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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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La démondialisation a-t-elle un sens?

jeudi 30 juin 2011


La mondialisation, mot utilisé le plus souvent dans le but de servir de cache-sexe à l'idéologie néolibérale, correspond au processus d'intensification des échanges économiques et culturels dans le monde. Elle prend trois formes : le développement du commerce international, l'internationalisation des processus productifs, la globalisation financière.

La « démondialisation », le nouveau mot à la mode dans les médias (et certains politiques) français, pointe les dérives du néolibéralisme. Si l’on s'intéresse, d'un point de vue strictement étymologique à ce mot, il semble inviter à réduire le degré d’ouverture de nos économies nationales. Depuis la crise de 2007-2008, le discours démondialiste, pour ne pas dire nationaliste, prend de l’ampleur dans le débat public. Comme dans toutes les périodes de crise économique, le repli nationaliste et le recours au protectionnisme sont des tentations fortes. Mais ces tentations sont-elles légitimes au regard des gains de la mondialisation?

La démondialisation vient dénoncer la pression des économies extérieures sur notre économie nationale, et plus particulièrement sur le niveau de vie des français. De nombreuses inepties sont avancées par les défenseurs d'un repli nationaliste, allant jusqu'à dire que les travailleurs immigrés exercent une pression la baisse sur les salaires des français, ce qui est très discutable. Ainsi, la démondialisation n’est pas seulement la fermeture des marchés des biens et services mais également la chasse aux travailleurs étrangers.

Le repli protectionniste dans l'histoire n'a jamais été un succès. L'exemple le plus utilisé concerne la crise économique de 1929, le fameux « Jeudi Noir ». De nombreux Etats cédèrent aux tentations protectionnistes - hausses des droits de douane, contingentement et prohibition de certains produits, dévaluations monétaires - faisant chuter de près de 40% le volume des échanges internationaux entre 1929 et 1932. Ces mesures eurent pour effet principalement de retarder la sortie de crise.

L’histoire économique regorge d’exemples de ce type. Colbert, ministre des finances de Louis XIV, pur défenseur du « patriotisme économique », décide en 1667 de doubler les taxes sur les produits anglais et hollandais. Une telle politique eu des conséquences négatives. Colbert pensait pouvoir se passait des autres pays mais au final ce sont surtout les autres pays qui ont décidé de se passer de lui. Les mesures protectionnistes s'accompagnent le plus souvent d'une certaine réciprocité en la matière. Par exemple, les Anglais, qui étaient à cette période des grands importateurs de toiles bretonnes, n'hésitèrent pas à se tourner vers d'autres contrées. Les Français et les Hollandais se livrèrent une bataille sur les tarifs douaniers de l'alcool et de la soie qui amena cette fois à un véritable conflit armé de 1672 à 1678.

Les défenseurs de la « démondialisation » envisagent de manière erronée le commerce international comme un jeu à somme nulle dans le meilleur des cas. Ils posent le problème en termes de compétition économique entre nations, où il y aurait des gagnants et des perdants. Paul Krugman dénonce cette idée reçue dans La mondialisation n'est pas coupable qu'il nomme la «théorie pop du commerce international», croisade anti-intellectuelle laissant de côté toutes les bonnes raisons d'échanger: avantages comparatifs, dotations factorielles, économies d'échelles, etc.

Si le commerce international est essentiel à la bonne santé d'une économie, il n'impacte que très relativement le niveau de vie des individus qui reste en grande partie déterminé par des facteurs internes – la productivité, la redistribution - et non par le résultat d'une compétition sur le marché international des biens et services.

Par exemple, la formidable augmentation de la productivité du travail au Japon, a entraîné une hausse des salaires japonais. Celle-ci n'a entraîné aucune modification à la baisse sur les salaires moyens européen ou américain. Si des pays gagnent au commerce international, cela ne signifie pas nécessairement que les autres seront perdants. Le niveau de vie des uns peut s'améliorer sans que celui des autres ne diminuent. Par exemple, on observe que l'augmentation du commerce international et des richesses produites depuis le début du XIXème siècle va de pair avec l'élévation du niveau de vie mondial.

Malgré tout, les inégalités entre plus riches et plus pauvres ont augmenté comme le souligne Joe Stiglitz dans La grande désillusion. Quelles réponses apporter aux dérives de la mondialisation pour qu’elle soit heureuse ?

