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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Une année de cygnes noirs

dimanche 19 décembre 2010
Des niveaux élevés de dette publique ont entraîné une crise de légitimité de la zone euro. Alors que les marchés ont totalement perdu confiance dans la capacité de certains pays à rembourser leurs dettes, l'Union européenne et le FMI ont dû sauver la Grèce puis l'Irlande. En contrepartie de la création d'un fonds de stabilité financière, tous les pays européens se sont accordés pour réduire leurs déficits publics en mettant en oeuvre des réformes drastiques, par exemple le relèvement de l'âge de la retraite. La situation actuelle est si instable que les gouvernements européens devront probablement intervenir en faveur du Portugal puis de l'Espagne, au risque de remettre en question l'idée même de monnaie unique. Sur l'échiquier politique, les mouvements populistes pourraient bien en profiter.

Cette situation dramatique de la zone euro s'inscrit dans le cadre d'un désordre monétaire mondial mené de pair par le "G2": d'un côté, la Chine est réticente à laisser sa monnaie s'apprécier face au dollar; d'un autre côté, les Etats-Unis ont lancé un assouplissement monétaire massif qui devrait faire du dollar une "monnaie de singe". C'est une fin de siècle: la Banque centrale bénéficie de l'indépendance politique pour faire fondre les dettes qu'un gouvernement ne saurait rembourser.

Les problèmes budgétaires et monétaires mondiaux ne retirent rien à l'urgence environnementale. Alors que les Etats-Unis ont connu la plus grande catastrophe écologique de leur histoire avec la fuite de BP, nous oublions que l'économie mondiale produit chaque année l'équivalent de 5000 marées noires.

Du point de vue scientifique, le Comité Nobel a souhaité remercier des économistes du travail ayant contribué à un des plus grands sujets de notre temps: le chômage. Comment peut-on expliquer en effet qu'un cinquième de la population mondiale ne puisse trouver un emploi alors que l'économie n'a cessé de croître depuis la Seconde Guerre mondiale?

Le sujet est d'autant plus d'actualité que beaucoup de commentateurs pensent que les jeunes générations seront sacrifiées. C'est probablement le rapport au travail des plus jeunes qui devra évoluer pour que la crise économique ne dégénère pas en conflit de générations. Cela implique également que nos démocraties ne soient pas teintées d'un clientélisme qui revient toujours pendant les périodes de crise. A voir en 2011...

WikiLeaks (4/4): prospectives pour l'industrie des fuites

vendredi 10 décembre 2010






Les publications de WikiLeaks et les réactions qu’elles ont provoquées rappellent les années ou le Peer-to-Peer a connu son essor et où des millions de chansons étaient devenues largement disponibles gratuitement. Tout comme le partage gratuit des chansons, le partage de l'information dérobée est un phénomène qui devrait s'amplifier et que rien ne peut plus arrêter.

Les gouvernements du monde ne seront pas capables de mettre fin a WikiLeaks. Si Julian Assange est assassiné, mille Julian Assange sortiront de l’ombre tout comme quand le site web de WikiLeaks est attaqué, 1334 sites miroirs font leur apparition. Et les dénonciateurs - les whistleblowers - des secrets gouvernementaux les plus embarrassants seront toujours au rendez-vous. Quel développement peut-on attendre du développement de l'industrie des fuites pour les prochaines années?

Fin 2011. WikiLeaks a publié 1 million de télégrammes. Julian Assange, innocenté dans l'affaire des viols suédois, est introuvable. Des rumeurs laissent entendre qu’il aurait été assassiné dans une banlieue londonienne. Des hackers s’emparent du site. Les militants de 4Chan réunis sous l’étendard de l’association « Anonymous » prennent la relève et refondent WikiLeaks. Leur meilleure défense est l’attaque, ils hackent systématiquement les sites internet de leurs opposants pour assurer leur survie.

2013. Les gouvernements font des purges au sein de leurs équipes. C'est une chasse aux sorcières contre les fournisseurs de fuites. Les tensions internationales augmentent. WikiLeaks a gagné la bataille juridique: la voie législative a échoué car les tenants de la liberté d'expression soutiennent les wikios. Le radicalisme de la transparence se renforce. Pas une seule loi ne pourra cadenasser Internet et menotter les visiteurs d’un site. Assange devient un martyr.

2015. Le secret diplomatique n’a plus de sens. Les politiciens et les diplomates prononcent chaque mot comme si le monde entier était a l’écoute. Les théories de la conspiration ont disparu. Le New York Times peut titrer que "WikiLeaks a sauvé la démocratie" en révélant à plusieurs reprises des complots contre les démocraties de l'Ouest. La démocratie redevient une Agora où tout se résoud par l'aval des citoyens de la cité mondiale. Le fantasme du village global est atteint.

2020. Il y a désormais des centaines de WikiLeaks, tantôt catalyseurs de la vie démocratique, tantôt Big Brother. LeaksPlus, un autre site de dénonciation du secret politique fait son apparition. Plus modéré, et avec une interface plus compréhensive, il garantit lui aussi l’anonymat absolu aux dénonciateurs.

La conclusion peut donc être la suivante: mettre Thomas Edison en prison n'aurait pas obscurci nos nuits à jamais. Certaines choses, y compris la volonté de transparence et de déstabilisation, ne peuvent être arrêtées.

WikiLeaks (3/4): les faux débats

jeudi 9 décembre 2010






Le débat sur la révélation des fuites des canaux diplomatiques de WikiLeaks ne porte pas tant sur l'opportunité de révéler des informations confidentielles que sur les nouvelles possibilités de diffusion liées au progrès technologique. De tout temps, des administrateurs, de simples salariés ou des "agents doubles" ont divulgué des informations secrètes. Ce qui change aujourd'hui n'est pas l'acte de divulgation mais bien la manière et la rapidité à laquelle l'information est obtenue. En quelques clics, un stagiaire du Ministère de la Défense ou des Affaires Etrangères peut télécharger des dizaines de notes diplomatiques - évidemment non-classées comme "Secret Défense" - et les diffuser quasi-immédiatement sur un "Wikio", un centre de partage. La liberté d'expression prend donc une forme inédite par les modes de diffusion mis en place et cela renvoit à toute l'importance des modes de stockage des données pour se protéger des fuites.
 
Du point de vue du citoyen et du droit à l'information, le cas WikiLeaks va au-delà de la question de la transparence, déjà débattue à plusieurs reprises. Bien évidemment, personne ne rêve d'une société panoptique dans laquelle chacun observerait les actions de l'autre dans ses moindres détails. En revanche, l'affaire pose deux nouvelles questions:
 
  • celle de la place du citoyen dans l'information puisque le contributeur de WikiLeaks est volontaire et encourt a priori à lui seul le risque juridique liée aux fuites;
  • la place du journalisme dans ce nouveau mode de diffusion puisque le traitement de l'information et donc son interprétation au regard des faits, plus que son obtention, retrouve une grandeur parfois étouffée par la simple révélation. La presse écrite de qualité tire donc son épingle du jeu alors même qu'elle était concurrencée par de nombreux sites d'information "brute" qui vivaient justement de simples "fuites".
Le risque lié à l'affaire WikiLeaks réside plutôt dans le niveau de sécurité et de rétention de l'information qui va être déployé dans les relations internationales et dans les activités économiques. La divulgation de positions diplomatiques, autant que la révélation des bavures américains en Irak, ou que la mise à jour de systèmes de corruption dans les multinationales, n'a rien de dangereux tant que la sécurité des auteurs et des personnes impliquées est respectée. En revanche, l'arrêt ou la diminution du partage des informations diplomatiques peut être dramatique tant la bonne compréhension et la coordination sont essentielles aux partenariats stratégiques.

Enfin, ne faisons pas de Julian Assange un défenseur de la liberté d'expression ou un anti-démocrate terroriste. Il n'a rien d'un idéologue et semble plutôt être un nihiliste qui utilise la liberté d'expression pour s'auto-promouvoir.

WikiLeaks (2/4): les Etats-Unis peuvent-ils condamner Assange?

mercredi 8 décembre 2010






Selon le Washington Post, le Ministre américain de la justice, Eric Holder, ainsi que le Pentagone auraient ouvert une enquête à l’encontre de Julian Assange, nouvelle bête noire de l’administration Obama.

Mais le Gouvernement des Etats-Unis peut-il juridiquement agir contre WikiLeaks ou son fondateur, Julian Assange ?

S’il est relativement aisé, selon le droit américain, de poursuivre une personne qui divulgue des informations protégées - le soldat Bradley Manning, corbeau présumé, risque 52 ans d’emprisonnement - il semble en revanche plus complexe de le faire pour une personne (ou une entité) qui ne fait que publier ces informations.

Le gouvernement américain se dirigerait vers un échec juridique certain s’il recherchait la culpabilité de WikiLeaks. Le site pourrait, en effet, se réfugier derrière la très large protection accordée aux éditeurs par le premier amendement de la Constitution américaine.

