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Combattre les contre-vérités en matière de dette publique

mercredi 18 mai 2011




La crise de la dette que traversent plusieurs Etats de la zone euro semble donner raison aux tenants des politiques libérales les plus orthodoxes. Selon eux en effet, c'est l'excès d'endettement des Etats européens qui expliquerait la défiance des investisseurs envers les dettes souveraines. Inquiets pour leur soutenabilité, ils exigeraient des taux d'intérêt élevés puisque le risque de défaut est important. Ainsi l’Allemagne peut-elle emprunter à 10 ans à un taux d’intérêt de 3,3 %, contre 5,2 % pour l’Espagne et 12,5 % pour la Grèce, parce qu’elle reste faiblement endettée. Pour réduire le fardeau de la dette, les Etats devraient réaliser des coupes sombres dans les politiques publiques et privatiser certains services publics. C’est oublier que la dette a un rôle économique central et que l’appréciation de la dette d’un Etat reste un exercice éminemment subjectif. Alors que l’Assemblée nationale vient d’adopter un projet de réforme constitutionnelle visant à assurer l’équilibre des finances publiques -et qui va en fait surtout complexifier la procédure budgétaire-, il conviendra de revenir sur quelques contre-vérités en matière de dette publique.

Les vertus de l’endettement

Contrairement aux idées reçues, un endettement à 0 % n’a aucun sens en économie et ne doit pas être un objectif de politique économique. En effet, un Etat s’endette pour investir, créer des infrastructures et améliorer le bien être des individus. Certains seuils ont beau avoir été définis (60 % du PIB dans le traité de Maastricht), ils ne sont justifiés par aucune théorie économique si ce n’est le vieux principe de gestion de bon père de famille. Ce principe convient-il à un Etat? On pourrait rétorquer que si un père de famille ne s’endettait pas, jamais il ne pourrait acheter un logement, à moins qu’il ne gagne très confortablement sa vie.

Les seuils d’endettement ne sont pas pertinents

Certains pensent qu’au delà d’un certain seuil d’endettement, la dette n’a plus d’efficacité économique parce que les agents économiques, anticipant des hausses futures d’impôts, épargnent, ce qui nuit à la croissance. Le problème est que ce seuil psychologique n’est pas connu (60 %, 90%, 150 %?) et qu’il est largement conditionné par les “experts” et autres agences de notation, dont personne ne connaît les méthodes d’évaluation, et qui imaginent des seuils sans tenir compte du nécessaire besoin d’investissement d’un Etat. Il peut sembler a priori logique qu’une hausse des taux d’intérêt sanctionne une endettement excessif ou insoutenable d’un Etat. Mais en fait, cette augmentation ne fait que révéler le véritable objectif des prêteurs, à savoir la rentabilité à court terme au lieu d’un réel investissement s’inscrivant dans la durée. Elle montre également que les investisseurs croient, sans aucune distance critique, aux seuils définis par les agences de notation, lesquelles sont devenues les apôtres de la religion économie dont le credo est une dette nulle.

La non-pertinence des ratios proposés pour évaluer la soutenabilité de la dette

Les seuils évoqués pour évaluer les dettes ne sont de toute façon pas pertinents: lorsqu’on évoque par exemple une dette de 90 % du PIB, on compare en effet un stock (la dette, créée par des déficits annuels successifs) à un flux, le PIB c’est-à-dire le revenu annuel d’une nation. On compare alors deux notions de nature différente ce qui n’est, en toute bonne logique, pas appropriée. Il serait plus judicieux de comparer le stock de dette à la somme des PIB futurs. Dans ces conditions, le niveau d’endettement d’un Etat apparaîtra beaucoup plus faible.

On pourrait aussi rapporter la dette (stock) aux actifs de l’Etat (autre stock): cela mettrait en évidence que la dette des Etats est bien inférieure à ce que prétendent les soi-disant experts puisque les actifs (infrastructures, hôpitaux, savoir immatériel) sont bien plus importants que la dette. Cependant, comme il n’est pas simple de calculer les actifs d’un Etat, les économistes, préférant souvent la simplicité, n’y ont presque jamais recours (on les évalue à plus de 2000 milliards de dollars).

Il serait aussi plus correct de ne rapporter au PIB annuel (2100 milliards $ pour la France en 2010) que le montant annuel du remboursement de la dette –et non pas la dette totale-ce qui permettrait de comparer effectivement deux flux. En ce qui concerne la France, le remboursement annuel est d’environ 3 % du PIB, seuil qui semble parfaitement soutenable si on le compare au seuil d’endettement du “bon père de famille” si souvent évoqué et qui doit être inférieur ou égal à 33 % du revenu annuel.

