Le 29 décembre 2012,
le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision sur le projet de loi de financespour 2013 (PLF 2013). Définitivement adopté par l'Assemblée nationale en
dernière lecture le 20 décembre dernier, la rapidité de la décision du
Conseil Constitutionnel doit être saluée étant donné la complexité d'un texte
de 65 articles et de plus de 200 pages. Il faut donc bien admettre que les
"sages" de la rue de Montpensier conservent encore toutes leurs
facultés mentales, tant les anciens présidents de la République, membres de
droit et dont l'âge avancé pouvait laisser craindre le pire, que son Président,
dont les mauvais esprits ont toujours douté du fait qu'il dispose de la moindre
faculté intellectuelle.
C'est cependant
moins la composition du Conseil Constitutionnel, toujours aussi contestable,
que la portée et les motivations de sa décision 2012-662 DC relative à la loi
de finances pour l'année 2013 (PLF 2013) qui suscitent notre interrogation. Si
le Conseil Constitutionnel a jugé le PLF 2013 globalement conforme à la
Constitution en acceptant une augmentation de la fiscalité estimée à
30 milliards d'euros, la soumission des revenus du capital et des dividendes
au barème de l'impôt sur le revenu, alors même que le taux de prélèvements
sociaux des premiers sont plus élevés que ceux des revenus d'activité, et le
retour de l'impôt sur la fortune à un taux marginal de 1,5 %, l'annulation
de certains articles du PLF 2013 laisse perplexe.
De jurisprudence
constante, le Conseil Constitutionnel veille à ce que les impôts votés par le
Parlement ne présentent ni une "charge excessive" ni un
"caractère confiscatoire" pour les contribuables. Ces notions sont
tellement vagues qu'elles peuvent être utilisées en toutes circonstances et
remettre en cause chaque projet de loi de finances et ainsi tous les objectifs
budgétaires, fiscaux et économiques du
Gouvernement. Pourtant, c'est bien ce dernier qui détient, avec le Parlement,
la légitimité démocratique face à une institution dont le mode de nomination ne
garantit malheureusement pas l'impartialité.
Ainsi, en censurant
plusieurs dispositions du PLF 2013, il semble que le Conseil Constitutionnel a abusé de son
pouvoir en ne se contentant pas de
contrôler la conformité de la loi à la Constitution. Tout d'abord, si le
Conseil Constitutionnel valide l'augmentation du taux marginal d'imposition à 45%
pour les revenus supérieurs à 150 000 €, il s'inquiète étrangement de son
impact sur les "retraites-chapeau", dont le taux d'imposition
pourrait atteindre 75 % (article 3 du PLF 2013). Jugeant ce montant excessif
pour les riches retraités, le Conseil Constitutionnel, en annulant la disposition,
limite l'imposition de ces retraites à ... 68 %. On a du mal à comprendre
pourquoi un taux de 75 % serait jugé excessif par nos vieux sages alors qu'un
taux de 68 % ne le serait pas. Ce faisant, le Conseil Constitutionnel prive le
Gouvernement et le Parlement de leur faculté de déterminer souverainement les
taux d'imposition qu'ils souhaitent appliquer à certains types de revenus.
De la même façon, la
volonté du Gouvernement de soumettre les gains tirés des stocks-options à
l'impôt sur le revenu a été limitée par le Conseil Constitutionnel parce
qu'elle pouvait conduire à une charge excessive pour certains contribuables
dont l'imposition pouvait atteindre 77 %. Le Conseil a donc censuré les
nouveaux niveaux d'imposition pour les ramener à leur niveau initial soit 64,5
% (article 11 du PLF 2013). Encore une fois, on peut s'interroger sur cette
censure du Conseil Constitutionnel puisque le taux de 64,5 % peut aussi
paraître excessif. Pourquoi donc le Conseil Constitutionnel n'est-il pas allé
encore plus loin en limitant par exemple le niveau d'imposition à 40% ou
50%? C'est l'extrême subjectivité du Conseil Constitutionnel qui est ici
contestable: il outrepasse ses fonctions en déterminant arbitrairement des
seuils au-delà desquels les charges fiscales sont considérées comme excessives
ou confiscatoires alors que la Constitution n'en prévoit aucun.
