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La mondialisation de l’inégalité

dimanche 16 septembre 2012



François Bourguignon dans La mondialisation de l’inégalité, publié cet été dans la collection La République des idées au Seuil cherche à éclairer le rapport entre mondialisation et inégalités. Cet ouvrage riche en données empiriques est à la fois prospectif et prescriptif. Il permet d’avoir un éclairage sur la dynamique des inégalités, en différenciant la tendance mondiale des évolutions nationales apportant ainsi des éléments de compréhension des politiques économiques à mener dans le contexte de la mondialisation. 

Des inégalités inégales 

En France, le niveau de vie individuel moyen annuel est d’environ 18000 euros en 2006, les 10% les plus riches y reçoivent 23% du revenu total et un peu plus de 6 fois le revenu des 10% les plus pauvres. Le coefficient de Gini est de 0,28 (ce qui signifie que l’écart de niveau de vie entre 2 personnes sélectionnées au hasard vaut donc 28% du revenu moyen). Le Brésil, pays dit « émergent » est un des pays les plus inégalitaires au monde. Le niveau de vie des 10% les plus riche est de 22000 euros quant il est seulement de 500 euros pour les 10% les plus pauvres. L’écart est de plus de 40, et le coefficient de Gini est de 0,58. En Ethiopie, les 10% les plus riches vivent avec 1000 euros par personne et par an, et les 10% les plus pauvres survivent avec environ 160 euros par an. Au niveau mondial, l’écart de niveau de vie entre les 10% les plus riches (qui vivent avec environ 27000 euros/an) et les 10% les plus pauvres (niveau de vie annuel de 300 euros/personne) est de 90. Le coefficient de Gini est de 0,66.

Les inégalités dans le monde sont donc bien au-delà des inégalités existantes au sein des communautés nationales, cependant ces deux dimensions de l’inégalités connaissent des dynamiques différentes. Depuis 1820, l’inégalité mondiale a connu une hausse considérable, c’est seulement depuis 1989 que l’on commence à observer une baisse. Ainsi cet ouvrage met en avant un paradoxe, alors qu’on observe une baisse de l’inégalité mondiale, que l’auteur qualifie de « retournement historique », on assiste dans le même temps à une augmentation des inégalités au sein des territoires nationaux. Il y a ainsi un risque d’internalisation de l’inégalité, menant au passage d’inégalités entre les nations hier, à l’inégalité au sein des nations demain (Bourguignon; Guesnerie; 1999).

Des inégalités nationales qui montent

A partir des travaux de Saez et Piketty sur les Etats-Unis et ceux de Landais sur la France, on peut en effet mettre en avant une tendance au retour des inégalités (mesurées par les écarts inter-décile et inter-centile) et notamment à un rythme de croissance de celles-ci similaire à celui de la fin du 19e siècle et ce depuis une vingtaine d’années maintenant. La hausse des inégalités s’effectue par le haut de la distribution des revenus. Les 1% les plus riches connaissent des augmentations de revenus considérables. Cette évolution se retrouve dans les ¾ des pays de l’OCDE, pays scandinaves compris (rapport de l‘OCDE, Growing unequal, 2008). C’est également le même constat qui est opéré dans la grande majorité des pays en développement. Ainsi en Inde, en Chine, les gains de la croissance ne profitent qu’à une partie privilégiée de la population. 

Éléments d’explications 

Il serait aisé de rapprocher cette montée des inégalités internes à l’une des principales évolutions qu’a connu le monde sur cette période, l’intensification du processus de mondialisation à travers l’internationalisation des échanges. Cependant, à l’instar de Paul Krugman, pour F. Bourguignon la mondialisation n’est pas coupable. En effet, celle-ci a permis pour les pays émergents de se développer grâce à une croissance forte. Les gains dans les pays développés sont moins flagrants, mais existent. En revanche, Bourguignon ne nie pas que la mondialisation entraîne des changements structurels impactant notamment la répartition des richesses au sein des nations. La mondialisation a permis en effet de faire baisser les prix d’un certains nombres de produits importés et permet également de nombreux gains de productivité grâce à la spécialisation de nos économies dans les technologies de pointe. Elle a dans le même temps, entraîné dans les pays développés une certaine désindustrialisation. De même la concurrence des pays à bas salaire limite les perspectives d’évolutions salariales dans les secteurs victimes de la compétition internationale. La mondialisation joue également un rôle dans la montée des inégalités au sein des nations voyant ainsi s’apprécier la rémunération du capital (au détriment du travail), augmentant ainsi les taux de profit. L’explosion des très hauts revenus, s’explique en partie par l’extension de la taille des marchés. Par exemple, les artistes ou les sportifs ont bénéficié de l’augmentation de leurs audiences grâce au développement des techniques de communication. De la même manière, la taille des entreprises exerçant à l’international a augmenté, voyant du même coup la rémunération des dirigeants augmenter. 

