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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Une année de cygnes noirs

dimanche 19 décembre 2010
Des niveaux élevés de dette publique ont entraîné une crise de légitimité de la zone euro. Alors que les marchés ont totalement perdu confiance dans la capacité de certains pays à rembourser leurs dettes, l'Union européenne et le FMI ont dû sauver la Grèce puis l'Irlande. En contrepartie de la création d'un fonds de stabilité financière, tous les pays européens se sont accordés pour réduire leurs déficits publics en mettant en oeuvre des réformes drastiques, par exemple le relèvement de l'âge de la retraite. La situation actuelle est si instable que les gouvernements européens devront probablement intervenir en faveur du Portugal puis de l'Espagne, au risque de remettre en question l'idée même de monnaie unique. Sur l'échiquier politique, les mouvements populistes pourraient bien en profiter.

Cette situation dramatique de la zone euro s'inscrit dans le cadre d'un désordre monétaire mondial mené de pair par le "G2": d'un côté, la Chine est réticente à laisser sa monnaie s'apprécier face au dollar; d'un autre côté, les Etats-Unis ont lancé un assouplissement monétaire massif qui devrait faire du dollar une "monnaie de singe". C'est une fin de siècle: la Banque centrale bénéficie de l'indépendance politique pour faire fondre les dettes qu'un gouvernement ne saurait rembourser.

Les problèmes budgétaires et monétaires mondiaux ne retirent rien à l'urgence environnementale. Alors que les Etats-Unis ont connu la plus grande catastrophe écologique de leur histoire avec la fuite de BP, nous oublions que l'économie mondiale produit chaque année l'équivalent de 5000 marées noires.

Du point de vue scientifique, le Comité Nobel a souhaité remercier des économistes du travail ayant contribué à un des plus grands sujets de notre temps: le chômage. Comment peut-on expliquer en effet qu'un cinquième de la population mondiale ne puisse trouver un emploi alors que l'économie n'a cessé de croître depuis la Seconde Guerre mondiale?

Le sujet est d'autant plus d'actualité que beaucoup de commentateurs pensent que les jeunes générations seront sacrifiées. C'est probablement le rapport au travail des plus jeunes qui devra évoluer pour que la crise économique ne dégénère pas en conflit de générations. Cela implique également que nos démocraties ne soient pas teintées d'un clientélisme qui revient toujours pendant les périodes de crise. A voir en 2011...

WikiLeaks (4/4): prospectives pour l'industrie des fuites

vendredi 10 décembre 2010






Les publications de WikiLeaks et les réactions qu’elles ont provoquées rappellent les années ou le Peer-to-Peer a connu son essor et où des millions de chansons étaient devenues largement disponibles gratuitement. Tout comme le partage gratuit des chansons, le partage de l'information dérobée est un phénomène qui devrait s'amplifier et que rien ne peut plus arrêter.

Les gouvernements du monde ne seront pas capables de mettre fin a WikiLeaks. Si Julian Assange est assassiné, mille Julian Assange sortiront de l’ombre tout comme quand le site web de WikiLeaks est attaqué, 1334 sites miroirs font leur apparition. Et les dénonciateurs - les whistleblowers - des secrets gouvernementaux les plus embarrassants seront toujours au rendez-vous. Quel développement peut-on attendre du développement de l'industrie des fuites pour les prochaines années?

Fin 2011. WikiLeaks a publié 1 million de télégrammes. Julian Assange, innocenté dans l'affaire des viols suédois, est introuvable. Des rumeurs laissent entendre qu’il aurait été assassiné dans une banlieue londonienne. Des hackers s’emparent du site. Les militants de 4Chan réunis sous l’étendard de l’association « Anonymous » prennent la relève et refondent WikiLeaks. Leur meilleure défense est l’attaque, ils hackent systématiquement les sites internet de leurs opposants pour assurer leur survie.

2013. Les gouvernements font des purges au sein de leurs équipes. C'est une chasse aux sorcières contre les fournisseurs de fuites. Les tensions internationales augmentent. WikiLeaks a gagné la bataille juridique: la voie législative a échoué car les tenants de la liberté d'expression soutiennent les wikios. Le radicalisme de la transparence se renforce. Pas une seule loi ne pourra cadenasser Internet et menotter les visiteurs d’un site. Assange devient un martyr.

2015. Le secret diplomatique n’a plus de sens. Les politiciens et les diplomates prononcent chaque mot comme si le monde entier était a l’écoute. Les théories de la conspiration ont disparu. Le New York Times peut titrer que "WikiLeaks a sauvé la démocratie" en révélant à plusieurs reprises des complots contre les démocraties de l'Ouest. La démocratie redevient une Agora où tout se résoud par l'aval des citoyens de la cité mondiale. Le fantasme du village global est atteint.

