Le 30 janvier 2012, le Conseil européen informel qui s'est réuni à Bruxelles (rappelons que les sommets européens n'existent plus depuis 1974) a annoncé la conclusion d'un nouveau Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire. Celui-ci reprend l'accord intervenu lors du Conseil européen du 9 décembre 2011, et sera officiellement signé en mars 2012 par 26 Etats membres de l'UE sur 27 - le Royaume-Uni a refusé de participer au Traité - pour entrer en vigueur le 1er janvier 2013, lorsque 12 Etats membres de la zone euro l'auront ratifié. Les Etats non-membres de la zone euro sont parties au Traité qui reste ouvert à tout nouvel adhérent.
Disons-le franchement : ce Traité censé assurer la stabilité financière et la solidarité de l'Union Economique et Monétaire ne servira à rien dans la crise économique actuelle que traverse l'Europe, et surtout ne constitue pas un outil de relance de la construction européenne.
Le renforcement du pacte de stabilité et de croissance n'aura pas lieu
Alors que le pacte de stabilité et de croissance limitait le déficit public et la dette publique de chaque Etat de l'UE à respectivement 3 % et 60 % du PIB, le nouveau Traité insiste sur le principe d'équilibre budgétaire et dispose que le déficit "structurel" des Etats devra être inférieur à 0,5 % de leur PIB (article 3-1 a). Si les dettes sont durablement inférieures à 60 % du PIB, le déficit pourra attendre 1 % du PIB (article 3-1 d).
On peut d'ores et déjà s'interroger sur la référence au déficit structurel c'est-à-dire corrigé de la conjoncture économique. Ne risque-t-on pas de se perdre dans des débats insolubles sur la mesure de ce déficit structurel? Modifie-t-elle réellement la règle des 3 % du pacte de stabilité et de croissance? Il s'agissait d'un solde conjoncturel qui n'est pas si éloigné, en situation de crise, de la définition structurelle du déficit.
Surtout, il est prévu que les mesures économiques temporaires seront déduites de la mesure du déficit structurel (article 3-3 du pacte) et que des circonstances exceptionnelles justifieront le non-respect du Traité...Un Etat pourra donc légitimer ses déficits excessifs par les réformes qu'il prétend conduire, et l'on ne voit pas comment le Conseil ou la Commission seront capables de s'opposer aux arguments avancés par les Etats. Il suffira d'arguer de réformes d'envergure pour obtenir la non-application de la procédure de déficit excessif. Une telle possibilité existait déjà depuis la réforme du pacte de stabilité et de croissance de 2005: le Président Chirac avait en effet obtenu la prise en compte de facteurs pertinents c'est-à-dire des réformes structurelles (retraites) ou de dépenses régaliennes (défense) dans la mise en œuvre de la procédure de déficit excessif.
La délation comme instrument de contrôle des Etats?
Le Traité dispose également que la nouvelle règle d'équilibre des finances publiques devra être transposée dans le droit national dans un délai d'un an, si possible au niveau constitutionnel (article 3-2). D'un point de vue juridique, une telle exigence est inutile puisque le droit international prime le droit national, y compris constitutionnel. En France, cette exigence se traduit par la "règle d'or", adoptée en dernière lecture le 13 juillet 2011. Celle-ci ne fixait pas d'objectifs aussi précis que le nouveau Traité, si bien que cette règle d'or, que l'on jugeait inutile, semble aujourd'hui dépassée.
La Commission tout comme les Etats membres pourront en outre saisir la CJUE de la non-transposition, dans le droit interne d'un Etat, du principe de l'équilibre budgétaire. Ainsi, la délation est-elle érigée en devoir au sein de l'UE, les Etats pouvant être sanctionnés d'une pénalité de 0,1 % du PIB affectée au mécanisme européen de stabilité (MES) en cas de non-respect des jugements de la CJUE (article 8). En principe, elle s'ajoute aux astreintes et amendes de 0,5 % du PIB maximum que peut imposer le Conseil, sous contrôle de la CJUE, aux Etats ne respectant pas durablement les règles d'endettement et de déficit excessifs. On peut évidemment douter de l'efficacité de telles sanctions qui ajoutent des difficultés économiques à des pays déjà endettés (effet pro-cyclique).
L'automaticité des sanctions ne fonctionnera pas
L'innovation du Traité est de rendre la procédure pour déficit excessif automatique et non plus dépendante de poursuites engagées par le Conseil via la Commission européenne. Une fois le déficit constaté, l'Etat se verra ainsi imposer par la Commission un calendrier impératif de retour à l'équilibre. Toutefois, les Etats pourront toujours s'opposer aux recommandations de la Commission à la majorité qualifiée (article 7). Ainsi pourront-ils toujours se soustraire à leurs obligations conventionnelles comme la France et l'Allemagne avaient réussi en 2005. Le Traité n'apparaît donc pas de nature à davantage assurer le respect de l'équilibre budgétaire que le pacte de stabilité et de croissance.
Des mesures qui laissent le citoyen européen dans une situation absurde
Le citoyen européen se trouve confronté à un paradoxe: d'une part les Etats approuvent un renforcement de la discipline budgétaire malgré tous les risques que les politiques d'austérité font peser sur la croissance. D'autre part le Traité ne garantit pas plus qu'avant le respect des mesures qu'il impose. Il ne résoudra donc rien, et apparaît surtout comme un gage donné aux marchés financiers pour promouvoir une austérité durable. Pourtant, l'objectif des marchés financiers est difficile à saisir, pour ne pas dire incohérent: ils poussent à la rigueur budgétaire tout en redoutant la récession qu'elle provoquera...
