Pour fêter la nouvelle année, j'ai pensé qu'il serait plaisant de réfléchir à nouveau à la question de la dette sur laquelle nous avions déjà publié un précédent commentaire. Dans l'édition du 4 janvier 2012 du journal des Echos en effet, Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique et ancien membre de la commission Attali, propose d'opposer un "mur d'actifs" au mur d'endettement pour garantir le remboursement de la dette française qui, rappelons-le, atteint aujourd'hui environ 1 600 milliards d'euros soit 84 % du PIB français.
Soucieux de ne pas faire porter le poids de la dette sur les générations futures, l'éminent économiste propose de taxer à 15 %, de façon exceptionnelle, l'ensemble des actifs nationaux (immobiliers, fonciers, financiers), estimés à 12 500 milliards d'euros, afin d'alimenter un fonds d'Etat chargé de garantir la dette et de la rembourser progressivement. Il précise que cette taxe pourait être aussi bien payée en cash qu'en titres de propriété, permettant ainsi aux "pauvres"détenteurs d'actifs (les propriétaires d'un bien immobilier qui ne possèdent pas de liquidités comme les fameux "retraités de l'île de Ré") de payer la nouvelle taxe sans avoir à céder leurs biens.
Si l'idée de M. Delpla apparaît cohérente, il semble que la taxation proposée par l'économiste ne soit pas souhaitable. Porquoi? Parce qu'elle n'est pas juste et qu'elle ne remet pas en question l'analyse traditionnelle de la dette.
Pourquoi faudrait-il rassurer les prêteurs?
Tout d'abord, pourquoi faudrait-il créer un fonds de garantie de la dette française financé par une taxation à 15 % des actifs français alors que ceux-ci sont déjà valorisés à 12 500 milliards d'euros? La constitution d'un tel fonds servirait en fait uniquement à rassurer les investisseurs en leur rappelant -une nouvelle fois?- que derrière le passif français existe bien un actif dont le montant reste, aujourd'hui encore, bien supérieur à la dette française. A quoi bon mobiliser dans une structure spécifique ces 1 600 à 1 800 millliards d'euros? Les prêteurs de la France sont-ils aveugles au point que l'on doive leur mettre sous les yeux, dans une structure particulière, une partie des actifs français et ce uniquement pour leur redonner confiance et les tranquiliser? Il serait temps que les prêteurs apprennent la notion d'actifs et comprennent que l'endettement de la France a servi à investir et à enrichir le patrimoine national.
Une proposition qui ne modifie pas l'analyse traditionelle de la dette
La limite de la solution proposée par M. Delpla réside essentiellement dans son absence de remise en cause de l'analyse traditionnelle de la dette: celle-ci reste toujours comparée au PIB c'est-à-dire à un flux annuel (1 800 milliards d'euros en 2010), alors que la dette constitue un stock (1 600 milliards d'euros). Il serait plus logique de comparer deux stocks entre eux, donc la dette totale à la somme des actifs français, ou encore des flux entre eux c'est-à-dire la charge annuelle de la dette rapporté et le PIB. Dans cette logique, le ratio d'endettement (dette/actifs) atteint 13 % environ, ce qui apparaît tout de suite beaucoup moins préoccupant que les 85 % de taux d'endettement dont la presse se fait sans cesse l'écho.
Quand bien même continuerait-on à comparer le stock de dette à un flux de revenu, rappelons que les Etats restent bien moins endettés que les particuliers, alors qu'on ne cesse de répéter qu'il conviendrait de gérer les finances de l'Etat "en bon père de famille". Or un particiculier qui achète un bien immobilier -sa résidence principale par exemple- s'endette à hauteur de six, dix voire quinze fois son revenu annuel (ratio d'endettement de 500 à 1 400 %) si l'on compare le montant de l'emprunt (la dette) au revenu annuel (le salaire). En comparaision, la dette de la France ne repésente même pas deux fois son revenu annnuel! Pas de quoi s'inquiéter donc.
Une proposition qui ne règle en rien l'injustice fiscale
Une critique supplémentaire à la proposition de l'économiste reste son injustice. En taxant à 15 % tous les actifs, le principe de progressivité de l'impôt est nié et le simple détenteur d'une résidence principale paie le même taux d'imposition qu'un multimillonnaire: n'est-ce pas remettre en cause l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, laquelle a valeur constitutionnelle, qui dispose que la contribution des citoyens doit être "également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés". Il ne s'agit pas seulement de réduire la dette mais encore de savoir qui va la payer et selon quelles régles.
La proposition de M. Delpla fait fi d'une plus grande justice fiscale alors que c'est cette injustice qui explique en grande partie l'actuelle dette française: les plus riches ne paient pas les impôts nécessaires au bon fonctionnement de l'Etat. Une révolution fiscale apparaît aujourd'hui tout à fait indispensable et les élections prévues en 2012 seront, espérons-le, l'occasion d'un débat de fonds sur le thème de la justice fiscale. Cela ne dispense évidemment pas de maîtriser les dépenses publiques, mais il faut admettre que la France préfère, depuis 35 ans, financer ses dépenses par l'emprunt davantage que par l'impôt.