2020. Il y a désormais des centaines de WikiLeaks, tantôt catalyseurs de la vie démocratique, tantôt Big Brother. LeaksPlus, un autre site de dénonciation du secret politique fait son apparition. Plus modéré, et avec une interface plus compréhensive, il garantit lui aussi l’anonymat absolu aux dénonciateurs.

La conclusion peut donc être la suivante: mettre Thomas Edison en prison n'aurait pas obscurci nos nuits à jamais. Certaines choses, y compris la volonté de transparence et de déstabilisation, ne peuvent être arrêtées.

WikiLeaks (3/4): les faux débats

jeudi 9 décembre 2010






Le débat sur la révélation des fuites des canaux diplomatiques de WikiLeaks ne porte pas tant sur l'opportunité de révéler des informations confidentielles que sur les nouvelles possibilités de diffusion liées au progrès technologique. De tout temps, des administrateurs, de simples salariés ou des "agents doubles" ont divulgué des informations secrètes. Ce qui change aujourd'hui n'est pas l'acte de divulgation mais bien la manière et la rapidité à laquelle l'information est obtenue. En quelques clics, un stagiaire du Ministère de la Défense ou des Affaires Etrangères peut télécharger des dizaines de notes diplomatiques - évidemment non-classées comme "Secret Défense" - et les diffuser quasi-immédiatement sur un "Wikio", un centre de partage. La liberté d'expression prend donc une forme inédite par les modes de diffusion mis en place et cela renvoit à toute l'importance des modes de stockage des données pour se protéger des fuites.
 
Du point de vue du citoyen et du droit à l'information, le cas WikiLeaks va au-delà de la question de la transparence, déjà débattue à plusieurs reprises. Bien évidemment, personne ne rêve d'une société panoptique dans laquelle chacun observerait les actions de l'autre dans ses moindres détails. En revanche, l'affaire pose deux nouvelles questions:
 
  • celle de la place du citoyen dans l'information puisque le contributeur de WikiLeaks est volontaire et encourt a priori à lui seul le risque juridique liée aux fuites;
  • la place du journalisme dans ce nouveau mode de diffusion puisque le traitement de l'information et donc son interprétation au regard des faits, plus que son obtention, retrouve une grandeur parfois étouffée par la simple révélation. La presse écrite de qualité tire donc son épingle du jeu alors même qu'elle était concurrencée par de nombreux sites d'information "brute" qui vivaient justement de simples "fuites".
Le risque lié à l'affaire WikiLeaks réside plutôt dans le niveau de sécurité et de rétention de l'information qui va être déployé dans les relations internationales et dans les activités économiques. La divulgation de positions diplomatiques, autant que la révélation des bavures américains en Irak, ou que la mise à jour de systèmes de corruption dans les multinationales, n'a rien de dangereux tant que la sécurité des auteurs et des personnes impliquées est respectée. En revanche, l'arrêt ou la diminution du partage des informations diplomatiques peut être dramatique tant la bonne compréhension et la coordination sont essentielles aux partenariats stratégiques.

Enfin, ne faisons pas de Julian Assange un défenseur de la liberté d'expression ou un anti-démocrate terroriste. Il n'a rien d'un idéologue et semble plutôt être un nihiliste qui utilise la liberté d'expression pour s'auto-promouvoir.

WikiLeaks (2/4): les Etats-Unis peuvent-ils condamner Assange?

mercredi 8 décembre 2010






Selon le Washington Post, le Ministre américain de la justice, Eric Holder, ainsi que le Pentagone auraient ouvert une enquête à l’encontre de Julian Assange, nouvelle bête noire de l’administration Obama.

Mais le Gouvernement des Etats-Unis peut-il juridiquement agir contre WikiLeaks ou son fondateur, Julian Assange ?

S’il est relativement aisé, selon le droit américain, de poursuivre une personne qui divulgue des informations protégées - le soldat Bradley Manning, corbeau présumé, risque 52 ans d’emprisonnement - il semble en revanche plus complexe de le faire pour une personne (ou une entité) qui ne fait que publier ces informations.

Le gouvernement américain se dirigerait vers un échec juridique certain s’il recherchait la culpabilité de WikiLeaks. Le site pourrait, en effet, se réfugier derrière la très large protection accordée aux éditeurs par le premier amendement de la Constitution américaine.

En revanche, une loi américaine contre l’espionnage, votée en 1917 durant la première guerre mondiale, pourrait mettre en cause Julian Assange personnellement. Selon cette loi (section 793e), est susceptible d’être poursuivie, toute personne qui a délibérément divulgué des informations en ayant conscience que cela puisse constituer une menace pour la sécurité des Etats-Unis.