En attendant la gouvernance européenne
Alors que l'avenir de la zone euro passe par davantage d'intégration économique et politique et une gouvernance renforcée de l'UE, le Traité pèche par sa timidité en la matière. Son article 11 dispose certes que les Etats devront discuter de leurs politiques économiques entre eux pour tenter de se coordonner, mais celles-ci restent définies au niveau national alors qu'il est nécessaire de mettre en œuvre de véritables politiques économiques européennes et un vrai budget fédéral, lesquels éviteraient l'actuelle concurrence économique et fiscale exacerbée entre les Etats-membres de l'UE.
Des réunions entre membres de la zone euro et adhérents au nouveau Traité auront lieu au moins deux fois par an (article 12) mais s'agissant de l'intégration économique, le Traité se limite à des formules générales de renforcement de la convergence, de la compétitivité, de l'emploi, de la stabilité financière et des finances publiques (article 9) et propose une coopération renforcée. Comme toujours, les mesures adoptées ne doivent pas compromettre le fonctionnement du marché intérieur, véritable Saint-Graal de la construction européenne (article 10).
Face aux insuffisances du pacte budgétaire européen voulu par l'Allemagne, il n'est pas absurde de proposer sa renégociation. En effet, non seulement le Traité ne changera rien puisqu'il ne suffit pas de voter un budget en équilibre pour que celui-ci soit assuré. Mais surtout, il ne propose aucune réelle avancée politique de l'Europe qui semble faire du surplace depuis le rejet du Traité établissant une Constitution pour l'Europe et ce, malgré l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (2009). Le nouveau Traité engage bien la France, laquelle doit respecter sa signature, mais il est tout à fait loisible au futur chef de l'Etat de proposer un nouveau Traité complétant le pacte budgétaire de politiques de croissance économique et d'emploi.
aleks.stakhanov@gmail.com
1 commentaire:
Merci pour cet article de fond sur le Pacte budgétaire, ils sont rares...
Je me permets d'apporter quelques remarques quant à vos écrits:
- Le Pacte ne rassemble que 25 Etats signataires, la République Tcèque ayant également refusé d'y prendre part.
- Concernant la limitation du déficit structurel à 0,5:
Un dépassement de ce plafond ne permettra pas d'engager les sanctions prévues au Pacte de stabilité et de croissance (réservées au seuil des 3%).
En revanche, les Etats auront l'obligation de prévoir un mécanisme interne de correction. Les sanctions sont donc reportées du niveau européen au niveau interne.
- Sur la possibilité de justifier son déficit par la mise en œuvre de réformes structurelles couteuses (notamment les réformes des systèmes de retraite)
C'est en effet une disposition ajoutée au réglement 1467/97 par la réforme de 2005.
Toutefois ces mesures ne permettent pas d'échapper à la procédure pour déficit excessif, mais seulement d'en moduler l'application (article 2, 6ème paragraphe).
- Sur l'automaticité des sanctions (ou réforme de la "majorité inversée")
Ce n'est pas une innovation du Pacte budgétaire. Cela a été mise en place lors de la reforme du PSC dite "Six Pack" à l'automne dernier.
Malheureusement, je ne pense pas que le Conseil prenne sur lui de s'opposer aux recommandations de la Commission. La Belgique et la Hongrie ont déjà fait les frais de cette pression accrue due à la majorité inversée.
D'ailleurs, le volet correctif du PSC indique que le Conseil est « en principe, censé suivre les recommandations et propositions de la Commission ». Dans le cas contraire, il devra s'en expliquer publiquement.
- Sur l'inefficacité du Pacte
La procédure de sanction européenne des déficits excessifs ne dépend pas du Pacte (accord intergouvernemental) mais des traités européens.
Ceux-ci ont été largement renforcés par la réforme du Six Pack.
- Sur la gouvernance économique
* le budget fédéral: c'est en effet à l'Union de mieux attribuer les fonds propres dont elle dispose.
* sur la coordination des politiques budgétaires nationales: elles sont (heureusement) encore définies au niveau national, bien que sérieusement encadrées par les "grandes orientations de l'Union".
Au delà des mesures déjà prévues par le PSC, le Six-Pack introduit un semestre européen de coordination des politiques économiques.
Les Etats devront justifier les écarts dits « considérables entre le scénario macrobudgétaire choisi et les prévisions de la Commission ».
Par ailleurs, le volet préventif est lui aussi assorti de sanctions.
De son coté, le Pacte budgétaire prévoit la mise en place de programmes de partenariat budgétaire et économique avec la Commission et le Conseil. De même, les Etats s'engagent à ce que toutes les grandes réformes de politique économique qu'ils envisagent d'entreprendre soient débattues et coordonnées entre elles.
- Sur la règle d'or telle que prévue par le gouvernement français en juillet 2011
Il ne s'agissait pas d'introduire cette règle dans la Constitution (elle y est déjà, dans une certaine mesure), mais de créer une nouvelle catégorie de loi: les lois-cadres d'équilibre des finances publiques.
Ce projet de loi n'a finalement pas été adopté car, amendée par le gouvernement, la majorité des 3/5 nécessaire au Congrès n'était pas réunie.
Sources:
- sur le "six pack": http://contrelacour.over-blog.fr/article-six-pack-une-synthese-de-la-reforme-de-la-gouvernance-economique-91241940.html
- sur le pacte budgétaire: http://contrelacour.over-blog.fr/article-sommet-europeen-du-30-janvier-tout-savoir-sur-le-pacte-budgetaire-98408589.html
- sur la règle d'or: http://contrelacour.over-blog.fr/article-qu-est-ce-que-la-regle-d-or-dont-tout-le-monde-parle-mais-que-personne-n-explique-87656514.html
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