La croissance: une solution efficace contre la crise
Pour conclure, il convient également de contester l'idée que la dette ne doit pas être remboursée par les générations futures. En effet, grâce à la croissance économique, les générations futures seront beaucoup plus riches que les générations actuelles et passées et seront donc beaucoup plus à même de rembourser les dettes que nous ne le pouvons. Ils bénéficieront d'un stock d'actifs plus important, ce qui réduit d'autant le niveau réel de l'endettement.
Pourquoi donc taire le fait que la croissance reste le plus sûr moyen de rédure le déficit et l'endettement? C'est pourtant le chemin inverse que prennent la France et ses partenaires européens, tous engagés dans des politiques d'austérité qui rendront encore plus long et difficile le désendettement de l'Etat.
Meilleurs voeux pour cette année 2012!
aleks.stakhanov@gmail.com
4 commentaires:
Meilleurs voeux également.
Plusieurs points qui me viennent à l'esprit :
- la valeur "comptable" d'une garantie n'apporte pas grand chose en elle-même. Les investisseurs sont, en la matière, bien moins myopes que vous ne semblez le croire : c'est la valeur, disons, "économique" d'une garantie, c'est à dire sa capacité éventuelle de transformation en liquidité, qui importe. Si l'on rapporte cela à un exemple basique, comme du crédit-bail mobilier, une banque ne financera pas à une entreprise un équipement dont cette entreprise serait la seule à avoir l'usage, comme une machine-outil extrêmement spécifique destinée à la production d'un bien que l'entreprise serait la seule à produire : en cas de défaut de paiement et de saisie, elle se retrouverait avec un équipement à la valeur nulle puisqu'invendable. Pour ma part, je considère ce "mur d'actif" comme très nébuleux. Il ne correspond même pas à la définition même de ce qu'est une garantie (l'Etat ne peut à ma connaissance pas, dans l'état actuel du droit constitutionnel, confisquer des biens privés lorsque cela le chante, pour les reverser à ses créanciers s'il est amené à faire défaut sur sa dette) ; quand bien même il le pourrait, l'aspect pratique de la saisie, gestion, revente... de milliards d'euros d'actifs divers est un cauchemar administratif autant qu'économique (la saturation du marché immobilier entraînerait, par exemple, inexorablement celui-ci vers la baisse).
- Même en s'élevant légèrement au-dessus des pâquerettes, c'est à dire en considérant non pas la liquidité intrinsèque des actifs, mais la capacité de l'Etat à les faire générer de la liquidité si besoin (c'est à dire, puisqu'on parle de l'Etat, d'en faire une source d'impôts), il me semble totalement illusoire et (vous l'avez dit) injuste de prétendre taxer à 15% des actifs tellement divers qu'il serait impossible de déterminer l'assiette ; sans compter les mêmes écueils administratifs et économiques que dans la situation précédente, puisque M. Delpla envisage d'autoriser le "paiement en nature".
- Ce sont là certaines des raisons qui font que lorsqu'on évalue la dette d'un Etat, on le fait non au regard de son "bilan" (si tant est qu'on puisse faire une évaluation de celui-ci), mais au regard de son PIB, qui est lui une réelle "garantie" puisqu'il constitue, à la louche, l'assiette globale de l'impôt perçu (TVA, IR, IS, CSG).
- Enfin, il est à mon sens contre-productif, au stade où nous en sommes, de prétendre résorber la dette en creusant le déficit en anticipation de recettes futures, liées à la croissance. Cela n'aurait un sens que s'il était avéré qu'un euro de dépense publique génère, à moyen terme (l'urgence nous interdit le long terme en la matière), N euros de PIB, et que le produit de la taxation de ces N euros est supérieur à 1. Les investissements dans l'éducation, les infrastructures... correspondent vraisemblablement à ce cas de figure à long terme, et seulement dans la mesure où la situation initiale est suffisamment dégradée ou fruste pour que le gain marginal soit élevé : c'est typiquement le cas d'un pays en développement, et non d'un pays bien équipé et à la population éduquée comme la France. Pour le reste, et notamment les dépenses sociales, la rentabilité d'un euro public emprunté et dépensé est complexe à évaluer, dans la mesure où le bien être matériel (relatif) d'une population est une externalité difficile à valoriser. Mais quand bien même, dans l'hypothèse la plus favorable, il se transformerait aussitôt en un euro consommé, le retour sur investissement fiscal à moyen terme ne me semble pas avéré.
Qu'est ce qui justifie que la croissance sera toujours là ? Il me semble que cela serait à étayer.
Et si tel était le cas, que faire d'une croissance "illimitée" dans un monde fini ?
Merci mais il n'y a justement plus de croissance mon ami, vous êtes finalement sur la même ligne que Delpla...
Il n'existe ni justice sociale, ni justice fiscale. La raison que nul individu ne peut etre accusé d'avoir commis une action injuste au nom de cette prétendue "justice sociale" ou "justice fiscale".
La Justice fiscale est un concept impensable, indéfinissable. C'est, de fait, l"arbitraire d'un Etat omnipotent qui agit au profit de certains lobbys au mépris de toute idée cohérente de Justice.
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