Le problème n'est pas le commerce international mais la répartition des richesses créées au cours du processus de production. L'interdépendance commerciale des économies s’est accrue depuis la seconde guerre mondiale. Les exportations sont passées de 275 à 12 500 milliards de dollars par an entre 1950 et 2005.

Dans le même temps, les acquis sociaux et la protection sociale se sont accrus en France et plus globalement en Europe. Libre échange et droits sociaux sont donc compatibles, comme la période 1945-1975 le montre. La condition essentielle fut celle d'une croissance économique forte et d'un partage des richesses créées favorable aux travailleurs. A partir des années 1990, dans le même temps que la croissance ralentie, le partage de la valeur ajoutée redevient plus avantageux pour les propriétaires du capital au détriment des salariés. La part des salaires dans la valeur ajoutée a connu une forte baisse depuis 1980, passant de 75% de la VA à 65% en 2007. L’élément clé est donc la répartition des richesses.

Le problème n'est pas la mondialisation dans son ensemble mais principalement la libéralisation des marchés financiers accélérée depuis les années 1980. Le développement spectaculaire des marchés de capitaux a accru l'efficacité du financement de l’économie mais a alimenté l’instabilité des systèmes financiers. Les crises de change, de la dette et les risques systémiques ont été multipliés depuis dans les pays développés aussi bien que dans les pays émergents.

Les échanges sur les marchés financiers sont cinquante fois plus importants que les échanges sur les marchés de biens et services, ce qui montre bien leur déconnexion totale de l’économie réelle. Face à ce développement exponentiel des marchés financiers, les dispositifs prudentiels ont un temps de retard et ils n’ont à vrai dire jamais été un réel objectif ni des gouvernements ni même des opérateurs financiers. Ceux-ci sont mêmes souvent rémunérés sur les risques qu’ils prennent et n’ont pas à se soucier des conséquences sociales des crises dont ils ne supportent pas les coûts. Plutôt que démondialiser, il faut re-réglementer la finance mondiale, dans la concertation et la coordination, ce qui n’est pas une tâche simple.

Humaniser et démocratiser la mondialisation plutôt que la culpabiliser. Il ne s'agit pas de mettre moins de mondialisation, mais plutôt de proposer une autre mondialisation. Les hommes et les femmes politiques doivent, plutôt que céder au discours protectionniste, renouer avec le discours humaniste. Réguler l'économie en mettant l'Homme au centre des décisions économiques.

Face aux dérives du marché, il faut chercher à uniformiser les différents systèmes normatifs nationaux (lois, réglementations, droits), en plaçant comme principes universels, la dignité humaine et la justice sociale. Alain Supiot, juriste de formation, invite pour aller dans ce sens, à renouer avec L'esprit de Philadelphie faisant référence à la proclamation le 10 mai 1944 de la première Déclaration internationale des droits à vocation universelle.
Cette Déclaration mérite intérêt pour deux raisons. Elle offre d’abord une définition globale et compréhensible de la justice sociale: «Tous les êtres humains (…) ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité dans la sécurité économique et avec des chances égales» (art. IIa).

Elle fixe ensuite la réalisation de la justice sociale, ainsi définie, comme « le but central de toute politique nationale et internationale ». Instituant une règle à l'inverse du fonctionnement actuel de nos économies, dont nous ne devrions cesser de nous inspirer aujourd’hui: «Tous les programmes d'action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la mesure où ils apparaissent de nature à favoriser, et non à entraver, l'accomplissement de cet objectif fondamental» (art. II c).

Boîte à arguments contre Marine Le Pen

vendredi 24 juin 2011


Première idée reçue du FN: l'immigration crée des tensions à la baisse sur les salaires et entraîne une augmentation du chômage

Théoriquement, si l'on considère que les immigrants viennent de pays dans lesquels les niveaux de rémunération sont moins élevés ou n'ont pas de qualification, cela pourrait être vrai. Il faut donc s'intéresser à la structure de l'immigration en France. Dans les années 2000, la France accueille chaque année 200 000 immigrés, environ 40% vient des pays européens ou d'Amérique du Nord, 60% d'Afrique et d'Asie. L'impact de l'immigration sur le niveau du chômage ou sur les salaires est faible, voire nul, et de toute façon transitoire. Une vague massive d'immigration comme le rapatriement des français d'Afrique du Nord au début des années 1960 a eu un effet négatif faible et seulement transitoire sur le marché du travail des régions les plus touchées par la vague d'immigration (Jennifer Hunt, Industrial and Labor Relations Review, 1992). Contre l'argument de Marine Le Pen, l'immigration au Royaume-Uni qui a augmenté de 60% entre 1998-2003 et 2004-2006, a entraîné +0,4 points de croissance par an.