Encore plus
emblématique est la censure de l'article 12 du PLF 2013. Celui-ci devait introduire une taxation
exceptionnelle des revenus de 75 % au-delà d'un million d'euros de gains en 2013 et en 2014. Rappelons que
seule la part du revenu au-delà du million d'euro devait être taxée à 75 %, si
bien que le taux moyen d'imposition aurait été en réalité bien plus faible.
En fait d'un taux
marginal d'imposition sur le revenu de 75 % comme dénoncé par ses opposants, le
PLF 2013 prévoyait en fait une taxe additionnelle de 18 % sur les revenus
d'activité. Le taux de 75% n'était atteint qu'en prenant en compte le
nouveau taux marginal maximum d'imposition (45%), la contribution
exceptionnelle sur les hauts revenus (4 % pour les revenus supérieurs à
500000 euros) et les contributions sociales (8 % pour la CSG et la CRDS).
En fait, le taux marginal de l'impôt sur le revenu au-delà du million d'euros
n'aurait pas dépassé les 67 % si l'on exclut les contributions sociales,
lesquelles ne sont habituellement pas prises en compte dans le calcul de
l'impôt sur le revenu.
Pour cette
disposition, le Conseil Constitutionnel n'a pas fondé sa décision sur la charge
excessive qu'une telle taxation pouvait représenter pour le contribuable (il
serait étonnant de le voir considérer que des contribuables gagnant plus d'un
million d'euros par an ne possèdent pas une capacité contributive suffisante).
Il a justifié sa censure sur la rupture d'égalité entre foyers fiscaux parce
que la "taxation à 75 %" était individualisée: elle prenait en compte
le revenu d'un seul individu et non celui de l'ensemble du foyer fiscal.
Pourtant, la "conjugalisation"
et la "familiarisation" de l'impôt (addition de l'ensemble des
revenus d'un foyer fiscal divisés ensuite par le nombre de parts fiscales) ne
constituent pas une exigence constitutionnelle, même si l'impôt sur le revenu
est bel et bien conjugalisé et familiarisé aujourd'hui. Rien n'empêche de modifier
ce principe et l'utilisation de quotients (familial et conjugal) pour calculer
l'impôt sur le revenu, notamment le quotient conjugal, est critiquable. Certes,
ils permettent de prendre en compte la capacité contributive réelle des foyers
fiscaux et sont donc conformes à l'article 13 de la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen (la contribution de chacun doit dépendre de ses
facultés); mais ils sont aussi à la source de stratégies d'optimisation fiscale
qui ne sont pas acceptables.
La récente décision
du Conseil Constitutionnel a donc ceci de choquant qu'elle annule des
dispositions de la loi de finances pour 2013 en se fondant uniquement sur des
appréciations subjectives que le Conseil utilise quand bon lui semble, et non
sur des principes constitutionnels solides. Il est vrai que le Conseil
Constitutionnel n'a eu - officiellement - que 9 jours pour étudier le PLF 2013:
il s'est donc sûrement précipité pour trouver des arguments capables de
censurer certaines dispositions du PLF 2013. Le problème est que le Conseil
Constitutionnel ne convainc pas lorsqu'il se réfère aux notions de
"charges excessives" pour le contribuable et de "caractère
confiscatoire" de l'imposition. Ces notions jurisprudentielles demeurent
trop vagues et subjectives et autorisent ainsi le Conseil Constitutionnel à
annuler toute disposition inscrite dans une loi de finances au gré de son
humeur du jour ou de son orientation politique.
aleks.stakhanov@gmail.com
4 commentaires:
@stakhanov
Vous montrez bien l'arbitraire de la décision du Conseil Constitutionnel. Il est ainsi une autre chambre politique. Elle décide politiquement des questions qui lui sont posées. Chaque chambre politique prend arbitrairement ses décisions.
