François Bourguignon dans La mondialisation de l’inégalité, publié cet été dans la collection La République des idées au
Seuil cherche à éclairer le rapport entre mondialisation et inégalités. Cet
ouvrage riche en données empiriques est à la fois prospectif et prescriptif. Il
permet d’avoir un éclairage sur la dynamique des inégalités, en différenciant la
tendance mondiale des évolutions nationales apportant ainsi des éléments de
compréhension des politiques économiques à mener dans le contexte de la
mondialisation.
Des inégalités inégales
En France, le niveau de vie individuel
moyen annuel est d’environ 18000 euros en 2006, les 10% les plus riches y
reçoivent 23% du revenu total et un peu plus de 6 fois le revenu des 10% les
plus pauvres. Le coefficient de Gini est de 0,28 (ce qui signifie que l’écart de
niveau de vie entre 2 personnes sélectionnées au hasard vaut donc 28% du revenu
moyen). Le Brésil, pays dit « émergent » est un des pays les plus inégalitaires
au monde. Le niveau de vie des 10% les plus riche est de 22000 euros quant il
est seulement de 500 euros pour les 10% les plus pauvres. L’écart est de plus de
40, et le coefficient de Gini est de 0,58. En Ethiopie, les 10% les plus riches
vivent avec 1000 euros par personne et par an, et les 10% les plus pauvres
survivent avec environ 160 euros par an. Au niveau mondial, l’écart de niveau de
vie entre les 10% les plus riches (qui vivent avec environ 27000 euros/an) et
les 10% les plus pauvres (niveau de vie annuel de 300 euros/personne) est de 90.
Le coefficient de Gini est de 0,66.
Les inégalités dans le monde sont donc bien
au-delà des inégalités existantes au sein des communautés nationales, cependant
ces deux dimensions de l’inégalités connaissent des dynamiques différentes.
Depuis 1820, l’inégalité mondiale a connu une hausse considérable, c’est
seulement depuis 1989 que l’on commence à observer une baisse. Ainsi cet ouvrage
met en avant un paradoxe, alors qu’on observe une baisse de l’inégalité
mondiale, que l’auteur qualifie de « retournement historique », on assiste dans
le même temps à une augmentation des inégalités au sein des territoires
nationaux. Il y a ainsi un risque d’internalisation de l’inégalité, menant au
passage d’inégalités entre les nations hier, à l’inégalité au sein des nations
demain (Bourguignon; Guesnerie; 1999).
Des inégalités nationales qui montent
A partir des travaux de Saez et Piketty sur les Etats-Unis et ceux de Landais sur la France, on peut en effet mettre en avant une tendance au retour des
inégalités (mesurées par les écarts inter-décile et inter-centile) et notamment
à un rythme de croissance de celles-ci similaire à celui de la fin du 19e siècle
et ce depuis une vingtaine d’années maintenant. La hausse des inégalités
s’effectue par le haut de la distribution des revenus. Les 1% les plus riches
connaissent des augmentations de revenus considérables. Cette évolution se
retrouve dans les ¾ des pays de l’OCDE, pays scandinaves compris (rapport de l‘OCDE, Growing unequal, 2008). C’est également le même constat qui est opéré
dans la grande majorité des pays en développement. Ainsi en Inde, en Chine, les
gains de la croissance ne profitent qu’à une partie privilégiée de la
population.
Éléments d’explications
Il serait aisé de rapprocher cette montée
des inégalités internes à l’une des principales évolutions qu’a connu le monde
sur cette période, l’intensification du processus de mondialisation à travers
l’internationalisation des échanges. Cependant, à l’instar de Paul Krugman, pour
F. Bourguignon la mondialisation n’est pas coupable. En effet, celle-ci a permis
pour les pays émergents de se développer grâce à une croissance forte. Les gains
dans les pays développés sont moins flagrants, mais existent. En revanche,
Bourguignon ne nie pas que la mondialisation entraîne des changements
structurels impactant notamment la répartition des richesses au sein des
nations. La mondialisation a permis en effet de faire baisser les prix d’un
certains nombres de produits importés et permet également de nombreux gains de
productivité grâce à la spécialisation de nos économies dans les technologies de
pointe. Elle a dans le même temps, entraîné dans les pays développés une
certaine désindustrialisation. De même la concurrence des pays à bas salaire
limite les perspectives d’évolutions salariales dans les secteurs victimes de la
compétition internationale. La mondialisation joue également un rôle dans la
montée des inégalités au sein des nations voyant ainsi s’apprécier la
rémunération du capital (au détriment du travail), augmentant ainsi les taux de
profit. L’explosion des très hauts revenus, s’explique en partie par l’extension
de la taille des marchés. Par exemple, les artistes ou les sportifs ont
bénéficié de l’augmentation de leurs audiences grâce au développement des
techniques de communication. De la même manière, la taille des entreprises
exerçant à l’international a augmenté, voyant du même coup la rémunération des
dirigeants augmenter.