En revanche, une loi américaine contre l’espionnage, votée en 1917 durant la première guerre mondiale, pourrait mettre en cause Julian Assange personnellement. Selon cette loi (section 793e), est susceptible d’être poursuivie, toute personne qui a délibérément divulgué des informations en ayant conscience que cela puisse constituer une menace pour la sécurité des Etats-Unis.

Selon Scott Silliman, Professeur à l’Université de Duke (Caroline du Nord), le gouvernement américain devra, pour pouvoir invoquer cette loi, prouver que Julian Assange a joué un rôle actif dans l’obtention des documents et avait un mobile autre qu’informatif, c’est-à-dire une volonté de nuire. Ce serait cependant la première fois qu'un éditeur de contenus informatifs journalistiques bénéficierait d'un tel régime.

En outre, le gouvernement devra démontrer que les informations divulguées ont provoqué une réelle menace sur les intérêts américains, et pas simplement un embarras diplomatique, ce qui pour l’instant, ne semble pas être acquis.

Mais avant même ces considérations d’ordre probatoire, deux autres interrogations rendent encore plus complexe l’éventuelle incrimination de Julian Assange aux Etats-Unis.

Les Etats-Unis - dont la soif d’impérialisme juridique est notoire - ont-ils juridiction pour appliquer leur loi sur l’espionnage de 1917 alors même que les faits reprochés ont été commis à l’étranger par un citoyen australien ?

Et surtout, les Etats-Unis ont-ils la possibilité d’appréhender physiquement Julian Assange qui a pour l’instant trouvé refuge au Royaume-Uni ?

Les traités d’extradition -dans leur grande majorité - prévoient des refus d’extradition lorsque la personne en cause est accusée de crimes politiques, un argument qui pourrait être avancé par le Royaume-Uni à l’appui d’un refus d’extrader Julian Assange. Reste une dernière solution: le vote d'une loi visant précisément les provocateurs et à renégocier les accords d'extradition pour prendre en compte ce nouveau délit. Un nouvel espace de tensions entre ordre public et liberté d'expression dans lequel les Etats-Unis choisiront probablement l'etouffement financier et la décrédibilisation des méthodes employées par WikiLeaks.

WikiLeaks (1/4): le contrôle démocratique

mardi 7 décembre 2010
La publication par WikiLeaks de 250 000 télégrammes diplomatiques n’en finit pas de surprendre. Chaque jour, de grands quotidiens nationaux offrent une synthèse des relations diplomatiques internationales. Faut-il se réjouir d’une telle divulgation de documents destinés à rester confidentiels ou au contraire qualifier d'irresponsables les membres de WikiLeaks?

L'Observatoire des idées vous propose toute la semaine le point de vue de ses chroniqueurs.



De nombreux commentateurs estiment que la divulgation de ces télégrammes est préjudiciable pour les démocraties : en effet, elle peut mécontenter des alliés et accroître les tensions entre différents Etats et la susceptibilité de certains dirigeants. Les marges de manœuvre diplomatiques s’en trouveraient réduites alors que les menaces et les crises à résoudre sont toujours plus nombreuses. Selon cette approche, la transparence serait l’apanage des dictatures, lesquelles ne distingueraient pas la sphère privée de la sphère publique pour mieux contrôler les individus. En publiant de tels documents, WikiLeaks aurait agi comme Big Brother et menacerait la sécurité de nombreuses sources diplomatiques dans le monde.

En fait, les démocraties se sont précisément constituées sur la transparence, par opposition à l’opacité caractéristique des régimes despotiques. C’est ainsi que la publicité est au cœur de leur fonctionnement: les lois sont délibérées avant d’être promulguées, les décisions rendues publiques et expliquées, et le débat d’opinion est libre. Les seules restrictions concernent la raison d’Etat, laquelle est utilisée pour justifier le secret.

Au delà de l'interêt que peut susciter la retranscription des télégrammes, c'est la question de la place du secret et de la raison d'Etat dans une démocratie que pose WikiLeaks. Pour ce dernier, la diplomatie doit être placée sous le contrôle des citoyens et rendue publique comme le souhaitait le Président américain Wilson en 1918. Pour ses détracteurs, la diplomatie doit rester un domaine réservée de l'Exécutif et soustrait au contrôle du parlement et de l'opinion publique. En rendant public des télégrammes traditionnellement confidentiels, WikiLeaks renforce le contrôle démocratique des citoyens sur la diplomatie.

Reste que les révélations du site australien surprennent davantage par leur tonalité, directe et sans nuance, et par certaines anecdotes, que par le contenu des notes diplomatiques, lequel ne faisait pas mystère. WikiLeaks révèle alors moins les secrets diplomatiques des Etats que la progressive évolution du métier de diplomate: celui-ci ne fait plus preuve de subtilité pour décrire et expliquer les opinions des dirigeants. C'est peut-être cela qu'il convient de regretter.

La vidéo du lundi: Obama est-il l'avocat de Wall Street?

lundi 6 décembre 2010
Un charmant extrait de "Inside Job" qui passe un savon à l'administration Obama.


L'Euro n'est pas responsable de la crise

jeudi 2 décembre 2010


Alors que les plans d’aide à la Grèce et à l’Irlande ont été accordés, le cours de l’euro continue à baisser sur le marché des changes. Beaucoup craignent la propagation des crises grecques et irlandaises à l’ensemble de l’Europe, accentuant la défiance envers la monnaie unique. Celle-ci continue de susciter les critiques de tous bords au point que certains proposent de sortir de la zone euro. Pourtant l’euro n’est pas responsable de la crise.

L’euro : un échec ?

L’euro avait pour but de doter l’Union européenne d’une monnaie commune permettant d’éviter les crises de changes et ainsi assurer la stabilité macroéconomique de l’Europe. Sa mise en oeuvre en 2002 constitue une étape essentielle de l’intégration politique du contient.

La crise actuelle semble remettre en cause la capacité de l’euro à stabiliser l’économie de la zone. Désormais, les taux d’intérêts divergent considérablement entre l’Allemagne (2,60 % d’un coté et la Grèce (11,60 %) et l’Irlande de l’autre, les taux d’inflation et de chômage diffèrent en raison d’écarts de productivité (1,1 % en Allemagne contre 4,5 % en Grèce) et le rattrapage économique des pays les plus pauvres de la zone semblent terminé. Surtout, l’euro empêcherait les Etats de dévaluer leurs monnaies pour retrouver leur compétitivité et serait la victime de la guerre des monnaies à laquelle se livrent les Etats-Unis et la Chine.

L’euro n’est pas responsable de la crise

L’éclatement de la zone euro ne changera rien à la crise. A l’origine, il y a d’abord la crise financière et l’absence de régulation et de contrôle des banques ; il y a aussi des politiques économiques insoutenables menées par des pays pourtant érigés en modèles lors de la dernière décennie. Ainsi le modèle de développement irlandais fondé sur le dumping fiscal n’était pas soutenable tout comme le modèle espagnol fondé, entre autres, sur la construction et le boom du crédit immobilier. Quant à la Grèce te le Portugal, ils paient leur manque de compétitivité et, pour la Grèce, la falsification de ses comptes publics.

Les actuelles tensions sur le marché des changes et de la dette reflètent davantage les contradictions politiques de la zone euro que l’échec de la monnaie unique. Les Etats ont préféré des stratégies économiques de court terme, assises sur des bulles spéculatives et sans concertation avec leurs partenaires. L’Allemagne, première économie européenne, a ainsi choisi une stratégie non coopérative : en spécialisant son économie vers les excédents commerciaux au détriment de la demande intérieure, elle contribue à une concurrence exacerbée entre les pays européens et oblige les moins compétitifs d’entre eux à des choix économiques risqués et insoutenables.

La sortie de crise passe par davantage d’intégration européenne

La crise européenne souligne les limites de la gouvernance économique européenne : faute de politique économique commune et de budget commun, les critères de la dette publique et du déficit sont les seuls instruments, bien insuffisants, de coordination macroéconomique des pays européens. En l’absence de définition d’intérêts communs de l’Union, il est difficile aujourd’hui d’avoir confiance dans la monnaie unique.

La sortie de crise passe donc, non par l’éclatement de la zone euro, mais par une plus grande intégration économique européenne. Aujourd’hui côté à 1,30 $, la faiblesse de l’euro est toute relative. Sa diminution devrait même satisfaire les exportateurs. Sans la monnaie unique, les pays les plus affectés par la crise auraient déjà fait faillite. Ce n’est pas dans la fin de l’euro que se jouera la sortie de crise mais plutôt dans :

  • La définition de politiques économiques communes et soutenables. Pour cela, les intérêts particuliers des pays membres doivent être dépassés au profit d’intérêts communs. L’Europe ne peut pas être une simple puissance exportatrice ou un paradis fiscal. Une réflexion doit être menée sur la notion d’économie équilibrée et de bien-être des citoyens.