Toutefois, Marine Le Pen n'est pas clair dans ses propos. Parle-t-elle des immigrés (les français et les étrangers nés à l'étranger et qui vivent sur notre territoire) ou des étrangers (les non-français qui vivent sur notre territoire et qui peuvent être nés en France)?



Deuxième idée reçue: les droits de douane permettent de protéger les producteurs français et de renflouer les caisses de l'Etat

Là encore, l'argument n'est vrai qu'en théorie (voir un excellent billet pour plus de détails). Depuis 1945, les pays qui ont mené des stratégies de réduction des droits de douane et d'ouverture commerciale ont un taux de croissance économique 1,5 à 4 fois plus élevé que ceux qui ont mené la stratégie inverse.



Dans notre pays, la montée des droits de douanes ne ferait que casser le pouvoir d'achat des français en augmentant durablement le prix des biens importés. Dans la majorité des cas, nous importons des biens que nous ne produisons plus en France, parce que nos industries n'étaient plus compétitives et la relocalisation de leur production aurait le même effet qu'un droit de douane: les prix augmenteraient.

Quand au gain pour les caisses publiques, il serait compensé par la perte de compétitivité des producteurs français et par les détournements de trafic liés à la diminution des exportations. Quand on impose des tarifs douaniers à des partenaires commerciaux, on sort de la clause de la nation la plus favorisée et on subit à notre tour une augmentation des droits de douanes sur nos exports. On y perd plus que l'on y gagne comme lors de la mise en place des tarifs Méline ou Hawley-Smoot.


Troisième idée reçue: la sortie de l'euro protégera la France d'un défaut sur sa dette souveraine

L'argument est évidemment faux. D'abord, la sortie de l'euro ne se fait que par la sortie de l'Union européenne. Sortir de l'Union, c'est accepter que nos agriculteurs ne reçoivent plus de subventions et sortent de la PAC mais c'est surtout sortir de la plus belle (et la plus efficace) construction politique du dernier siècle. Là aussi l'argument tombe en désuétude: le retour au franc de façon unilatérale pourrait entraîner une dégradation immédiate de la note française, une augmentation des taux d'intérêt sur la dette publique (et dont des impôts) et nous sucrerait la protection contre le risque de change. Ce dernier argument est le plus important: la France commerce essentiellement avec l'Europe; pour se prémunir d'une augmentation rapide du prix des produits libellés en euros, la France devrait ancrer sa monnaie sur une valeur fixe avec l'euro, ce qui revient à être membre de la zone euro. En cas de dépréciation immédiate du franc (sa détention en tant que monnaie de réserve n'intéresserait personne), les exportations seraient stimulés mais le prix des importations flamberait et contre-balancerait l'effet-prix des exportations (nos produits n'étant pas assez compétitifs de toute façon).

Quelques propos "solidaires": réponse à Wauquiez, Copé et Daubresse

mercredi 8 juin 2011







Laisser les pauvres dans la mendicité ou aider et encadrer les populations les plus pauvres tel semble être le débat que relance Laurent Wauquiez en formulant, sur BFMTV le 8 mai 2011 une attaque en règle contre le système français organisant les solidarités. Il émet le souhait de plafonner le cumul des prestations sociales, afin de réduire ce qu'il nomme les "dérives de l’assistanat", qu'il qualifie de « cancers de la société française ». Au delà du débat sémantique (solidarité ou assistanat) et du poids des mots stigmatisant (« cancer ») utilisés par l'animateur de la droite sociale (sic), étudions les dires de ce ministre de la République, avant de nous intéresser aux systèmes de solidarité en France et aux diverses pistes existantes pour l'améliorer dans une optique progressiste.