L’endettement ne doit servir qu’à l’investissement?

Certains pensent enfin que si l’endettement est fructueux en théorie, il est stérile en pratique: la France par exemple ne s’endeterrait pas pour investir mais pour rembourser les intérêts de la dette et surtout assurer les dépenses courantes, notamment celles des fonctionnaires qui représentent 40 % du budget de l’Etat. Cette approche n’est à mon sens pas adaptée parce que la distinction canonique entre dépenses de fonctionnement et d’investissement est arbitraire. Les traitements des fonctionnaires sont par exemple considérées comme des dépenses de fonctionnement. Pourtant, ils représentent l’essentiel des dépenses de l’Education nationale, laquelle constitue bien un investissement puisqu’une heure d’enseignement augmente le savoir d’une génération d’écoliers ou d’étudiants donc le capital humain de la nation. Le traitement des professeurs pourrait donc être compté parmi les dépenses d’investissement.

Le paradoxe de la dette

L’idée qu’un Etat s’endette parce qu’il dépense trop est en définitive simpliste: si les dépenses excèdent les recettes, cela peut venir aussi bien de dépenses excessives que de recettes insuffisantes. Or dans le système actuel, on préfère financer les dépenses par emprunt que payer des impôts. Pourquoi? Tout simplement parce que les riches préfèrent prêter à l’Etat, contre paiement par celui-ci d’un intérêt, que de payer des impôts, lesquels restent une contribution sans contrepartie. Les libéraux souhaitent diminuer les impôts et laisser l’Etat s’endetter pour que les plus riches puissent s’enrichir davantage.

Conclusion

La dette a une utilité économique et les seuils de dette proposés fréquemment masquent en réalité une idéologie libérale dans laquelle l’Etat ne doit jouer aucun rôle économique (i.e. création et redistribution de richesses). La légitimation de la dette publique ne doit toutefois pas conduire à dépenser sans compter, sans contrôles et sans évaluations des politiques publiques. La question est cependant moins celle de la raison d’être de la dette publique que celle des objectifs d’une dette utile pour la nation.

10 commentaires:

strummer a dit…

toutes ces remarques sont pertinentes mais, disait Bourdieu: "le monde social n'est pas relativiste", autrement dit, même si on peut contester la validité de l'évaluation des agences de notation, et le seuil de 60%, il n'en reste pas moins qu'ils ont des effets dans la réalité, car ils sont pris au sérieux par les agents économiques. Une dette "trop élevée" (quoi qu'on pense de sa définition) entraînera bien des taux d'intérêt plus élevés. C'est donc pour cela qu'il faut la réduire.

Anonyme a dit…

Oui et la charge de la dette pèse aussi

Anonyme a dit…

Le fait de raisonner en pourcentage de PIB pour le stock de dette n'est en effet pas particulièrement pertinent. En revanche, pour les Etats souverains comme pour tout un chacun, celui qui décide de la soutenabilité ou non de la dette est, in fine, le prêteur potentiel... Qui appuie, pour sa part, en partie son jugement sur les appréciations des agences de rating. Elles sont sous le feu des critiques, mais elles n'en sont pas moins le meilleur proxy que nous avons pour estimer la solvabilité des Etats ; elles ne s'arrêtent d'ailleurs pas, comme sous-entendu ici, au ratio dette / PIB pour former leur jugement (Moody's note la dette long terme de la Grèce Caa1, et celle du Japon, pourtant bien plus endetté dans l'absolu et en proportion de son PIB, Aa2). Le fait est qu'on a beau taper sur les agences, personne n'a de meilleurs informations ; un investisseur est libre d'arbitrer en se basant sur l'hypothèse que l'information des agences est erronée, si il a raison il gagnera gros à la fin, mais je ne suis pas sûr que beaucoup souhaitent prendre ce risque !...

Anonyme a dit…

Excellente mise au point sans fanfaronnade ni radicalisme! merci

Anonyme a dit…

En complément de cet article trés intérressant, je recommande cet autre article intitulé "Sortir du piège de la dette"
En effet, un État a besoin d'investir. Mais on a tendance à oublier qu'avant 1973, la France n'était pas endettée !
Comment faisait-elle alors pour investir ? Elle empruntait à la Banque de France à taux zéro .
Puis, sous prétexte de lutter contre l'inflation, la loi Pompidou-Giscard du 4 janvier 1973, en son article 25, interdit à la Banque de France d'accorder un crédit ou un découvert au trésor publique, obligeant ainsi l'État à se financer auprès de banques privées et donc à payer des intérêts (la charge de la dette).
Depuis, la dette publique n'a plus jamais cessé de croître. Sur le document " A quoi servent nos impôts ?" que nous avons tous reçu avec la déclaration des revenus, la charge de la dette dépasse cette année les 45 milliards d'euros. Sans cette loi de 1973, cet argent servirait aux services publiques plutôt qu'à enrichir ceux qui sont déjà plus riches que les riches.
Je recommande à ceux qui veulent approfondir cette question, le livre d'André-Jacques Holbecq et Philippe Derruder, "La dette publique, une affaire rentable"

erol a dit…

Nous vivons la crise la plus documentée de l'histoire et il faut se battre pour voir des articles comme le vôtre apparaître sur la place publique! Mais que font les journalistes? Sur votre argument suivant :