  • Le renforcement du budget de l’UE. Limité à 1 % du PIB de l’UE, le budget européen ne permet pas de faire face à des chocs économiques importants. La politique structurelle ne suffit plus à assurer un rattrapage économique des pays les moins développés. Une plus grande intégration budgétaire est donc nécessaire pour financer des politiques économiques communes ambitieuses et absorber les chocs économiques.

  • La définition d’une politique de change de l’euro. L’ajustement des monnaies internationales (livre, dollar, yen) ne doit pas se faire au détriment de l’euro. Le cours de l’euro, tout comme la valeur des actifs, doivent figurer parmi les objectifs de la BCE, au même tire que la lutte contre l’inflation.

  • La simplification du processus décisionnel de l’UE. Elle permettrait une prise de décision rapide et efficace que ne permet pas aujourd’hui la juxtaposition des multiples institutions que sont la commission, le conseil de l’UE, le conseil européen ou le Président du Conseil.

La vidéo du lundi: que pensent les Chinois de l'Europe?

lundi 29 novembre 2010
C'est un de mes humbles élèves à qui je rend la dédicace que je dois la découverte de la vidéo ci-dessous. Il trouvait que le vénérable Professeur Kuing Yamang tenait le même discours sur l'Europe que moi sur la Chine. Il a raison puisque:

  • Je pense que le modèle chinois s'autodétruit; il estime que l'Europe s'autodétruit;
  • Je trouve que le modèle social chinois manque d'investissements; il trouve le modèle social européen trop onéreux;
  • Je crois que l'Europe peut limiter les délocalisations en gardant un avantage de productivité; il pense qu'elle est condamnée par un coût du travail qui est trop cher;
  • Il me semble que la Chine est un pays peu rigoureux qui accumule des réserves de dollars sans raisons; pour lui, les européens sont irresponsables du point de vue budgétaire;
  • J'ai l'intime conviction que la Chine connaît une bulle existentielle financée par une politique commerciale agressive; il est persuadé que l'Europe - et en particulier la France - va se crasher à cause d'une bureaucratie inefficace.
Si la vidéo n'avait pas été fausse, je n'aurais retenu qu'une seule leçon de notre vénérable professeur: la mondialisation n'est pas un phénomène auto-centré sur les pays occidentaux et toute vision de l'Orient est bonne à prendre car elle nous montre une autre vision du monde.




Les Etats-Unis font "secrètement" défaut

mardi 23 novembre 2010












Quantitative easing: racheter des bons du trésor américain (de la dette publique) pour i) faire diminuer les taux d’intérêt américains et ii) assurer un financement permanent des dépenses publiques américaines.

Sans imprimer des billets qui seront jetés par hélicoptère aux citoyens américains, la banque centrale américaine est actuellement en train de créer artificiellement de la monnaie. En gros, elle rachète des titres de dette américains en les payant avec de la “fausse monnaie”, comme si un particulier rachetait la dette d’un autre particulier avec des billets de Monopoly.

Pourquoi le “QE2″ vu que les taux d’intérêts américains sont très bas et qu’à peu près tout le monde souhaite détenir de la dette américaine?

Tout simplement parce que la FED maîtrise les taux de court-terme et non les taux à moyen ou à long-terme. Ceux-ci sont trop élevés pour le financement de la dette publique et le fait d’acheter des titres de dette à long-terme permet de faire baisser les taux de long-terme.

La guerre des monnaies n’est peut-être pas seulement jouée par la Chine pour maintenir un yuan sous-évalué par rapport au dollar. Les américains vont diminuer le rendement de leurs titres financiers, ce qui pèsera essentiellement sur la Chine qui détient 3000 mds de dollars de bons du trésor.


La vidéo du lundi: l'euro n'est plus bling-bling

lundi 22 novembre 2010
L'euro n'est plus bling-bling. Fini le temps où Jay-Z montrait la devise européenne dans ses clips ou quand Giselle Bündchen demandait explicitement à être payée en euros comme le décrit très bien ce reportage de CBS. Même le Wu-Tang est revenu sur la décision de tarifer ses produits dérivés en euros. L'Iran qui avait un temps pensé à vendre son pétrole en euros n'a pas franchi le cap.

Monnaie et confiance ont la même racine latine fiducia. Depuis la crise grecque, la monnaie européenne a perdu de son glamour, de son bling-bling et probablement de la plus importante des choses pour une monnaie: de la confiance que l'on pouvait avoir en elle.




Economie de la mendicité

vendredi 19 novembre 2010






Je viens de redécouvrir une série d’articles de Julien Damon sur les « vagabonds », devenus aujourd’hui des « sans domicile fixe » (SDF). Damon montre à quel point au fil des siècles les « clochards» cristallisent l’anxiété sociale et sont la cible de toutes les politiques de lutte contre l’exclusion. De l’action répressive ayant pour objectif de sauvegarder l’ordre public à la mise en place du service public d’aide contre l’exclusion dont le but est de sauvegarder la dignité du vagabond; de la donation privée à la donation publique, le statut du mendiant se retrouve toujours à l’intersection de la sécurité et de la solidarité. Autrefois considéré comme une menace pour la sécurité des gouvernants, les vagabonds apparaissent aujourd’hui comme complètement irrationnels et désorganisés : si le Président de la République doit se méfier de la rue, il n’a pas à s’inquiéter de ceux qui dorment dans la rue.

D’où vient cette évolution? Le vagabond du Moyen Âge est indigent, oisif et mobile. L’Etat a donc très vite mis en place des moyens de lutter contre la mendicité et le vagabondage. Après avoir été condamnés pendant des siècles, le délit de vagabondage est systématisé à l’article 269 de l’ancien Code pénal et subsistera jusqu’au nouveau Code pénal de 1994. Sa pénalisation va de pair avec la reconnaissance d'un atavisme criminel, développé notamment par Lombroso au XIXème siècle. Dépénalisé au fil des années, le vagabond devient clochard. Il passe du paresseux criminel possédé par une envie d’errer au statut de victime de la société industrielle. Le droit au travail n’ayant pas été mis en place par la constitution de 1848, le « sans profession » n’est plus considéré sous le prisme du bon ou du mauvais pauvre mais sous celui du déclassement ou de l'exclusion.

Il demeure toutefois des sources inespérées de revenus pour les mendiants. Prenons l'exemple de la manche « active» dans le métro parisien, celle qui consiste à aller au contact des usagers des transports publics alors qu'il sont dans le mode de transport. Si notre mendiant travaille 5 heures par jour – disons de 10h à 16h avec une heure de pause consécutive dans la journée - il a un stock potentiel de travail de 300 minutes. Supposons qu’il reste en moyenne deux stations pour faire la manche ou pour jouer d'un instrument, ce qui fait potentiellement une centaine de «performances» possibles. Supposons que tous les quatre wagons, il laisse passer un train pour ensuite en prendre un autre : notre mendiant perd alors 4 minutes toutes les 15 minutes. Il ne peut donc utiliser que les trois quarts du temps total de la mendicité. Il ne reste plus que 75 actes de mendicité possibles. Comme il est en environnement concurrentiel, il doit passer son tour une fois sur cinq pour laisser la place à un autre mendiant. Il ne travaille donc effectivement que durant 60% du temps de travail total possible. A chaque « performance », il peut espérer gagner 40 cents d’euros, ce qui fait 24 euros par jour, environ 125 euros par semaine et 500 euros par mois. Si on prend en compte l'impact de la crise économique - les dons aux associations baissent de 9% et le nombre de SDF a, selon la fondation Abbé Pierre, augmenté de 80 000 à 100 000 individus lors des cinq dernières années - on pourrait imaginer qu'un mendiant en situation de crise ne puisse retirer que 350 euros de son activité. Il fait effectivement face à la conjoncture économique et à un surcroît de concurrence. C’est à peu près les gains de la mendicité déclarés par certains Roms.

Je regrette pour ma part qu’il n'y ait pas plus d'articles de recherche sur l’exclusion et le vagabondage malgré l'héritage de Foucault. Je continuerai si possible d'alimenter ce blog de billets sur la prostitution, la rue, la ville.


L'Irlande doit faire défaut

mercredi 17 novembre 2010






Consciente du fait que les fonds d’investissement étranger spéculent sur la faillite de l’Irlande, Merkel avait annoncé la semaine dernière qu’il n’y aurait pas d’aléa moral : si l’Irlande fait faillite, les détenteurs de titres de dette irlandaise devront également assumer une partie des pertes. Conséquence : les taux d’intérêt à 10 ans de la dette irlandaise ont atteint 9%, un record historique depuis la création de l’euro.

Lors de la crise financière grecque, à la mi-2010, l’Europe a mis au point un fonds de sauvetage de 440 milliards d’euros destiné à aider les états en difficulté. Un montant qui ne serait pas suffisant si l’Irlande, le Portugal et l’Espagne avaient besoin d’y recourir simultanément.