Le tournant libéral en cause 

Mais la montée des inégalités s’expliquent également par la dérégulation des marchés qui s’est opérée depuis le tournant libéral du début des années 1980 sous l’impulsion de Reagan et Thatcher. Ainsi du point de vue distributif, on observe un recul de la progressivité de l’impôt. Les revenus du capital et ceux du travail ne sont pas soumis au même régime. Le capital bénéficie, au nom de sa plus forte mobilité, d’une fiscalité plus avantageuse. Ainsi, par exemple pour la France on obtient un taux moyen d’imposition régressif (Landais, Piketty, Saez). La dérégulation financière, profitant aux détenteurs de capitaux, et celle du marché du travail, contribuant à précariser les moins qualifiés, ont également conduit à l’accroissement des inégalités nationales. C’est dans ce contexte libéral observé dans de nombreux pays de l’OCDE que les inégalités nationales se sont remises à progresser. 

Une redistribution mondialisée pour une mondialisation équitable 

La mondialisation, nous explique F. Bourguignon, a permis d’hisser des millions de personnes au dessus du seuil de pauvreté, elle permet le rattrapage des économies émergentes, et réduit ainsi l’inégalité mondiale. Au niveau national, en revanche, elle est l’une des causes, directe et indirecte, de l’augmentation des inégalités. Ce n’est finalement pas la mondialisation qui est en cause dans la dynamique des inégalités mais plutôt la domination de la « doxa libérale » sur l’économie, qui mène souvent à opposer équité et efficacité conduisant à l’immobilisme politique ou du moins au « laisser-faire ». F.Bourguignon tord le cou à cette idée. Pour lui, les politiques n’ont pas à choisir entre équité et efficacité. Tout d’abord, il apparaît que les inégalités puissent être néfastes à l’efficacité économique. En effet, l’explosion des inégalités peut être source de déséquilibres macro-économiques. L’exemple de l’apparition de la crise économique et financière né aux Etats-Unis trouve son origine pour J. Stiglitz dans l’augmentation des écarts de revenus au sein de la société américaine. Pour l’auteur, toutes les « imperfections de marché sont responsables d’inégalités, qui contribuent dans le même temps à rendre l’économie inefficace. » 

De la même manière, le mécanisme du crédit visant à prêter à ceux qui ont des garanties plutôt qu’à ceux qui n’ont rien peut mener à détourner les fonds prêtés des projets les plus productifs. L’inégalité de fortune conduisant à une inégalité d’accès au marché du crédit est source d’inefficacité économique. Le même argument peut également s’appliquer à l’éducation. Enfin, l’inégalité est néfaste à l’économie car elle entraîne l’apparition de troubles sociaux et politiques. La situation du Brésil, du Mexique ou de la Colombie illustre bien cette idée. Près de 10% de la population travaille dans le domaine de la « sécurité ». F.Bourguignon s’interroge sur l’efficacité d’une telle situation tant il semblerait plus utile que ces personnes soient employés dans des domaines où les externalités sont importantes (infrastructures, santé, éducation…). 

Ainsi des politiques doivent être mises en places pour lutter contre ces inégalités qui sont ni souhaitables moralement ni économiquement efficaces. L’enjeu est d’arriver à lutter contre les inégalités nationales sans juguler la réduction des inégalités mondiales. Une partie des inégalités nationales est la conséquence de la mondialisation. Certains sont tentés à prendre des mesures protectionnistes, le terme de « démondialisation » s’est notamment popularisée en France au cours de la compagne à l’élection présidentielle. Ce type de repli nationaliste est à éviter pour une communauté soucieuse du bien-être de la population mondiale. F. Bourguignon s’interroge donc dans les dernières pages de cet ouvrage sur la manière de rendre compatible la mondialisation et le recul des inégalités nationales. L’aide au développement est aujourd’hui le seul instrument de redistribution internationale. Les pays riches consacrent ainsi près de 0.35% de leur PIB à cette aide. Cette aide, critiquée, est utile tant elle soulage la pauvreté. Il convient cependant de s’assurer qu’elle ne soit pas détournée. Cette aide somme toute dérisoire, loin de l’objectif de 0.7% du revenu national, doit s’appuyer sur une coordination des donateurs afin d’éviter les doublons, et d’en améliorer la gouvernance. 

 L’auteur conclut son ouvrage par la phrase suivante : « Eviter la mondialisation de l’inégalité passe aujourd’hui par la mondialisation de la redistribution ». Il s’agit à travers cette idée, d’harmoniser les fiscalités nationales et de développer la fiscalité internationale afin notamment d’éviter la course au moins disant fiscal. 

2 commentaires:

armand chanel a dit…

merci de cette bonne rescension : François Bourguignon est vraiment un expert sur ce champ des inégalités mondiales, et cette petite collection est très accessible !

Kévin a dit…

Bon article Vincent, même si j'aurais aimé approfondir moi-même la question (on ne peut malheureusement pas tout faire), tu m'as permis d'avoir rapidement quelques éléments de réflexion sur le sujet.

Merci et bonne continuation !

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