RSA et contre-vérités ou la nécessité d'arguments rationnels dans l'espace public

Depuis le 1er juin 2009, la lutte contre la pauvreté s'organise en France métropolitiane autour du Revenu de Solidiarité Active (RSA). Le RSA a pour objectif déclarer de lutter contre l'exclusion, de compléter les revenus des travailleurs « pauvres », d'encourager l'activité professionnelle et de simplifier le système des minimas sociaux. C'est ce dispositif qui est notamment montré du doigt. Laurent Wauquiez utilise l'exemple d'un couple au RSA cumulant les divers systèmes d'aides (aides au logement, allocations familiales, couverture maladie universelle) gagnant plus (environ 1200euros) qu'un couple où un seul membre du couple travaille et gagne le SMIC (1073 euros). Cet exemple a l'avantage d'être fort et illustre en effet un dysfonctionnement du système français de solidarité, où il est plus avantageux de ne pas travailler que de travailler, symbole d'une « société d'assistés » où les incitations au travail sont nulles.

Encore faut-il que cet exemple soit juste, or ce n'est pas le cas: en effet le RSA, revenu de solidarité active ne permet pas de cumuler cette aide avec d'autres aides. Le site rsa.gouv.fr permet de vérifier très simplement cela en proposant de calculer vos droits et le montant du RSA perçu. Ainsi une personne seule, peut-on y lire, sans activité et sans revenus, percevra 466 euros et un couple sans enfant, sans activité et sans revenus, percevra 700 euros. A noter que cette aide est réduite dans le cas où le bénéficiaire est propriétaire de son logement, ou est hébergé gratuitement ou si il bénéficie d'autres types d'aides (aide au logement).

Même dans le cas, où les couples concernés ont des enfants , le couple ne travaillant pas aura des revenus inférieurs à celui où seulement l'un des deux membres du couple travaille et est rémunéré au SMIC. Ajoutons que ce deuxième couple ayant pour seul revenu un SMIC a également le droit aux aides au logement, aux allocations familiales et à la CMU.

Les allégations de Wauquiez (quand on ne travaille pas on gagne plus que quand on travaille) sont donc erronées. Il ne suffit donc pas de «dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas», comme il s'en défend encore faut-il exprimer des idées justes, règle de base du débat argumenté en démocratie. Wauquiez use de pratiques peu démocratiques du haut de sa position politique (et médiatique) dominante pour imposer son point de vue au détriment même de la vérité, du débat raisonné et des arguments rationnels.

Ce manque de discernement et de compréhension d'un système mis en place par son propre gouvernement disqualifie dès lors ses propositions (plafonnement, contre-partie) qui sont alors vidées de leur sens, n'ayant plus de raisons d'être.


 
Assistanat Versus Solidarité : un débat historique

Quelle politique doit adopter l'Etat face aux problèmes sociaux? Faut-il aider les plus pauvres? Pourquoi faut-il aider ces populations? Dans quel but?

Deux positions s'opposent historiquement: d'un côté ceux qui considèrent que toute aide organisée encourage la misère, entretient les plus pauvres dans un cercle vicieux d'assistance, n'incitant pas à sortir de sa condition. D'un autre côté ceux qui considèrent que des solidarités doivent s'organiser pour faire face aux différents risques (chômage, pauvreté, maladie, vieillesse) dont les hommes en société font face.

La première position est celle des défenseurs d'un Etat minimal; la deuxième est celle des défenseurs d'un Etat social organisant les solidarités.Ces deux postures idéal-typiques sont deux réponses différentes à une même question philosophique. Comment penser la liberté des individus en société? Pour les uns, les individus jouiront d'un maximum de libertés à condition que l'Etat se contente d'un minimum de prérogatives (sécurité intérieure, armée), pour les autres la liberté des individus n'est possible qu'à la condition que nous soyons égaux face aux risques précédemment cités. Il faut donc garantir une certaine égalité des chances afin de garantir les libertés individuelles. C'est bien cette deuxième conception qui l'a progressivement emportée au cours du XXème siècle en France (et plus généralement en Europe) avec la mise en place des premières retraites ouvrières et paysannes en 1910 puis progressivement l'apparition d'un véritable Etat social que l'on nomma Etat providence avec l'instauration d'un système de sécurité sociale généralisée en 1945.

C'est globalement dans la dynamique de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 que les conceptions de l'assistance ont évolué passant d'un système basé sur une aide familiale et corporatiste à un système organisant une véritable solidarité nationale garant des libertés individuelles et de la cohésion sociale.