Alors que la dette irlandaise sera bientôt plus élevée que sa richesse nationale – avec un déficit annuel de 32%- l’Irlande devrait connaître une chute des prix de l’immobilier de 65%, une stagnation économique sur les dix prochaines années, une émigration massive, des taux d’intérêts élevés (supérieurs à 6%) avec une inflation très basse (donc des taux réels élevés).

Moralité : l’Irlande n’a pas d’autres options que de faire immédiatement défaut pour que le FMI, la Commission et l’Union européenne puissent restructurer sa dette avec la mise en place de réformes structurelles drastiques et la mise en place d'une politique économique plus équilibrée. Les contribuables irlandais ne peuvent porter à eux seuls le fardeau de la dette publique et l’impôt sur les sociétés irlandais - actuellement à 12,5% - devra être remonté à 28% au risque de voir les investissements directs à l’étranger s’effondrer. Le financement de la dette irlandaise devra se faire par la Banque centrale européenne, c’est-à-dire par l’ensemble des Etats européens. A l’heure actuelle, ni Bruxelles, ni le FMI ne souhaitent venir en aide à l’Etat irlandais.

Pourtant la faillite irlandaise cache quelque chose de bon. Elle représente effectivement un pas en plus dans la construction de l’Europe. Petit à petit, nous convergeons vers l’idée qu’il est nécessaire de maintenir une croissance équilibrée (qui ne se fait pas au travers du financement de bulles immobilières avec des déficits et une dette publique modérés) et qu’une zone monétaire ne peut exister qu’avec la mise en place d’un fédéralisme budgétaire.

Par fédéralisme budgétaire, je n'entends pas le transfert de la levée de l'impôt à Bruxelles mais le fait de consacrer 1 point de PIB en plus au financement de politiques communautaires et à un fonds de sécurité pour faire face aux récessions. Faisons en sorte que l’Europe avance.

Sarkozy et l’art de la stratégie politique

mardi 16 novembre 2010





Je viens de relire les pages centrales de l’Art de la stratégie par Avinash K. Dixit et Barry J. Nalebuff. Sans être un insider de l’Elysée, j’avais pronostiqué la stratégie suivante:

- Sarkozy veut préparer l’élection de 2012 et décide de se recentrer sur son électorat traditionnel en se séparant des ministres de l’opposition ;
- il veut se poser en candidat naturel et décide de nommer un Premier ministre qui ne fait pas de vagues : Michelle Alliot-Marie ;
- conscient que le centre-droit va présenter un candidat en 2012 et soucieux de ne leur laisser que les non-présidentiables, il décide de garder des centristes au gouvernement, dont un des chefs de file, Jean-Louis Borloo, prend le ministère des finances et la gestion de l’ensemble de la politique sociale (puisque Morin n’est pas une véritable menace) ;
- son plus grand opposant à sa propre succession étant Fillon, il fait comprendre à ce dernier que s’il ne se représente pas, il lui passera le flambeau pour 2012.

Comme je considère Sarkozy comme un stratège politique rationnel, le remaniement actuel me semble révélateur de la réalité des faits du château :

- Sarkozy prépare 2012 et se recentre donc sur l’électorat UMP traditionnel, moins bling-bling et plus conservateur ;
- conscient de l’hostilité des Français, il préfère se cacher derrière un Premier ministre apprécié : François Fillon ;
- conscient que le centre-droit va présenter un candidat en 2012, il les laisse se diviser et pense à réintégrer un Borloo décrédibilisé par un Morin qui a gardé la main sur le parti en lui promettant d’être Premier Ministre en 2012 ;
- son plus grand opposant étant Fillon, et Sarkozy ayant définitivement décidé de durer, il préfère utiliser Matignon comme bouclier. Sarkozy sait que Fillon est un vilain manipulateur – rancunier de surcroît - tantôt séguiniste, balladurien, chiraquien qui n'hésitera pas à se positionner en candidat de centre-droit.

Sarkozy a donc respecté les commandements de la stratégie :

- anticiper les réactions de ses adversaires ;
- faire passer le remaniement pour un simple toilettage : perdre un peu de crédibilité auprès des commentateurs politiques ou de l’opinion publique ne retire rien à la satisfaction des militants UMP qui voient Fillon et des ministres de droite au gouvernement ;
- volontairement libérer les centristes pour connaître assez tôt le paysage de la course à la présidentielle de 2012 et évaluer les risques d’un 21 avril à l’envers ;
- s’échauffer à l’exercice de campagne en faisant appel aux idéologues de droite non sarkozystes ;
- faire la paix avec d'autres leaders d’opinion de l’UMP ( Baroin – Jacob – Juppé) ;
- dégraisser stratégiquement : Dati, Devedjian, Estrosi et Woerth attendront sagement qu’on les rappelle ;
- soigner la communication gouvernementale : Baroin a le ton et le discours parfaits pour dire aux français que l’on va légèrement augmenter les impôts…

Pour le PS, la meilleure stratégie serait :

- de faire des propositions populaires, réalistes et simples sur tous les sujets institutionnels, économiques et sociétaux ;
- d’avoir un « shadow cabinet » qui ne parle que d’une seule voix, sans qu’il n’y ait forcément de candidat désigné avant septembre 2011 ;
- de miser sur l’antisarkozysme primaire, un discours mou ou consensuel ne marchera pas ;
- de combiner « l’égalité pour tous » qui n’est rien d’autre que l’égalité des possibles, qui constitue un véritable programme politique, et le discours démocratique et libéral d’une « gauche moderne » ;
- d'éviter les références à Mitterrand ou à Jospin ou d’une manière générale à « la gauche qui gagne » dont l’impopularité est aujourd’hui plus qu’avérée : Mitterrand traîne derrière lui tellement de boulets et Jospin est si peu sympathique que leur simple évocation fait fuir l’électeur médian ;
- assumer les 35 heures: elles ont créé des emplois, la France n’a pas perdu en compétitivité, personne ne voudrait travailler 5 heures de plus gratuitement ou sous la pression du licenciement. C’est par ailleurs un problème organisationnel inexistant dans la plupart des filières ;
- …mais renforcer le droit au travail et la possibilité de réellement travailler plus et de réellement gagner plus.

L'observatoire des idées devient matinal

jeudi 11 novembre 2010
Votre humble serviteur est intervenu plusieurs fois à la Matinale de Canal +. Des vidéos sont disponibles ici. Pour voir la dédicace de Maïtena, il faut regarder la fin de cette vidéo.

Les réseaux sociaux prouvent leur capacité à changer le monde des sciences économiques

vendredi 5 novembre 2010


La course entre démocrates et républicains pour le Sénat et la chambre des représentants n'était pas une course serrée. Quiconque suivait de près, ou même de loin, l'évolution de la popularité d’Obama ou le taux d’acceptation des projets de loi démocrates, aurait pu deviner quel parti occuperait les deux assemblées pour les 4 ans à venir.

Seulement le jeu des experts est un jeu simple : il consiste à être le plus précis possible. Toutes les grandes chaînes télévisées ont eu recours aux réseaux sociaux pour promouvoir leur version de l’histoire, et faire la publicité de leur couverture des évènements. Toutefois, une seule chaîne a pensé à utiliser ces mêmes réseaux pour affiner ses pronostics: CNN.

En effet, CNN a eu recours à un cabinet spécialisé dans l’analyse des réseaux sociaux (un cabinet nanoéconomique pour ainsi dire) pour mieux suivre et prévoir le résultat des élections. L’aboutissement est pour le moins étonnant.



CNN avait déjà choisi d’utiliser un camembert représentant les réactions instantanées des tweeters au discours d’Obama à la Nation. Plus rapides à récolter que les données de questionnaires traditionnels, plus personnelles et plus fiables, ces données sont devenues le nouveau minerai des chaines d’information en très peu de temps.

Mais la ruée vers l’information sociale ne mène en aucun cas à la raréfaction de ce minerai. Bien au contraire, elle cause sa multiplication. Ainsi, si l’on prend en compte que 5,4 millions de personnes ont cliqué sur le bouton de l’application Facebook ‘’I voted’’ (j’ai voté) pour l’élection présidentielle en 2008, et que 12 millions l’ont fait pour leurs votes il y a quelques jours, on peut calculer une augmentation de 122% sur 2 ans mais surtout, et dans les deux cas, plus d’opinions recensées que dans n’importe quelle enquête d’opinion.

Le cabinet nanoéconomique partenaire de CNN a d’autre part suivi de près les résultats de la course du Nevada entre la républicaine (si l’on peut appeler ainsi une favorite du Tea Party) et le démocrate Harry Reid. Sur 45,000 tweets, 32,209 exprimaient des opinions politiques sur la période analysée. Les pro-Reid / anti-Angle formaient 55% de l’échantillon twitter et les pro-Angle / anti-Reid 45% des opinions exprimées. Tous les sondages traditionnels montraient un Angle avec un mandat renouvelé. Le 3 Novembre, Reid remporte 50,6% des voix face à Angle qui n’obtient que 44,6% des votes. Plus parlant encore, le cabinet montre que les candidats avec plus de fans sur Facebook que leurs adversaires ont réussi à remporter 74% des sièges du Sénat alors que les candidats pour la chambre des représentants avec plus de fans que leurs opposants ont remporté 81% des places.