Selon Scott Silliman, Professeur à l’Université de Duke (Caroline du Nord), le gouvernement américain devra, pour pouvoir invoquer cette loi, prouver que Julian Assange a joué un rôle actif dans l’obtention des documents et avait un mobile autre qu’informatif, c’est-à-dire une volonté de nuire. Ce serait cependant la première fois qu'un éditeur de contenus informatifs journalistiques bénéficierait d'un tel régime.

En outre, le gouvernement devra démontrer que les informations divulguées ont provoqué une réelle menace sur les intérêts américains, et pas simplement un embarras diplomatique, ce qui pour l’instant, ne semble pas être acquis.

Mais avant même ces considérations d’ordre probatoire, deux autres interrogations rendent encore plus complexe l’éventuelle incrimination de Julian Assange aux Etats-Unis.

Les Etats-Unis - dont la soif d’impérialisme juridique est notoire - ont-ils juridiction pour appliquer leur loi sur l’espionnage de 1917 alors même que les faits reprochés ont été commis à l’étranger par un citoyen australien ?

Et surtout, les Etats-Unis ont-ils la possibilité d’appréhender physiquement Julian Assange qui a pour l’instant trouvé refuge au Royaume-Uni ?

Les traités d’extradition -dans leur grande majorité - prévoient des refus d’extradition lorsque la personne en cause est accusée de crimes politiques, un argument qui pourrait être avancé par le Royaume-Uni à l’appui d’un refus d’extrader Julian Assange. Reste une dernière solution: le vote d'une loi visant précisément les provocateurs et à renégocier les accords d'extradition pour prendre en compte ce nouveau délit. Un nouvel espace de tensions entre ordre public et liberté d'expression dans lequel les Etats-Unis choisiront probablement l'etouffement financier et la décrédibilisation des méthodes employées par WikiLeaks.

WikiLeaks (1/4): le contrôle démocratique

mardi 7 décembre 2010
La publication par WikiLeaks de 250 000 télégrammes diplomatiques n’en finit pas de surprendre. Chaque jour, de grands quotidiens nationaux offrent une synthèse des relations diplomatiques internationales. Faut-il se réjouir d’une telle divulgation de documents destinés à rester confidentiels ou au contraire qualifier d'irresponsables les membres de WikiLeaks?

L'Observatoire des idées vous propose toute la semaine le point de vue de ses chroniqueurs.



De nombreux commentateurs estiment que la divulgation de ces télégrammes est préjudiciable pour les démocraties : en effet, elle peut mécontenter des alliés et accroître les tensions entre différents Etats et la susceptibilité de certains dirigeants. Les marges de manœuvre diplomatiques s’en trouveraient réduites alors que les menaces et les crises à résoudre sont toujours plus nombreuses. Selon cette approche, la transparence serait l’apanage des dictatures, lesquelles ne distingueraient pas la sphère privée de la sphère publique pour mieux contrôler les individus. En publiant de tels documents, WikiLeaks aurait agi comme Big Brother et menacerait la sécurité de nombreuses sources diplomatiques dans le monde.

En fait, les démocraties se sont précisément constituées sur la transparence, par opposition à l’opacité caractéristique des régimes despotiques. C’est ainsi que la publicité est au cœur de leur fonctionnement: les lois sont délibérées avant d’être promulguées, les décisions rendues publiques et expliquées, et le débat d’opinion est libre. Les seules restrictions concernent la raison d’Etat, laquelle est utilisée pour justifier le secret.

Au delà de l'interêt que peut susciter la retranscription des télégrammes, c'est la question de la place du secret et de la raison d'Etat dans une démocratie que pose WikiLeaks. Pour ce dernier, la diplomatie doit être placée sous le contrôle des citoyens et rendue publique comme le souhaitait le Président américain Wilson en 1918. Pour ses détracteurs, la diplomatie doit rester un domaine réservée de l'Exécutif et soustrait au contrôle du parlement et de l'opinion publique. En rendant public des télégrammes traditionnellement confidentiels, WikiLeaks renforce le contrôle démocratique des citoyens sur la diplomatie.

Reste que les révélations du site australien surprennent davantage par leur tonalité, directe et sans nuance, et par certaines anecdotes, que par le contenu des notes diplomatiques, lequel ne faisait pas mystère. WikiLeaks révèle alors moins les secrets diplomatiques des Etats que la progressive évolution du métier de diplomate: celui-ci ne fait plus preuve de subtilité pour décrire et expliquer les opinions des dirigeants. C'est peut-être cela qu'il convient de regretter.

La vidéo du lundi: Obama est-il l'avocat de Wall Street?

lundi 6 décembre 2010
Un charmant extrait de "Inside Job" qui passe un savon à l'administration Obama.