Quelques éléments historiques sur la protection sociale

Les fondements historiques de la protection sociale sont liés à l’évolution économique. En effet, la protection sociale n’est pas un système plaqué sur des structures économiques qui lui seraient étrangères. Au contraire, elle est la résultante des bouleversements économiques et sociaux. A des formes originales de structures économiques correspondent des organisations particulières de la protection sociale. Dans ces conditions, on peut lire l’évolution historique de la protection sociale à partir des mutations économiques de l’appareil productif. On assiste à une transformation profonde de la logique de protection avec la révolution industrielle.

L’urbanisation massive de la deuxième moitié du XIXème siècle va bouleverser les modes de solidarité communautaires (en raison de l'éloignement familial) et créer un risque nouveau pour les individus. Les mutations économiques exigent une nouvelle forme de protection sociale. La paupérisation des ouvriers fait également émerger un nouveau visage de la pauvreté : celui du travailleur pauvre. C'est pour faire face à ces évolutions qu'un système de protection financé à la fois par la fiscalité et les cotisations. Le travail, et le salariat ouvre alors droit à des protections.



 
La fin du XXème siècle marque une période d'effritement du modèle de sécurité sociale et de remise en cause progressive du principe de solidarité nationale. Ce phénomène n’est pas récent, il date des années 1970. A la crise du système économique s’est articulée la crise du système de protection sociale. Les nombreuses réformes lancées en Europe sont marquées par le poids des idées libérales qui tendent à l’éclatement des systèmes de protection sociale.

La protection sociale a de plus en plus de mal à colmater les effets de la crise, de la montée du chômage et des inégalités sociales. L’équilibre financier du système se trouve compromis, en raison de la hausse du chômage (dépassant les 10% selon les périodes) et donc du déficit de financement par les cotisations. De nouveaux systèmes de financement des aides sont mis en place pour remédier à ce déficit. C’est dans cette optique qu’a été mise en place la contribution sociale généralisée (CSG), impôt institué en 1991 par Michel Rocard. Ce financement étatique est renforcé par le plan Juppé en 1996 et la création de la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), puis par le plan Aubry en 1998. Une autre dynamique s'opère désormais visant à rationaliser la distribution des aides.

A l'orée du XXIème siècle le modèle social fait figure d'un chantier ouvert entre les partisans d'un système d'assurance privée et les défenseurs d'un droit à la protection pour tous. Dans ce contexte, un débat s’est ouvert sur la rationalité de la protection sociale et sur les différentes logiques assurancielles ou solidaires qui doivent lui être associées.

Le RSA doit s'accompagner d'une politique publique de l'emploi

Le RSA mis en place par Martin Hirsh, ancien haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, fait figure d'innovation majeure dans l'organisation des solidarités en France dans une optique de rationalisation des dépenses publiques. Le RSA permet de regrouper un ensemble d'aides (RMI, allocation de parent isolé, etc.) en une unique aide, simplifiant à la fois les démarches des bénéficiaires et le traitement des dossiers par l'administration. L'allocataire du RSA est contraint à respecter certains engagements. Rappelons d'abord que les allocataires du RSA sont obligés d''être inscrit à Pôle emploi et de rechercher un emploi. Cette condition, dans le cas où le Pôle emploi a le personnel suffisant pour accomplir correctement sa mission (sic) présente l'avantage d'effectuer un suivi des allocataires afin de les accompagner vers le retour à l'emploi (pour ceux dont les capacités physiques le permettent). Les allocataires du RSA, sont également soumis à l'obligation d'accepter deux offres raisonnables d'emploi.

En février 2011, 1,847 million de personnes touchaient le revenu de solidarité active (RSA), ce qui représente, enfant et conjoints compris, 3,8 millions de personnes, selon les services de Roselyne Bachelot, ministre des solidarités. Précisément, on compte 1,177 million de bénéficiaires qui touchent le RSA socle (concerne les personnes sans activité) et 670 538 allocataires du RSA « activité ». Si le nombre de personnes qui ont pour tout revenu le RSA (RSA socle) a augmenté pendant la crise de 10 %, depuis, celui-ci est redescendu et, fin 2010, le nombre d'allocataires n'était pas supérieur à ce qu'il était fin 2007 (d'après Le Monde daté du 14 avril 2011). Le RSA ne constitue donc pas une incitation à l'inactivité comme ses détracteurs à droite le prétendent. Mais le RSA est-il pour autant un dispositif satisfaisant de lutte contre la pauvreté?