Ce qu’on retient de ces histoires, c’est un lien bien plus fort qu’on ne le pensait entre l’attitude des utilisateurs des réseaux sociaux et le comportement réel de ces mêmes personnes. En d’autres termes, une personne se déclarant fan d’une autre ou d’un film ou d’une bande musicale sur Facebook est aussi celle qui sera prête à se déplacer, a faire un effort pour traduire ce même intérêt dans la réalité. Il y a de grandes chances que si on ‘’like’’ un groupe de rock, on prenne des tickets pour son concert en ville ou qu’on achète le dvd de notre film du moment, tout comme on prendra la peine d’aller voter le jour des élections pour le politicien qu’on préfère sur Facebook. Au final, il y a une cohérence forte entre le comportement adopté dans la réalité et celui adopté dans la sphère numérique. Assez fort pour faire de ce dernier l’approximation la plus fiable de la réalité humaine. Une nouvelle surface à étudier.

Et c’est alors que ressort l’inévitable question : "et alors?". Et alors, si on change les sources d’information des sciences économiques, on ne change pas pour autant les sciences économiques en elles-mêmes n’est ce pas ? Et c’est la que s’impose la seule réponse possible au son du glas de la révolution à venir : si on considère les sciences économiques comme un travail a trois étapes impliquant idéalement

1. La récolte des inputs
2. Le traitement de ces entrées
3. Et la production d’outputs

Donc si une révolution survient dans la première étape, alors les deux autres seront affectées. En d’autres termes, dans une science où le modèle est maître et où soudainement l’information qu’on pensait rare devient abondante, n’est-il pas temps que le maître s’écarte ? N’est-il pas temps que le modèle économique dans toute sa grandeur s’éclipse ? Car pourquoi modéliser un monde que l'on peut enfin observer ?

Voici ce qu’on appelle la nanoéconomie - l’économie a l’échelle humaine, celle qui prépare la fin du modèle économique.

"ModelCop", le modèle qui prédit la criminalité

mercredi 3 novembre 2010

Dans les années 1980, l’idée de créer un robot policier pour combattre les criminels avait séduite Hollywood au point de produire et de réaliser le film Robocop, le « robot flic ». Récemment, George Mohler, un chercheur en mathématiques de l’université de Santa Clara, a créé un modèle permettant de prévenir les actes criminels qui font suite à un délit. Robocop laisse ta place, Modelcop, le « modèle-flic » est né.

Que fait ce modèle prédictif exactement? Il compare les crimes à un séisme. Lorsqu’un tremblement de terre a lieu, d’autres secousses peuvent suivre sur des plaques telluriques peu éloignées. Des modèles séismologiques sont capables de tracter ces secousses selon l’amplitude et l’épicentre du séisme.

Pour Mohler, il est possible d'appliquer ce type de modèles à certains crimes, comme les cambriolages ou les affrontements entre gangs. En partant d’un premier cambriolage, il est ainsi possible de prédire quels seront les quartiers et même les segments de rue qui seront visés avec la plus grande probabilité par un cambriolage la semaine d’après. L'utilisation d'un tel modèle par les forces de police aurait pu réduire de 25% le nombre de cambriolages.

L’équipe de recherche applique également ce modèle à trois gangs rivaux de Los Angeles. Sur un jeu de données de 1999 à 2002, ils montrent que leur modèle de séismologie peut prédire au mètre près les lieux de violence qui surviennent après un premier litige entre les gangs.

Appliquons-le au cas français. Les départements avec des forces de police limitées devraient avoir recours à cet outil. La cartographie des émeutes de 2005 montre que l’épicentre du séisme est Clichy-sous-Bois. Suivent des émeutes à Montfermeil, Aulnay-sous-Bois, le Blanc-Mesnil, Tremblay-en-France et dans toute la Seine-Saint-Denis avant que la contagion des émeutes ne gagne toute la France. Il est toutefois difficile de penser que les forces de police du département champion des atteintes à l'intégrité physique auraient pu lutter contre le soulèvement de 2005. En revanche, compte tenu du sous-effectif choquant des forces de police dans le 9.3 - au regard du nombre de policiers par habitants dans les Hauts-de-Seine - il est judicieux de souhaiter que ce type de modèles soit testé à défaut de ressources humaines.

Lutter contre les incivilités pour prévenir la délinquance?

mardi 2 novembre 2010






L’environnement dans lequel on évolue – la « structure » comme dit Lévi-Strauss - détermine une part de notre existence. Une équipe de chercheurs de l’université de Groningen a montré un lien entre la fréquence de graffitis et des autres formes de petite délinquance et le comportement d’un individu. Le résultat est simple : vivre dans un environnement délabré incite à commettre deux fois plus d'actes de vandalisme.
Le lien entre psychologie et désordre physique est une idée développée dans les années 1980 par George Kelling. La théorie de Kelling est la suivante : la tolérance zéro sur la petite délinquance permet de lutter contre la criminalité en général, y compris contre les délits de grande envergure. L’exemple développé par Kelling est assez connu. Quelques carreaux cassés dans un building vide amènent rapidement à d’autres carreaux cassés, puis à des actes de vandalisme plus importants dans le bâtiment. Lutter contre les incivilités permet alors de prévenir d’autres actes de vandalisme et probablement même d’empêcher la montée en puissance de futurs délinquants. C’est en vertu de cette théorie que New York est devenue sous Rudy Giuliani une des villes les plus sures des Etats-Unis.

De nombreuses villes européennes, y compris Paris, se donnent pour objectif de lutter contre les incivilités afin de lutter plus généralement contre la délinquance, ce qui semble appuyer la théorie de Kelling. Il existe cependant une pluralité d'autres facteurs qui influencent la criminalité et qui sont ignorés par Kelling tels que la pauvreté, la qualité du logement et la sévérité des peines lourdes. Il y a évidemment une considération sociologique à prendre en compte et c’est dans ce cadre strict que la théorie de Kelling est crédible : un comportement en société peut être diffusé et ainsi entraîner un autre comportement. C’est précisément ce que teste l’équipe de Groningen dans plusieurs études expérimentales. Prenons deux exemples.

D'abord celui de deux allées concomitantes contenant chacune deux bornes de vélos de location (type Vélib’) : une dont les murs sont repeints à neuf et une autre entièrement tagguée dans laquelle des ordures sont disposées à terre. Les deux parties de l’allée contiennent un panneau interdisant les graffitis. Sur chaque vélo, une banderole publicitaire d’une marque de sport est collée sur la borne de rattachement au vélo et doit donc être retirée au moment où le vélo est détaché pour usage. L'utilisateur du vélo a trois choix: garder la banderole (ordre), la poser sur un autre vélo ou la jeter à terre (désordre dans les deux derniers cas).

Afin de garder l’indépendance des évènements, chaque banderole jetée à terre a été systématiquement ramassée. Dans la partie du passage entièrement tagguée, 66% des utilisateurs avaient un comportement non civique. C’est deux fois plus que ceux qui utilisaient un vélo dans la partie de l’allée repeinte.

Un autre résultat significatif est celui du vol. Dans une zone considérée en désordre, un même individu a deux fois plus de chances de voler que dans une situation d'ordre. L'expérience est la suivante: une enveloppe contenant en apparence un billet de 5 euros est coincée dans la fente d'une boîte aux lettres. L'enveloppe est volée dans 13% des cas dans une condition d’ordre mais dans 25% des cas dans une condition de désordre, c'est-à-dire quand la boîte aux lettres est tagguée et que des déchets sont répartis autour. Le message est donc clair en termes de politique publique. Il faut empêcher le développement des incivilités pour lutter contre la délinquance.

Maurice Allais, inventeur de l'économie moderne

lundi 25 octobre 2010





Le 9 octobre dernier, peu avant la remise du prix Nobel 2010 à trois économistes du travail, Maurice Allais est décédé à l’âge de 99 ans. Quasiment inconnu des nouveaux étudiants en sciences économiques, l’unique français à avoir reçu à ce jour la distinction ultime pour un chercheur en économie aura participé à la découverte et au développement de nombreux piliers de la théorie économique moderne, de la maximisation du bien être aux modèles intergénérationnels. Maurice Allais était également un penseur de l’économie politique et ses travaux sur les marchés financiers, développés dans les années 1940, n’auront jamais eu depuis une telle actualité.

Libéral, Maurice Allais l’était. Défenseur du libre-fonctionnement des marchés dont il montrera l’efficience par l’équilibre entre l’offre et la demande, l’économiste était défavorable à toute entorse aux règles du marché concurrentiel comme la mise en place d’un salaire minimum. Soucieux du respect de la propriété privée, sa « réforme fiscale » visait à remettre le travail au centre en supprimant l’impôt sur le revenu et sur les profits des entreprises, et en maintenant une TVA élevée et un impôt sur le capital censé frapper l’épargne des plus riches. Bien qu’illusoires, ses considérations sur l’impôt rejoignent certains débats récents sur la fiscalité du capital ou sur le relèvement de la TVA pour pallier une baisse des cotisations sociales.