L'Euro n'est pas responsable de la crise

jeudi 2 décembre 2010


Alors que les plans d’aide à la Grèce et à l’Irlande ont été accordés, le cours de l’euro continue à baisser sur le marché des changes. Beaucoup craignent la propagation des crises grecques et irlandaises à l’ensemble de l’Europe, accentuant la défiance envers la monnaie unique. Celle-ci continue de susciter les critiques de tous bords au point que certains proposent de sortir de la zone euro. Pourtant l’euro n’est pas responsable de la crise.

L’euro : un échec ?

L’euro avait pour but de doter l’Union européenne d’une monnaie commune permettant d’éviter les crises de changes et ainsi assurer la stabilité macroéconomique de l’Europe. Sa mise en oeuvre en 2002 constitue une étape essentielle de l’intégration politique du contient.

La crise actuelle semble remettre en cause la capacité de l’euro à stabiliser l’économie de la zone. Désormais, les taux d’intérêts divergent considérablement entre l’Allemagne (2,60 % d’un coté et la Grèce (11,60 %) et l’Irlande de l’autre, les taux d’inflation et de chômage diffèrent en raison d’écarts de productivité (1,1 % en Allemagne contre 4,5 % en Grèce) et le rattrapage économique des pays les plus pauvres de la zone semblent terminé. Surtout, l’euro empêcherait les Etats de dévaluer leurs monnaies pour retrouver leur compétitivité et serait la victime de la guerre des monnaies à laquelle se livrent les Etats-Unis et la Chine.

L’euro n’est pas responsable de la crise

L’éclatement de la zone euro ne changera rien à la crise. A l’origine, il y a d’abord la crise financière et l’absence de régulation et de contrôle des banques ; il y a aussi des politiques économiques insoutenables menées par des pays pourtant érigés en modèles lors de la dernière décennie. Ainsi le modèle de développement irlandais fondé sur le dumping fiscal n’était pas soutenable tout comme le modèle espagnol fondé, entre autres, sur la construction et le boom du crédit immobilier. Quant à la Grèce te le Portugal, ils paient leur manque de compétitivité et, pour la Grèce, la falsification de ses comptes publics.

Les actuelles tensions sur le marché des changes et de la dette reflètent davantage les contradictions politiques de la zone euro que l’échec de la monnaie unique. Les Etats ont préféré des stratégies économiques de court terme, assises sur des bulles spéculatives et sans concertation avec leurs partenaires. L’Allemagne, première économie européenne, a ainsi choisi une stratégie non coopérative : en spécialisant son économie vers les excédents commerciaux au détriment de la demande intérieure, elle contribue à une concurrence exacerbée entre les pays européens et oblige les moins compétitifs d’entre eux à des choix économiques risqués et insoutenables.

La sortie de crise passe par davantage d’intégration européenne

La crise européenne souligne les limites de la gouvernance économique européenne : faute de politique économique commune et de budget commun, les critères de la dette publique et du déficit sont les seuls instruments, bien insuffisants, de coordination macroéconomique des pays européens. En l’absence de définition d’intérêts communs de l’Union, il est difficile aujourd’hui d’avoir confiance dans la monnaie unique.

La sortie de crise passe donc, non par l’éclatement de la zone euro, mais par une plus grande intégration économique européenne. Aujourd’hui côté à 1,30 $, la faiblesse de l’euro est toute relative. Sa diminution devrait même satisfaire les exportateurs. Sans la monnaie unique, les pays les plus affectés par la crise auraient déjà fait faillite. Ce n’est pas dans la fin de l’euro que se jouera la sortie de crise mais plutôt dans :

  • La définition de politiques économiques communes et soutenables. Pour cela, les intérêts particuliers des pays membres doivent être dépassés au profit d’intérêts communs. L’Europe ne peut pas être une simple puissance exportatrice ou un paradis fiscal. Une réflexion doit être menée sur la notion d’économie équilibrée et de bien-être des citoyens.

  • Le renforcement du budget de l’UE. Limité à 1 % du PIB de l’UE, le budget européen ne permet pas de faire face à des chocs économiques importants. La politique structurelle ne suffit plus à assurer un rattrapage économique des pays les moins développés. Une plus grande intégration budgétaire est donc nécessaire pour financer des politiques économiques communes ambitieuses et absorber les chocs économiques.

  • La définition d’une politique de change de l’euro. L’ajustement des monnaies internationales (livre, dollar, yen) ne doit pas se faire au détriment de l’euro. Le cours de l’euro, tout comme la valeur des actifs, doivent figurer parmi les objectifs de la BCE, au même tire que la lutte contre l’inflation.

  • La simplification du processus décisionnel de l’UE. Elle permettrait une prise de décision rapide et efficace que ne permet pas aujourd’hui la juxtaposition des multiples institutions que sont la commission, le conseil de l’UE, le conseil européen ou le Président du Conseil.