"On pourrait aussi rapporter la dette (stock) aux actifs de l’Etat (autre stock): cela mettrait en évidence que la dette des Etats est bien inférieure à ce que prétendent les soi-disant experts puisque les actifs (infrastructures, hôpitaux, savoir immatériel) sont bien plus importants que la dette. Cependant, comme il n’est pas simple de calculer les actifs d’un Etat, les économistes, préférant souvent la simplicité, n’y ont presque jamais recours (on les évalue à plus de 2000 milliards de dollars).

Il serait aussi plus correct de ne rapporter au PIB annuel (2100 milliards $ pour la France en 2010) que le montant annuel du remboursement de la dette –et non pas la dette totale-ce qui permettrait de comparer effectivement deux flux. En ce qui concerne la France, le remboursement annuel est d’environ 3 % du PIB, seuil qui semble parfaitement soutenable si on le compare au seuil d’endettement du “bon père de famille” si souvent évoqué et qui doit être inférieur ou égal à 33 % du revenu annuel."

POURQUOI N'INTERROGE-T-ON PAS LES POLITIQUES?

Anonyme a dit…

IL faut dénoncer le mensonge sur la dette: de quoi se compose t elle :
premièrement de la créance que les fonctionnaires actifs et retraités détiennent sur l'Etat au titre de leur retraite présente ou à venir car en effet les conventions comptables américaines obligent les entreprises ayant un régime de retraite particulier à provisionner le montant de leurs engagements pour servir une retraite aux ayants droits y compris dans le cas d'une cessation d'activité.
Cette partie de la dette est estimée à 1000 milliards d' euro dans le rapport Pébereau sur la dette
La seconde partie de la dette est constituée d'obligations que l'on appelait "bons du trésor» et c'est cette seconde partie que l'on place sur les marchés internationaux. Cette seconde partie ne représente que la moitié de la collecte des assurances vie.

en conclusion 1 Les fonctionnaires sont les principaux détenteur de la dette et ils n'exigent aucun intéret sur les mille milliards d'€ qui leurs sont dus ce qui prouve que l'assetion qui prétend que la dette est détenue par les étrangers est mensongère ou qu'elle est profèrée par des menteurs ou des incompétents 2si l'on oblige les banquiers et les assureurs à placer la moitié de la collecte assurance vie en OAT (obligations assimilées du trésor)et on demande aux fonctionnaires de percevoir leur retraite par mensualité au lieu de tout retirer d'un seul coup on n'a plus besoin du triple A et de démolir notre protection sociale et nos services publics.
Un régime qui règne par la peur cf. Ben Ali et Saddam Hussein ne s'appelle pas démocratie

Anonyme a dit…

QUESTION POUR MIEUX COMPRENDRE L'IMPACT DU TRIPLE A DONT TOUT LE MONDE PARLE:
dans une hypothèse d'école, à savoir un equilibre budgétaire (et donc aucun nouvel emprunt pour financer les dépenses, remboursement de la dette accumulée comprise), la supression du triple A et donc l'augmentation des taux d'intérêt pour l'état aurait elle un impact? si oui pourquoi?

Simon PORCHER a dit…

La perte du triple A n'aurait un impact que si la prime de risque sur les obligations d'Etat augmentait. Dans ce cas, le coût du refinancement de la dette serait plus élevé, ce qui viendrait augmenter les dépenses publiques.

Anonyme a dit…

@ Simon PORCHER : je ne suis pas entièrement convaincu par votre dernier argument ; dans le cadre de mobilisation de titres sous la forme de "repos", de prêts-emprunts de titres et d'appels de collatéral, la notation maximale du titre par au moins deux agences sur trois est bien souvent un critère d'éligibilité. La liquidité du papier français en souffrirait donc, au delà du seul impact sur le coût de refinancement (qui ne se matérialiserait d'ailleurs pas nécessairement : je n'ai pas les chiffres en tête, mais j'ai dans l'idée que le Trésor américain se refinance aujourd'hui à peu près gratuitement en termes réels, en dépit de la dégradation de sa note long terme par S&P).

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