Immensément respectueux du travail et du mérite, Maurice Allais considérait les rentes du capital comme injustes car indépendantes de l’activité de son détenteur. Il se montrait en revanche peu favorable à certaines politiques visant à corriger les inégalités économiques et sociales. Certains économistes ne cesseront de lui reprocher d’avoir une approche élitiste de la société. D’autres retiendront comme message principal que l’efficacité économique n’est pas morale et que le fonctionnement optimal des marchés produit de l’inégalité.

Maurice Allais était pourtant sceptique quant aux bienfaits du libre-échange et au fonctionnement des marchés financiers. Il plaide en faveur d’une fédération européenne associée à une monnaie unique mais se méfie de la globalisation des marchés financiers et de la liberté de circulation des capitaux. Très marqué par la crise des années 1930, il pointe le rôle des banques et des établissements de crédits dans l’origine des crises : ceux-ci multiplient les crédits en période de croissance économique et créent donc des bulles et de l’inflation. Dans la lignée des monétaristes, Maurice Allais considère l’inflation comme un « mal suprême » qui fausse l’équilibre des marchés en modifiant les prix des biens et en diminuant artificiellement la valeur de l’endettement. Il était donc favorable aux politiques monétaires austères mais ne croyait pas à l’autorégulation du système financier.

Mais c’est probablement dans son analyse de la psychologie des individus que Maurice Allais retrouve toute son actualité. Très proche de Keynes dans son analyse des anticipations des agents économiques, il tentera de modéliser avec un succès mitigé les décisions psychologiques des individus en prenant en compte l’importance de la mémoire collective dans les décisions présentes. Nul ne doute que le facteur « mémoire » joue un rôle important dans les attaques spéculatives contre la zone euro : celle-ci est jeune, donc peu crédible en termes de politique économique et construite suite à la crise du système monétaire européen de 1992. Bien avant cette tentative de modélisation, son paradoxe remettant en cause l’hypothèse de rationalité des individus en situation d’incertitude aura ouvert des champs infinis de recherche en probabilités et en économie expérimentale. Ainsi, lorsque deux gains identiques sont présentés différemment, un individu préférera toujours le choix qui lui semble le plus protecteur et sécuritaire mais face à la ruine, il se montrera toujours optimiste. Une « euphorie financière » bien réelle avant la crise des subprimes.

Tantôt keynésien, tantôt monétariste, Maurice Allais restera un penseur non identifié de la science économique, ayant ouvert le pas à la formalisation de l’économie moderne.

Un observateur des idées remporte le concours TED

vendredi 22 octobre 2010
Halim Madi, économiste en mission secrète au sein d'une banque d'investissement et chroniqueur régulier de l'Observatoire des idées a remporté le concours de la meilleure présentation TED. Vous pouvez lire son blog - y figure un article sur Mandelbrot - et consulter l'évènement TED: il y a présenté sa vision de l'économie moderne, ce qu'il appelle la Nanoéconomie, déjà évoquée dans un article de l'observatoire des idées.

Bravo à Halim, un observateur dont on entendra encore parler.

Retraites: dernier round?

mercredi 20 octobre 2010

Il y a tout juste un mois, j’évoquais dans un post le problème des retraites. Je reviens cette fois sur une question connexe à celle de la réforme: l’égalité entre travailleurs et le rapport des français au travail.

L’égalité entre travailleurs et entre retraités est la base des mouvements sociaux. Le système des retraites à la française ne dépend pas seulement des années de cotisations (donc du montant effectivement cotisé) mais essentiellement des “salaires des meilleures années” pour le calcul du montant de la pension. Compte tenu des écarts salariaux entre cadres et ouvriers, et de la stabilité du salaire ouvrier au long d’une carrière, un cadre cotise moins longtemps car il entre plus tardivement sur le marché du travail mais le rapport entre niveau de retraites reproduit les écarts de salaire, ce qui est injuste compte tenu du fait qu’un ouvrier cotise plus longtemps en moyenne!

Le deuxième facteur d’inégalité est liée à la pénibilité du travail. Le gouvernement a allégé son dispositif de retraites pour les “carrières longues”. L’idée est noble: faire en sorte qu’un ouvrier qui ait dépassé ses 41,5 années requises de cotisation puisse bénéficier de ses années de retraite en bonne santé. Les cadres ont une espérance de vie de six ans plus élevée que les ouvriers et une espérance de vie en “bonne santé” de dix ans supérieure. Autrement dit, un ouvrier a une espérance de vie sans incapacités jusqu’à 67 ans en moyenne. Le faire travailler deux années de plus, c’est prendre deux ans de ses plus belles années.

Le dernier enjeu est le rapport des français au travail. Nombreux sont ceux qui s’estiment fatigués, démotivés ou aliénés par le travail. De nombreux travaux ont mis en perspectives le manque de confiance qui règne dans la société française. Yann Algan et Thomas Philippon évoquent la question depuis plusieurs années: la France perd en potentiel de croissance par le manque de confiance qui existe sur le marché du travail. Pour Algan, c’est potentiellement deux points de PIB qui sont perdus chaque année. Pour Philippon, c’est tout simplement une méfiance envers la réussite qui mine le modèle français. Le travail est surtout un environnement qui peut être abordé par la lunette sociologique avec Dominique Meda qui le qualifie de “fait social total” ou via l’œil du gestionnaire d’Iribarne qui montre que la logique de l’honneur peut être une plaie pour les grandes entreprises françaises.

Le dernier round de la réforme nous dira si le rapport au travail des français est amené à évoluer ou non dans les années 2010.

Une semaine de réflexion sur les travaux des Prix Nobel 2010 d'économie

lundi 18 octobre 2010


C'est après une semaine (interrompue) de réflexion sur le Sveriges Riksbank Prize 2010 que votre humble serviteur décide de résumer les travaux de Peter Diamond, Dale Mortensen et Chris Pissarides.

Les trois professeurs ont dédié leurs recherches aux marchés à frictions, c’est-à-dire les marchés sur lesquels les offreurs et les demandeurs ne se rencontrent pas automatiquement. C’est le cas en particulier du marché du travail qui est à la fois très réglementé en termes d’embauche et de licenciement, mais qui connaît également un prix plancher – le salaire minimum – qui peut distordre les relations entre offre et demande de travail.

C’est là que nos lauréats innovent. Le premier est Mortensen qui théorise le chômage volontaire - comprenez le chômage transitoire des qualifiés - comme le résultat d’un comportement de maximisation des revenus. Autrement dit, un individu rationnel refuse d’occuper un emploi s’il estime pouvoir trouver un emploi plus intéressant dans un avenir proche. La durée du chômage est donc très liée au niveau de qualification des chômeurs: les plus qualifiés ont accès à un flux d’emploi plus important et restent donc moins longtemps au chômage.

A peu près au même moment, Diamond développe la théorie des externalités dans la recherche d’emploi en montrant que chaque individu en plus sur le marché du travail vient congestionner le marché, de la même manière qu’un flux de voitures peut créer un embouteillage. L’assurance chômage est donc utile car elle permet aux demandeurs d’emploi de « passer leur tour » et de limiter ainsi les « embouteillages » sur le marché du travail en laissant vacant un emploi qui correspondrait mieux à d'autres qualifications.

Les auteurs seront également à l’origine de la montée en puissance des politiques actives de l’emploi visant à assurer le « matching » ou en français la « bonne rencontre entre un employeur et un demandeur d’emploi ». Le cadre théorique du « matching » serra développé conjointement par Mortensen et Pissarides au début des années 1990. Leur modèle sera une véritable révolution pour les économistes du travail. D’une part, parce qu’ils raisonnent en termes de flux de chômeurs et non de stock. Ensuite, parce qu’ils intègrent l’impact du cycle économique sur le marché du travail. En temps de crises, la hausse du chômage résulte de l’augmentation des licenciements et de la diminution des offres d’emplois, il y a donc double contraction de l'offre d'mplois.

Le cadre théorique des "nobélisés 2010" a permis de réformer les politiques de l'emploi. D’abord, en préconisant des politiques actives. Favoriser le « matching » impose de mettre en place une formation « tout au long de la vie » et des mécanismes de requalification ambitieux. Ensuite, en apportant des éléments de réflexion plus subtils sur les caractéristiques de l’indemnisation du chômage, et très éloignés du cadre conceptuel de Jacques Rueff dans les années 1930 selon lequel les revenus de remplacement créaient du chômage volontaire.

Les Chinois doivent augmenter le prix de leur Big Mac

dimanche 17 octobre 2010


Ce post ne fait pas référence à l'obésité des jeunes chinois mais à la sous-évaluation chronique du yuan par rapport au dollar. Comprenez les autorités monétaires chinoises modifient artificiellement le taux de change du yuan vis-à-vis du dollar en achetant massivement des bons du trésor américain.