Le RSA est un dispositif qui fait l'hypothèse que les personnes inactives le sont car elles ne sont pas incitées financièrement à retrouver un emploi. Or le véritable problème est l'insuffisance des offres d’emploi, particulièrement dans les régions où les allocataires sont nombreux. Les allocataires du RSA souffrent également de leur manque de formation et de qualification, les rendant difficilement employable.

En parallèle à ce type de dispositif, il faut mener une véritable politique de l'emploi, mettre en place un système d'incitation à l'embauche pour les nouvelles entreprises, développer les sociétés coopératives et créer des emplois publics, développer l'apprentissage et améliorer l'employabilité des personnes sans emploi.

Quel avenir pour les solidarités?

La société française a connu depuis la fin des années 1970, un certains nombres de transformations sociales (chômage, développement des contrats à durée déterminée, interim, emploi à temps partiel, mobilité de l'emploi, instabilité du marché du travail) à l'origine de nouvelles formes de pauvreté. On compte aujourd'hui en France plus de sept millions de personnes pauvres, selon les critères européens de pauvreté (concerne les personnes dont le revenu est inférieur à 60% du revenu médian, soit un seuil de pauvreté est fixé égal à 950 euros mensuel par personne), soit environ 13 % de la population. Ces transformations et ces risques doivent s'accompagner de nouveaux droits qui ne peuvent se résumer à des mesures telles que le revenu de solidarité active (RSA).

Robert Castel, sociologue, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) , auteur en 2009 d'un livre intitulé la montée des incertitudes (seuil) considère qu'il faut inventer de nouvelles formes de protection sociale. Cette refonte du système se justifie par les transformations sociales évoquées précédemment. Jusqu'à présent les individus sont protégés par leur statut professionnel. Aujourd'hui, il faut repenser le « modus operandi » de l'Etat social, en déconnectant les droits sociaux du travailleur afin de mieux prendre en compte la singularité des trajectoires individuelles.

Comme le propose depuis une dizaine d'années l'économiste Bernard Gazier ou encore le juriste Alain Supiot, il faut protéger les parcours professionnels afin que les salariés puissent notamment être plus mobiles. L'enjeu est d'anticiper, de gérer et de faciliter les transitions professionnelles, mais également d'élargir nos conceptions de l'activité ouvrant à des droits, vers les activités non-rémunérés créatrice de richesse (matérielles ou immatérielles) tel que le bénévolat.

Aujourd'hui les individus sont contraints à être mobiles, ils changent régulièrement d'entreprises, d'emplois ou de postes. Ils sont amenés à changer de ville ou de région, à enchaîner des périodes d'activités et d'inactivités plus ou moins longues. Les trajectoires professionnelles sont discontinues et plurielles. Ce sont ces nouvelles situations qu'un système généralisé de protection sociale doit prendre en compte.

Nous devons faire persister les valeurs de solidarité, en aidant de manière décente les plus démunis, en garantissant des conditions de vie acceptables au plus grand nombre, mais également luttons de manière efficace contre les causes de la pauvreté pour la faire reculer.

Les fonctionnaires sont-ils des travailleurs comme les autres?

jeudi 2 juin 2011



La semaine dernière, lors d’un débat local sur la stratégie de la gauche pour les élections 2012 qui révélait de nombreux points de convergence entre les différents participants, un intervenant a indiqué, sans remords, que la création d’emplois publics ne constituait pas une solution pérenne à la résorption du chômage, notamment des jeunes, parce que, disait-il, les fonctionnaires ne créent pas de richesse. Surpris de cette assertion digne du MEDEF, j’interrogeai l’orateur qui m’expliqua que, s’il croyait au service public et en ses valeurs, la fonction publique constituait un prélèvement sur la richesse privée et que le recours à l’emploi public devait être manié avec précaution.

S’il est évident qu’un Etat ne doit pas embaucher des fonctionnaires sans tâches précises à leur confier, il est faux de dire que les fonctionnaires ne créent pas de richesse : au contraire, la valeur ajoutée créée par les agents publics reste sous-évaluée.

