Les
idées passées ne sont pas pour autant des idées dépassées. C'est ce que pensent
C. Chavagneux et I. Martinache qui publient un petit ouvrage intitulé
« Vive l'Etat!» à partir d'extraits de textes d'Adam Smith éditées par
Alternatives économiques dans la collection « les petits matins »,
dont la vocation est de rééditer des textes « classiques » de la
pensée originale.
Adam
Smith, auteur écossais du XVIIIème siècle, a sa statue non loin de celle de
David Hume dans le Old Edinburg et apparaît sur les billets de 20 livres de la
Banque d'Angleterre. Si son œuvre n'est pas particulièrement connue des barmen
et des touristes des pubs de Rose Street, elle l'est en revanche des étudiants en
économie notamment pour sa théorie de la « main invisible ».
Selon
cette dernière, c'est en recherchant leurs intérêts particuliers que les
individus contribuent à l'intérêt général. Il s'agit là de l'un des principes
fondateurs des sociétés contemporaines particulièrement marquées par
l'individualisme. Pour illustrer ce concept les enseignants d'économie
utilisent souvent cette citation tirée de l'ouvrage « Enquête sur la
nature et les causes de la richesse des nations » publié en 1776:
« It is not from the
benevolence of the butcher, the brewer, or the baker, that we expect our
dinner, but from regard to their own interest. We address ourselves, not to
their humanity but to their self-love. »
Adam
Smith est ainsi souvent présenté comme le père fondateur de l'économie
classique et de la pensée libérale en économie. Son œuvre est le plus souvent
utilisé comme argumentaire contre l'intervention de l'Etat dans l'économie. En
effet, Adam Smith explique que l'Etat est à l'origine de nombreuses distorsions
en réduisant la concurrence et la libre circulation des facteurs de production.
« But the policy of Europe, by
not leaving things at perfect liberty, occasions other inequalities of much
greater importance. It does this chiefly in the three following ways. First,
by restraining the competition in some employments to a smaller number than
would otherwise be disposed to enter into them; secondly, by increasing it in
others beyond what it naturally would be; and, thirdly, by obstructing the free
circulation of labour and stock, both from employment to employment and from
place to place. »
Ces
passages de l'œuvre de Smith sont en effet les plus connus. Cependant,
Chavagneux et Martinache nous proposent à travers des passages choisis de la
Richesse des nations de découvrir une autre facette moins connue de cet
auteur. Smith ne serait pas aussi libéral qu'on veut le faire croire.
Si
réhabiliter le rôle de l'Etat dans la pensée smithienne semble tout à fait
louable, en revanche le choix du titre de cet ouvrage « Vive
l'Etat! » galvaude très largement la pensée d'Adam Smith. En effet, Smith
accorde une place à l'Etat, mais nous sommes pour autant très loin d'un
Etat-providence ou d'un Etat soucieux
des intérêts de tous. La place qu'accorde Smith à l'Etat se retrouve
principalement dans les fonctions régaliennes (armée, police, justice). L'Etat
dit le droit, reconnaît les droits de propriété, essentiels à l'émergence d'un
marché, il surveille le respect des règles de concurrence, il protège les
propriétaires, il sécurise leurs biens et garantit ainsi les droits de
propriété. L'Etat dans la pensée d'Adam Smith reste une administration au
service des propriétaires du capital. C'est d'ailleurs parce qu'ils y ont
intérêt que Smith les appelle à payer des impôts pour financer l'éducation de
la population par exemple. Vive l'Etat smithien!
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