Pourquoi une telle manipulation? Parce que les entreprises chinoises exportent énormément vers les Etats-Unis. Sans intervention des autorités monétaires chinoises, le yuan serait très fort par rapport au dollar car les Etats-Unis demandent beaucoup de produits chinois. Dans les faits, c'est le contraire qui se passe car Pékin a décidé d'acheter des titres de dette américain pour faire en sorte que le dollar soit surévalué par rapport au yuan et ainsi continuer à exporter vers les Etats-Unis à bas prix. Les entreprises chinoises ont ainsi des produits doublement compétitifs vis-à-vis des Etats-Unis: d'une part parce que le niveau des salaires est bas, d'autre part parce que le yuan est bas par rapport au dollar.

En réalité le yuan est sous-évalué par rapport au dollar d'au moins 40%. Autrement dit, les américains payent les biens chinois 40% moins chers que leur prix réels. En quoi est-ce dramatique pour les Etats-Unis? Environ 3000 milliards de dollars ont été stockés par les pays asiatiques. A supposer que la Chine ne veuille plus détenir des réserves énormes de dollars, c'est potentiellement 2000 milliards de dollars qui se retrouveraient du jour au lendemain sur le marché des changes, de quoi faire chuter brusquement le dollar par rapport au yuan mais également par rapport à d'autres monnaies comme la zone euro.

Le Big Mac Index nous permet de mesurer la sous-évaluation du yuan par rapport au dollar. Pour la stabilité économique mondiale, le prix du Big Mac chinois doit augmenter progressivement de 40% comme cela apparaît nettement sur le tableau ci-dessous. Pourquoi utiliser le prix du Big Mac? Parce qu'il s'agit d'un bien produit localement à partir de facteurs de production locaux et d'une main d'oeuvre locale. Il s'agit par ailleurs d'un bien qui a grosso modo la même valeur sociale dans tous les pays.  Le retour à une parité non manipulée serait négatif pour la Chine qui exporterait moins vers les Etats-Unis mais également pour ces derniers car il rendrait a priori plus difficile le recyclage de leur dette publique.

Keynes: grand gagnant?

lundi 27 septembre 2010







Dans un article sur son blog, Catherine Rampell, économiste et journaliste au New York Times montre un graphique intéressant qui reprend les réponses des PME à la question « quel est votre plus grand problème pour le moment ? » posée par le N.F.I.B. (National Federation of Independent Business).



Il est clair sur le graphique que les « poor sales » ou la faible demande qui apparaît en jaune ressort comme le facteur le plus problématique pour les petites entreprises au sein du ralentissement que connaissent les États-Unis pour le moment. Suivent les impôts mais loin derrière. Ce graphique semble valider l'idée keynesienne - appuyée par Krugman - selon laquelle la sortie de crise ne se fera que par un investissement public fort dans l'économie et par un soutien aux revenus.

Qu'en est-il de l'Europe? La Commission européenne mène le même type d'enquête pour chaque pays européen. Prenons l'exemple de la France qui attaque un plan de rigueur de trois ans.



De la même couleur jaune, la demande semble être le principal goulot d'étranglement à la relance économique en France. Ne risque-t-on pas de s'auto-sanctionner en commençant la rigueur?

Une marée noire oubliée depuis trop longtemps

mercredi 15 septembre 2010

A 9 000 km au sud-est du golfe du Mexique, une marée noire permanente détruit la vie des 30 millions d’habitants du delta du Niger. Depuis 1958, plus de 13 millions de barils de pétrole, soit 2 milliards de litres, ont été déversés dans cette zone géographique. En ordre de grandeur, cela représente 10 fois la marée noire du golfe du Mexique et 40 fois l’Exxon-Valdez. C’est donc grosso modo la catastrophe de l’Exxon-Valdez qui se déroule chaque année depuis 50 ans dans le delta du Niger sans que l’opinion publique mondiale ne s’en émeuve.

Si le delta du Niger est la zone qui a connu la plus forte augmentation du nombre de barils produits en haute mer lors des vingt dernières années, les fuites en cause proviennent pour l’essentiel d’oléoducs terrestres. Le niveau de contamination n’est pas pour autant moins important que dans le golfe du Mexique : toute l’économie locale a été ruinée. Dans un rapport publié il y a tout juste un an, Amnesty International, une organisation non-gouvernementale, insiste sur les conséquences humaines de la catastrophe : l’eau et les terres étant complètement souillées, l’agriculture et la pêche – principales ressources économiques hors pétrole - sont désormais impossibles. Au final, plus d’une dizaine de droits de l’homme (droit à l’eau, à l’information, etc.) sont bafoués.

La principale compagnie en cause, Shell, se défend en évoquant l’importance du vandalisme dont elle est victime. Selon la compagnie pétrolière, 98% des fuites seraient dues à des actes de sabotage et de vol consistant à percer les oléoducs. Il est vrai que la situation du delta du Niger est exceptionnelle puisque Shell - présente dans une centaine de pays - totalise 40% de ses fuites dans cette zone. Mais compte tenu de l’âge de son réseau d’oléoducs dans la zone contaminée (40 ans en moyenne quand la durée de vie est de 25 ans), l’explication la plus vraisemblable pourrait être que le remplacement du réseau coûte plus cher que de laisser fuir un pétrole plutôt bon marché.

Pourquoi devrions-nous nous sentir responsables de la tragédie du delta du Niger ? Tout simplement parce que l’Afrique consomme 10 à 15 fois moins de pétrole par habitant que les pays du Nord. Les populations africaines payent en quelques sortes notre dépendance à l’or noir. La marée noire du delta du Niger semble par ailleurs être la plus inquiétante pour l’avenir: si les fuites de la plateforme Deepwater Horizon sont désormais réparées, les fuites du delta du Niger ont quadruplé entre 2007 et 2009. La pression médiatique pourra peut-être enfin donner l’impulsion nécessaire à la mise aux normes du réseau d’oléoducs et à l’indemnisation des populations. A l’image de la nouvelle régulation sur la sécurité des plateformes pétrolières, c’est une réflexion en profondeur qui doit être menée au niveau des institutions internationales sur les industries extractives et leur impact sur les populations locales.

Convergence nominale sur les retraites en Europe

mardi 14 septembre 2010
L'Europe s'est construite sur des critères de convergence nominale en termes d'inflation, de déficits, de dette, de taux d'intérêts, de niveau de R&D, d'emplois des séniors, et bientôt d'âge de départ à la retraite?


A votre avis, ou se situent les français en termes d'âge de départ à la retraite et de coût du système des retraites?

Réforme des retraites: avantages et inconvénients

jeudi 9 septembre 2010

Par pudeur, votre humble serviteur ne s’était jamais exprimé sur la réforme des retraites. Je pense qu’il est temps de vous donner mon point de vue sur les avantages et les inconvénients de la réforme du gouvernement.

Opportunité de la réforme

Du point de vue des équilibres démographiques, la réforme est nécessaire. Il y a actuellement 1,8 actif pour 1 retraité mais ce ratio sera de 1,2 pour 1 à l’horizon 2030. Le système par répartition à la française avait été mis en place dans un contexte où il y avait plus de 4 actifs pour 1 retraité. Par ailleurs, depuis 1960, l’espérance de vie des français a augmenté de 16 ans. Ces 16 années ont été entièrement recyclées en années de retraites. Nous travaillons de moins en moins, ce qui ne serait pas un problème si nous étions plus à travailler. Or, ça n’est pas le cas : les plus de 60 ans représentent aujourd’hui 22% de la population française et même 32% à l'horizon 2050.

Du point de vue financier, le régime général connaît un déficit de 32 milliards d’euros par an. C’est la somme qui devait être atteinte en 2020. En 2030, sans réforme, ce déficit atteindrait 70 milliards d’euros. D’un point de vue financier, la réforme du gouvernement est efficace car elle permet d’atteindre l’équilibre dès 2011 et jusqu’en 2020, au prix du pillage du Fonds de réserve des retraites qui devait assurer le financement des retraites dès 2020. La réforme de Woerth n’est qu’un toilettage car dès 2020, la question de l’équilibre financier se reposera. Il n’y aura donc pas d’autres solutions que de raboter le système par une augmentation des durées de cotisations ou des cotisations elles-mêmes au début des années 2020.

Du point de vue économique, la réforme s’inscrit dans le cadre du plan de rigueur européen. Nous avons un contrat avec l’Europe : être le plus austère possible pour éviter toute attaque "à la grecque" sur un autre pays européen. Tous les pays européens se sont d'ailleurs engagés dans une réforme des retraites. C’est un moyen facile de combler les déficits. C’est surtout plus facile que de maintenir les séniors dans l’emploi ou d’assurer la transition études-emploi pour les jeunes.