La fonction publique est une condition de l’activité économique

Il s’agit d’une évidence qui ne perd rien à être réaffirmée : sans un Etat garant des libertés et de la justice, il ne peut y avoir aucune activité économique. En effet, l’Etat garantit le respect de la loi donc des contrats passés entre les entités économiques. Pour cela, police et justice sont nécessaires. Par ailleurs, le développement des infrastructures favorise la croissance économique parce qu’elles permettent les échanges et favorisent l’implantation d’entreprises. Enfin, une population instruite et éduquée offre une main d’oeuvre hautement qualifiée aux entreprises qui peuvent ainsi produire et innover.

En participant au processus de production de biens et de services, les fonctionnaires créent des richesses

Les fonctionnaires ne font pas que participer, de façon indirecte, à la création de richesse. Ils produisent eux-mêmes de la richesse, laquelle est comptabilisée dans le produit intérieur brut d’une nation (PIB).
La richesse produite correspond à la valeur ajoutée créée. Un bien ou un service dispose de valeur dès lors qu’il a une utilité. L’activité des fonctionnaires s’inscrit bien dans cette définition puisque le service rendu dispose bien d’une utilité sociale : soit il s’agit d’un service public de caractère régalien (police, justice), auquel cas il est la condition de toute activité économique; soit il s’agit de la fourniture d’une prestation (éducation, aide sociale) auquel cas le service est valorisable puisqu’il a une utilité pour celui qui en bénéficie.

La richesse créée par la fonction publique est sous-évaluée

De façon générale, la richesse créée par le secteur public est largement sous-évaluée. En effet, aucun prix de marché n’est associé au service ou à la prestation rendue par le secteur public, si bien que la valeur créée est comptabilisée à son coût de production (traitements, frais généraux) : celui-ci est toujours inférieur, pour un même service ou une même prestation, à celui d’une entreprise privée qui y ajoute le profit attendu. Penser que les fonctionnaires ne créent pas de richesse revient à dire qu’une collectivité publique ne produirait aucune valeur parce qu’elle fournit une prestation à un coût moindre que le secteur privé. Cela est absurde.

Prenons l’exemple de l’éducation. Entièrement nationalisée, gratuite et payée par l’impôt, beaucoup pensent à tort qu’elle est une charge utile mais qu’elle ne constitue pas une richesse. Supposons ensuite que ce même service d’éducation soit fournie par une (ou plusieurs) entreprise (s) privée (s) : celle-ci, en réalisant des profits, créerait bien de la valeur ajoutée et donc de richesse. Ainsi le service fourni par une entreprise privée à un prix élevé (parce qu’il intègre le profit) produirait de la valeur tandis que le même service, fourni par la collectivité à titre gratuit, n’en créerait pas ? La prestation fournie est pourtant la même.

On pourrait prendre un autre exemple issu secteur de la santé : un hôpital public ne créerait pas de valeur alors qu’une clinique privée en produirait, alors même que les services rendus sont identiques (assurer la santé des individus) ?

La création de valeur et de richesse ne dépend pas du secteur de production (public ou privé) mais uniquement du travail nécessaire à la réalisation du bien ou du service. Le fonctionnaire est un salarié comme un autre qui créé de la valeur comme tout autre travailleur.

Les dépenses de fonctionnaire sont réinjectées dans l’économie

Il convient aussi de rappeler que, même si le secteur public a un coût et que ses missions et son périmètre d’intervention peuvent être redéfinis, les dépenses du secteur public ne sont jamais perdues parce qu’elles contribuent à l’activité économique générale. Les traitements des fonctionnaires sont dépensés en logements, en bien courants et en loisirs qui assurent la rentabilité du secteur privé tandis que les dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités publiques viennent grossir le carnet de commandes des entreprises privées. Ainsi les dépenses publiques constituent-elles moins une ponction sur l’économie qu’un vaste circuit d’échanges et de redistribution des revenus entre agents économiques.

Tout travailleur participe donc, qu’il relève du secteur public ou du secteur privé, au processus de production de richesse d’une nation parce que le travail, et lui seul, constitue la seule source de création de valeur. Ainsi la question d’une rémunération plus juste du travail, c’est-à-dire plus élevée, doit-elle être au cœur du débat économique et social.