Le tournant libéral en cause
Mais la montée des inégalités
s’expliquent également par la dérégulation des marchés qui s’est opérée depuis
le tournant libéral du début des années 1980 sous l’impulsion de Reagan et
Thatcher. Ainsi du point de vue distributif, on observe un recul de la
progressivité de l’impôt. Les revenus du capital et ceux du travail ne sont pas
soumis au même régime. Le capital bénéficie, au nom de sa plus forte mobilité,
d’une fiscalité plus avantageuse. Ainsi, par exemple pour la France on obtient
un taux moyen d’imposition régressif (Landais, Piketty, Saez). La dérégulation
financière, profitant aux détenteurs de capitaux, et celle du marché du travail,
contribuant à précariser les moins qualifiés, ont également conduit à
l’accroissement des inégalités nationales. C’est dans ce contexte libéral
observé dans de nombreux pays de l’OCDE que les inégalités nationales se sont
remises à progresser.
Une redistribution mondialisée pour une mondialisation
équitable
La mondialisation, nous explique F. Bourguignon, a permis d’hisser des
millions de personnes au dessus du seuil de pauvreté, elle permet le rattrapage
des économies émergentes, et réduit ainsi l’inégalité mondiale. Au niveau
national, en revanche, elle est l’une des causes, directe et indirecte, de
l’augmentation des inégalités. Ce n’est finalement pas la mondialisation qui est
en cause dans la dynamique des inégalités mais plutôt la domination de la « doxa
libérale » sur l’économie, qui mène souvent à opposer équité et efficacité
conduisant à l’immobilisme politique ou du moins au « laisser-faire ».
F.Bourguignon tord le cou à cette idée. Pour lui, les politiques n’ont pas à
choisir entre équité et efficacité. Tout d’abord, il apparaît que les inégalités
puissent être néfastes à l’efficacité économique. En effet, l’explosion des
inégalités peut être source de déséquilibres macro-économiques. L’exemple de
l’apparition de la crise économique et financière né aux Etats-Unis trouve son
origine pour J. Stiglitz dans l’augmentation des écarts de revenus au sein de la
société américaine. Pour l’auteur, toutes les « imperfections de marché sont
responsables d’inégalités, qui contribuent dans le même temps à rendre
l’économie inefficace. »
De la même manière, le mécanisme du crédit visant à
prêter à ceux qui ont des garanties plutôt qu’à ceux qui n’ont rien peut mener à
détourner les fonds prêtés des projets les plus productifs. L’inégalité de
fortune conduisant à une inégalité d’accès au marché du crédit est source
d’inefficacité économique. Le même argument peut également s’appliquer à
l’éducation. Enfin, l’inégalité est néfaste à l’économie car elle entraîne
l’apparition de troubles sociaux et politiques. La situation du Brésil, du
Mexique ou de la Colombie illustre bien cette idée. Près de 10% de la population
travaille dans le domaine de la « sécurité ». F.Bourguignon s’interroge sur
l’efficacité d’une telle situation tant il semblerait plus utile que ces
personnes soient employés dans des domaines où les externalités sont importantes
(infrastructures, santé, éducation…).
Ainsi des politiques doivent être mises en
places pour lutter contre ces inégalités qui sont ni souhaitables moralement ni
économiquement efficaces. L’enjeu est d’arriver à lutter contre les inégalités
nationales sans juguler la réduction des inégalités mondiales. Une partie des
inégalités nationales est la conséquence de la mondialisation. Certains sont
tentés à prendre des mesures protectionnistes, le terme de « démondialisation »
s’est notamment popularisée en France au cours de la compagne à l’élection
présidentielle. Ce type de repli nationaliste est à éviter pour une communauté
soucieuse du bien-être de la population mondiale. F. Bourguignon s’interroge
donc dans les dernières pages de cet ouvrage sur la manière de rendre compatible
la mondialisation et le recul des inégalités nationales. L’aide au développement
est aujourd’hui le seul instrument de redistribution internationale. Les pays
riches consacrent ainsi près de 0.35% de leur PIB à cette aide. Cette aide,
critiquée, est utile tant elle soulage la pauvreté. Il convient cependant de
s’assurer qu’elle ne soit pas détournée. Cette aide somme toute dérisoire, loin
de l’objectif de 0.7% du revenu national, doit s’appuyer sur une coordination
des donateurs afin d’éviter les doublons, et d’en améliorer la gouvernance.
L’auteur conclut son ouvrage par la phrase suivante : « Eviter la mondialisation
de l’inégalité passe aujourd’hui par la mondialisation de la redistribution ».
Il s’agit à travers cette idée, d’harmoniser les fiscalités nationales et de
développer la fiscalité internationale afin notamment d’éviter la course au
moins disant fiscal.
2 commentaires:
merci de cette bonne rescension : François Bourguignon est vraiment un expert sur ce champ des inégalités mondiales, et cette petite collection est très accessible !
Bon article Vincent, même si j'aurais aimé approfondir moi-même la question (on ne peut malheureusement pas tout faire), tu m'as permis d'avoir rapidement quelques éléments de réflexion sur le sujet.
Merci et bonne continuation !
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