Ce qui me saute aux yeux dans votre exposé, est que le Conseil Constitutionnel omet un argument qui me semble majeur. Quel est le rôle de l'Etat? quel montant est nécessaire pour assurer ce rôle? Et pourquoi son action n'est jamais évaluée financièrement par un montant?
Seule une telle évaluation numérique de l'action de l'Etat pourrait répondre à votre question du pourcentage qui serait acceptable ou qui serait excessif.
En gros, quand le Conseil Constitutionnel censure une mesure socialiste, il devient automatiquement une officine politique. Il est beau le respect des institutions.
En Protegeant le citoyen francais contre les derives d'un gouvernement en pleine hysterie fiscale, le Conseil a fait son travail.
Après le travail d'analyse que j'ai tenté dans cet article, je trouve dommage de réduire mon texte à une simple défense de mesures socialistes: j'ai proposé une analyse juridique: est-ce que vous me le reprochez?
Quant à la composition contestable du CC, il en est question dès les premiers cours de droit constitutionnel. Comment sont nommés les juges de la Cour Constitutionnelle allemande ou ceux de la CJUE? On ne parle même pas de juges dans le cas français mais de sages -en fait de membres: cette différence me semble significative.
Les décisions du Conseil Constitutionnel s'imposent à tous et je ne permets pas de dire que je ne respecterais pas les institutions. Emettre un avis critique me semble au contraire une marque de respect pour l'institution dont je lis déjà les décisions que je tente d'interpréter. Quand vous parlez d'hystérie fiscale, vous êtes dans la pure subjectivité: j'ai au moins évité cette erreur.
Je précise qu'il y a n fait deux sujets différents. D'abord, le taux d'imposition au-delà duquel le CC juge confiscatoire un impôt et le sort réservé à la tranche d'impôt sur le revenu à 75 % (en fait une taxe additionnelle de 18 %).
Je m'étonne qu'un taux de 75 % proposé par le Gouvernement pour un autre impôt -l'imposition des retraites-chapeau- soit jugé confiscatoire par le Conseil Constitutionnel alors qu'un taux de 68 % -celui qui reste finalement en vigueur- n'est pas considéré comme tel alors qu'il pourrait déjà -vous- paraître excessif: il ne devrait pas revenir au Conseil Constitutionnel de définir si un taux d'imposition est confiscatoire ou non mais au Parlement -ou à l'assemblée constituante si l'on souhaite inscrire ce montant dans la constitution. Que penserait-on si, en droit pénal par exemple, au lieu de statuer sur les principes et de garantir les droits et les libertés,le CC censurait la durée des peines et des délits proposée par le Parlement en considérant par exemple qu'une peine de 30 ans de réclusion constitue une peine excessive compte tenu de l'espérance de vie d'un adulte...
S'agissant de la tranche d'imposition à 75 % (en fait 67 %), le CC a simplement considéré qu'elle devait s'appliquer aux foyers fiscaux et non être individualisée. Le Gouvernement n'a qu'à suivre ses recommandations et l'appliquer aux foyers fiscaux: il n'a même pas besoin pour cela d'une loi de finances et cela augmentera le nombre de contribuables redevables de cette tranche et par conséquent le niveau des recettes.
Je maintiens que dans la jurisprudence du CC, l'individualisation de l'imposition n'était pas interdite, donc le Gouvernement pouvait à juste titre penser que son dispositif était constitutionnel. Le Conseil d'Etat l'avait validé. Peut-être assiste-t-on à un revirement de jurisprudence ou à l'affirmation d'un principe constitutionnel -l'imposition par foyer fiscal et l'anticonstitutionnalité de la taxation individuelle? Le CC se fonde sur la rupture d'égalité entre foyers fiscaux pour fonder sa décision: entendu.
Je regrette surtout la faculté que s'octroie le CC à imaginer, sans texte ni contrôle ni recours, des principes suffisamment flous et imprécis pour censurer en fait ce qu'il veut.
Le Conseil constitutionnel, refuge à nantis parmi les autres !
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