Du point de vue politique, les retraites sont un problème récurrents, qui se pose tous les dix ans (1993, 2003, 2010), souvent en situation de crise économique (1993, 2010) ou de déficits élevés (2003, 2010). La réforme des retraites pourrait être un argument de campagne du Président Sarkozy: le candidat sait d'ailleurs ne rien céder et a un avantage puisque la majorité des français reconnaît qu'une réforme est nécessaire bien qu'ils ne souhaitent pas le passage de cette réforme.

Quelles sont les autres propositions?

Le projet UMP pose l’équilibre suivant entre générations : nous vivons plus longtemps que nos aînés donc nous devons travailler plus longtemps ; nous rackettons au passage – mais dans la limite de deux années de cotisations - ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans. Le projet du PS considère la question des retraites comme étant de solidarité nationale et propose donc des taxes supplémentaires sur les plus hauts revenus et le capital, ainsi qu’une augmentation des cotisations supportées par les entreprises pour financer la réforme des retraites. Les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat insistent pour une hausse de la TVA tandis que Terra Nova propose de casser les avantages fiscaux des retraités pour lever 11 milliards d’euros par an.

La dernière proposition est très rentable mais non envisageable, en tout cas dans sa totalité : le retraité moyen gagne 1315 euros et le salarié moyen 1750 euros ; cet écart devrait augmenter car i) sauf modération salariale, les salariés français vont continuer de gagner plus en moyenne que le niveau moyen des pensions de retraites (les salaires augmentent plus vite que l’inflation, or les retraites sont indexées sur l’inflation) ; ii) le recul de l’âge de la retraite va automatiquement augmenter le nombre de retraites non complètes, donc faiblement rémunérées.

L’augmentation de la TVA serait probablement à envisager quand la sortie de crise sera confirmée : il serait inéquitable de taxer les français à un moment où la reprise n’est pas assurée.

Prendre la question des retraites comme une question de solidarité nationale comme le propose le PS impose effectivement de mettre en place des taxes équitables, donc payées par chaque contribuable (une hausse de la CSG par exemple) mais en prenant en compte les moyens de chacun (la création d’une nouvelle tranche d’imposition par exemple). L’avantage d’une réforme par l’impôt est qu’elle assure le financement du régime des retraites à moyen terme et sans toucher au Fonds de réserve des retraites. L’inconvénient, c’est qu’elle modifie la philosophie du système par répartition : tout le monde paye les retraites et non plus seulement les actifs.

Ces réformes laissent trop souvent de côté les vraies questions :
- Celles de l’équité intergénérationnelle ;
- Celles de l’équité entre salariés riches et pauvres qui seront plus tard des retraités riches et pauvres.

La réforme idéale

Le système actuel des 25 meilleures années est injuste : un ouvrier commence à travailler plus tôt qu’un cadre et va donc cotiser plus longtemps ; en dépit d’une durée de cotisation plus longue, il n’aura pas ou peu avec le mécanisme de surcote un meilleur niveau de vie à la retraite ; il mourra par ailleurs plus jeune. Un cadre et un ouvrier ont 7 ans d’espérance de vie mais dans le système actuel, mais de 10 ans si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé. Pire encore, selon l’INED, un ouvrier vit en moyenne sans incapacité jusqu’à 59 ans : comment fera-t-il pour travailler plus ?

Par ailleurs, du fait des qualifications requises pour certains métiers, un ouvrier a plus de chances d’entrer sur le marché de l’emploi avant 20 ans et a donc une grande probabilité de cotiser plus longtemps qu’un cadre.

La réforme idéale serait de déconstruire le système de répartition. Les économistes Antoine Bozio et Thomas Piketty ont proposé un système des retraites qui repose sur un âge plancher de 60 ans pour prendre sa retraite, et la suppression de l’âge auquel on peut bénéficier d’une retraite à taux plein sans avoir pleinement cotisé. Chacun cotiserait pour lui-même : pour se faire, les cotisations retraites devraient être relevées à 25% du salaire brut. En quelques sortes, chacun cotiserait plus en échange de la garantie de toucher l’argent de ses cotisations. Il n’y a plus de retraites complètes ou non, le système est lisible : si je commence à travailler à 20 ans et que je cotise 46 ans, j’ai le droit à une pension égale à l’ensemble de mes cotisations divisé par la durée de ma retraite (calculée en fonction de l'espérance de vie, par exemple par Catégories socio-professionnelles). Chacun a ainsi le droit de définir selon ses propres goûts son temps de travail et le niveau de pensions qu’il considère justes pour vivre.

Pourquoi faut-il apprendre l'économie?

lundi 6 septembre 2010






C'est la rentrée et votre humble serviteur a la chance d’enseigner l’économie uniquement à des non-initiés. Voici un extrait de l'inception que je vais faire à mes étudiants pour qu’ils intègrent les raisonnements économiques dans leurs décisions futures.

Comprendre l’économie, c’est être un bon gestionnaire. « La politique c’est le goût de l’avenir » disait Max Weber. La politique économique c’est donc la gestion de la rareté des ressources. Nous n’avons qu’une Terre et des ressources limitées. Mais nous avons également un savoir-faire et un instinct de survie qui nous poussent à trouver les moyens de dépasser la rareté. Ce moyen, c’est le progrès technique.

Pour autant nous ne savons pas tout. Les marchés sont caractérisés par un déficit d’information. Nous ne savons pas par exemple combien il faudrait investir pour nous protéger du réchauffement climatique. Nous ne connaissons pas non plus avec précision l’état des ressources pétrolières mondiales ou les investissements nécessaires pour éradiquer la famine. Être bon gestionnaire, c'est analyser les différentes forces en suspens pour prendre la décision la plus juste.

Comprendre l’économie, c’est être un meilleur citoyen. En ces temps de crises économique et sociale, l’économie reprend toute son importance. Il faut se méfier des discours politiciens et du mauvais jargon des économistes.

Il n’est jamais trop tard pour se mettre à l’économie : le tiers de mes élèves est en formation professionnelle et j’ai le sentiment que le raisonnement économique peut transformer leur manière de voir les choses.

Comprendre l’économie, c’est analyser les comportements humains. L’homme n’est pas une machine ni un être purement rationnel. Il est imprévisible et sujet à la colère, à la jalousie ou au laisser-aller. Mais il est prédictible dans un grand nombre de ses actions et répond à des incitations.

L’économie est une science humaine : elle étudie les décisions prises par un individu ou un groupe par une analyse statistique. Les statistiques sont plus importantes que jamais car nous assistons à une montée sans précédente du stock de données accumulées. La gestion des données impose une éthique. Chaque citoyen doit pouvoir contrôler ses données personnelles et estimer les risques qu’il court en les partageants. Dans le monde de l’entreprise, celui qui sait analyser les données a un avantage comparatif : il peut comprendre le passé, prévoir l’avenir et proposer des solutions concrètes.

Comprendre l’économie, c’est être un stratège. Si vous connaissez les principes de base, vous comprendrez qu’il ne faut pas mettre vos œufs dans le même panier. Pourtant, la plupart des agents économiques continue de le faire : la faillite de Lehman Brothers est entièrement liée à un manque de diversification de son portefeuille tandis que les particuliers continuent de détenir l’ensemble de leurs économies dans la même banque ou les placer dans le même type de produits financiers.

Comprendre l'économie, c'est comprendre le monde dans lequel nous vivons. Je ne cesserai de plaider pour un cursus d'économie - au même titre qu'un cursus de droit et de psychologie - commun à toutes les filières universitaires.

L'humeur des américains au fil de la journée: une contagion d'Est en Ouest? par Halim Madi

lundi 30 août 2010
Une étude récente analyse l'humeur des américains au fil de la journée à partir de leurs tweets. Le pic de bonne humeur est à 6 heures du matin et l'humeur va grandissante après la sortie du travail comme le montre ce graphique.



La côté Est est plus souvent de mauvaise humeur que la côte Ouest et la mauvaise humeur est contagieuse de l'Est à l'Ouest au fil de la journée. La vidéo suivante en atteste.


Quizz: qui de la FED ou de la BCE respecte mieux son mandat?

samedi 28 août 2010
Le mandat de la Fed prévoit que la banque centrale ait pour objectifs principaux le plein emploi (5% aux Etats-Unis) et la lutte contre l'inflation (2% en glissement annuel).

Voici le "Fed fail index" tel qu'il est calculé par Krugman. Plus la courbe s'écarte de l'abscisse en 0, moins la Fed respecte son mandat, ce qui d'ailleurs peut être souhaitable en temps de crise:


La BCE a pour objectif principal la lutte contre l'inflation, une cible autour de 2%. Voici le "ECB fail index" d'Halim Madi:


Plus la courbe s'écarte de l'abscisse, plus la BCE s'écarte de son mandat.

Qui de la Fed ou de la BCE est la plus réactive en temps de crise? Qui respecte mieux son mandat?

Tapez 1 pour la Fed, 2 pour la BCE.

Moi je dirais 1-2.