En cette période estivale, quoi de mieux qu'une petite séance de cinéma
pour se détendre, s'informer et peut-être s'instruire? Deux films ont retenu
mon attention pour la vision de l'économie et de la politique qu'ils proposent:
Margin Call de J. C. Chandor, sorti en mai dernier, et The DarkKnight Rises de Christopher Nolan.
Le premier décrit de façon réaliste les errements d'un système financier de
plus en plus complexe, devenu incontrôlable et responsable de l'actuelle crise
économique. Dans cette fiction si proche de la réalité (toute ressemblance avec
la faillite de Lehman Brothers serait bien entendu fortuite), le spectateur assiste aux réactions
désespérées des dirigeants d'une grande banque qui réalisent que leurs actifs
ne valent plus rien et que le modèle mathématique sur lequel ils fondaient leur
stratégie d'investissement est erroné, si bien que leur banque se trouve en
situation de faillite virtuelle. Pour l'éviter, décision est prise de vendre à
perte tous les actifs toxiques de la banque, quitte à ruiner sa réputation sur
les marchés, afin d'assurer sa survie à court terme en étant les premiers à
agir. En fait, cette stratégie, fondée sur son seul intérêt égoïste, va
provoquer la crise financière systémique en diffusant les risques à l'ensemble
des acteurs financiers et un effondrement de la confiance entre acteurs du
système financier. Dans la réalité, un tel comportement a conduit à une
paralysie du système financier, puis à des faillites en cascade et finalement à
la crise de l'économie réelle, faute de crédits octroyés aux entreprises et de
débouchés aux biens et services produits, en raison de la diminution de la
consommation.
Le réalisateur insiste particulièrement sur le cynisme, l'inconscience et
la cupidité des dirigeants des banques, lesquels apparaissent comme les
principaux responsables de la crise alors que les traders sont présentés comme
de simples exécutants: leur unique obsession, même en plein cœur de la
tourmente, reste de sauver leurs propres positions et leurs petits profits,
sans s'interroger sur la moralité de leurs pratiques et sur la finalité du
système financier globalisé. Le cinéaste s'amuse en plus à ridiculiser ces
hauts dirigeants, incapables de comprendre la complexité des innovations
financières qu'ils ont fabriquées et promues auprès des autorités publiques, ce
qui est pour le moins inquiétant.
Un tel film plaide donc pour une régulation stricte du secteur financier et
surtout pour sa moralisation: la recherche du profit doit-elle demeurer
l'unique objectif de grandes banques alors que, vu leurs tailles, leur moindre
décision peut avoir des conséquences économiques systémiques? Puisque la
faillite de tels établissements peut produire des conséquences néfastes pour
l'ensemble de la collectivité, les autorités publiques sont fondées à leur imposer de strictes obligations dans le
but d'assurer la stabilité financière -et ainsi la croissance économique. Il
pourrait s'agir d'interdire certains produits financiers trop risqués, de
séparer leurs activités de crédits et d'investissement ou encore d'obliger les
banques à octroyer des crédits aux entreprises, quand bien même elles
estimeraient que cette activité n'est pas assez rentable.
Si Margin Call convainc par son réalisme et sa dénonciation des
excès de la finance contemporaine, le dernier volet de la trilogie Batman de
Christopher Nolan, The Dark Night Rises, laisse perplexe quant au
message économique et surtout politique qu'il délivre. Certes les valeurs
humanistes de dévouement, de solidarité, de dépassement de soi, de justice et
de morale, mis en avant par un héros tourmenté, vieillissant et dépressif,
rendent le film sympathique. Ce n'est pas le cas des conceptions économique et
politique qui transparaissent.
Héros philanthrope, Bruce Wayne vient en aide aux orphelins à travers sa
fondation. Action désintéressée par excellence, l'argent alloué à l'orphelinat
provient pourtant de profits et de bénéfices dont rien n'assure que leur
réalisation respecte les normes sociales élémentaires. En aidant des exclus
qu'il contribue à fabriquer par son souci du profit, le héros-entrepreneur
cherche en réalité à se donner bonne conscience à peu de frais. Surtout, un tel
philanthropisme se fonde exclusivement sur la charité, c'est-à-dire le bon
vouloir de riches privilégiés, et en aucun cas sur la justice -avec la
redistribution des revenus qu'elle implique- et sur l'égalité, valeur qui
suppose des limites dans les écarts de richesse entre individus.
C'est surtout la vision politique de la révolution proposée dans le film
qui choque particulièrement. Pour les scénaristes, la révolte d'un peuple
contre ses élites ne peut conduire qu'à l'anarchie, au chaos, à l'insécurité et
à l'arbitraire. Le mot d'ordre des révoltés a beau être l'égalité réelle, sa
mise en œuvre implique, pour le cinéaste,
le pillage intégral de la ville, son contrôle par des bandes armées
violentes et la condamnation expéditive des honnêtes citoyens tandis que les
détenus de droit commun ne sont plus inquiétés.
Le dernier volet de la trilogie, pas désagréable à regarder au demeurant,
propose donc une vision conservatrice voire réactionnaire de la révolution: à
croire le réalisateur, mieux vaudrait compter sur une élite éclairée,
philanthrope et altruiste, qui fera grâce aux plus humbles de sa charité, que
sur le peuple, brutal, inculte et par essence criminel, et dont la volonté
émancipatrice cache en fait une pulsion autodestructrice qui ne conduit qu'au
chaos, à l'injustice et à l'insécurité ...A part ça, Batman va-t-il s'en
sortir?
aleks.stakhanov@gmail.com
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