur les déficits publics imposées par les traités, notamment les traités européens.
Sargent est également un de ceux qui a développé les anticipations rationnelles avec Robert Lucas, lauréat du Nobel d'économie en 1995, selon lesquelles les agents économiques utilisent l'information à leur disposition pour prendre en compte des décisions rationnelles. La modélisation de telles anticipations avait été utilisée pour évaluer la politique économique de la Fed sur le long terme.
De son côté Sims est connu pour avoir développé les modèles empiriques de type VAR qui sont des modèles auto-régressifs utilisés frequemment en macroéconomie ou dans l'analyse de séries temporelles. Ces modèles permettent de modéliser les liens dynamiques qui existent entre plusieurs variables du modèle. Il s'agit essentiellement de capturer les interdépendances qui existent entre les valeurs passée et présente d'une même variable et les interactions qui existent entre ces mêmes valeurs et les autres variables du modèle. On purge ainsi les effets purement conjoncturels et les tendances incertaines pour avoir une approximation du lien causal qui existe entre les variables du modèle.
Le prix Nobel a encore une fois cette année suivi l'actualité de la crise économique pour récompenser des économistes qui ont travaillé sur des modèles macroéconomiques faisant le lien entre politique monétaire et politique budgétaire. Comme les éconoclastes, je regrette que Robert Barro et Alberto Alesina dont l'apport pour la compréhension de la croissance (mais également pour les anticipations rationnelles et le lien entre politique monétaire et chômage pour Barro) ne soient toujours pas récompensés. Leur tour viendra peut-être au moment de la reprise mondiale. Le problème est que la macroéconomie dure à la Barro a déjà eu son lot de Nobel: de Sargent à Kydland et Prescott en passant par Lucas.
Pour beaucoup d'économistes, William Nordhaus est également un candidat qui devrait être nobélisé dans les prochaines années. Son manuel d'économie écrit avec Paul Samuelson est une référence et ses multiples articles sur le changement climatique et son impact sur la croissance économique de long-terme sont parmi les plus diffusés. Il a également été un des premiers économistes à pointer l'insuffisance du PIB comme indicateur du bien-être. Nul ne doute que l'urgence climatique remettra sur le devant de la scène la nécessité d'une croissance durable, ce qui pourrait assurer un Nobel à ce francophile qui a fait une partie de ses études à Sciences Po.
Dans un autre genre, Robert Shiller et Douglas Diamond méritent un Nobel pour leur compréhension du fonctionnement des marchés financiers: Shiller, via une explication psychologique des anticipations sur les marchés financiers; Diamond par la modélisation des crises de liquidité. Robert Shiller devrait être à coup sûr un des prochains Nobel.
Alvin Roth, un économiste que j'ai déjà mis à l'honneur, pourrait également recevoir le Nobel pour ses travaux sur le design et le fonctionnement des marchés. La John Bates Clark Medal attribuée plus tôt cette année à Jonathan Levin pour sa compréhension des marchés et des enchères a mis Roth au top des nobélisables: une prédiction qui n'aura pas eu lieu.
Du côté français, on attend avec impatience la réception du prix par Jean Tirole pour ses travaux sur l'organisation industrielle, les contrats et plus généralement l'asymétrie d'information, les incitations mais également la formation des bulles financières et l'économie du changement climatique. Emmanuel Saez, pour ses travaux sur les systèmes de taxation et les inégalités, et Esther Duflo, pour ses travaux sur les politiques de développement et son apport à la science économique par l'expansion des expériences naturelles, feront également d'ici une quinzaine d'années de bons nobélisables.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire