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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Taxer la “junk-food” pour lutter contre l’obésité

vendredi 28 mai 2010
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il y a aujourd’hui 300 millions d’obèses dans le monde, dont 150 millions en Europe. Le coût de l’obésité est chiffré de 2 à 7% du total des dépenses mondiales de santé. En Europe, l’obésité absorberait près de 1% du PIB.

En France, une étude menée par l’Institut de recherche et de documentation en économie médicale (2006) s’élève à environ 2 500 € par an, soit deux fois plus que celle d’un individu de poids normal (1 263 €). Du point de vue de l’Assurance maladie, l’étude indique que le surcoût d’un individu obèse par rapport à un individu de poids normal, toutes choses égales par ailleurs, est estimé à 407 € en moyenne et 631 € en moyenne en considérant en plus le montant des indemnités journalières . Les dépenses de santé liées à l’obésité atteignent 2,6 milliards d’euros chaque année en France. Elles ont doublé entre les années 1990 et 2000.

L’obésité a également un coût humain considérable. Elle est souvent le point de départ d’autres maladies – rhumatologie, hypertension, troubles cardiovasculaires, etc. – coûteuses dans leur traitement (18 millions de jours de maladies par an, 30 000 décès par an au Royaume-Uni). Le surcroît de mortalité lié à l’obésité et les conséquences – baisse de la production, des cotisations, etc. – pour le reste de la société sont chiffrés à 40 000 années de vie professionnelle perdues et une durée de vie raccourcie de neuf ans en moyenne selon l’office national d’audit britannique.

Depuis plusieurs années, les économistes se sont intéressés aux solutions permettant de limiter la croissance de l’obésité, qui touche trois fois plus les moins aisés, aussi bien pour des raisons économiques que sociologiques. En effet, les produits les plus caloriques ont connu une forte baisse de leurs prix (-40%) depuis les trente dernières années tandis que les attitudes physiques et les modes de consommation sont sociologiquement très « profilés ».

La solution naturelle est de taxer la « junk food » et les sodas sucrés (une boîte de cola contient 9 sucres). La consommation de calories a des effets très cumulatifs sur le poids : manger une barre de chocolat ou boire un soda en plus de notre consommation habituelle chaque jour peut amener à une prise de poids de 4kg en un an. La « junk food » est deux fois moins chère que les fruits et légumes et les tendances d’évolution des prix montrent que l’écart tend à se creuser. Consommer le même nombre de calories avec uniquement de la « junk food » ou uniquement des fruits et légumes, coûte du simple ou double.



Selon Pierre Dubois (2007), relever la taxe sur la « junk food » de 10 points entraînerait une réduction de 15% des ventes de ces produits. Malgré la baisse de pouvoir d’achat des plus pauvres, la surtaxe permettrait un changement des modes de consommation vers des produits moins caloriques mais pas forcément plus chers. Notamment parce que les agro-industriels abandonneraient progressivement la production de biens alimentaires trop caloriques. Peut-être que dans dix ans nous repenserons aux distributeurs de sodas avec amusement, comme nous repensons à l’époque où nous ne mettions pas de ceinture de sécurité dans les voitures ou encore à celle où nous fumions dans la majorité des lieux publics fermés.

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Préfère-t-on les gens qui ont le même nom que nous ?

jeudi 20 mai 2010
« Il n’y a de sympathies réelles qu’entre gens semblables », Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1840.

Le nom est-il un déterminant de nos choix de vie ? J’avais déjà abordé les inégalités et les discriminations liées au prénom ou au patronyme. Inégalités parce que le prénom est souvent la conséquence d’une condition familiale ; discriminations parce que le nom patronymique mais également le prénom révèlent une origine sociale ou ethnique. En dépit des discriminations patronymiques révélées par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), le prénom et le nom ne suffisent pas à déterminer une existence. Mais le prénom et le nom permettent-ils d’expliquer les préférences et les choix des individus en termes d’amitié, de mariage ou choix de location géographique ?

Un article du très sérieux Wall Street Journal, écrit par le « Numbers guy » et publié en toute première page fait le point sur les différentes études sur le sujet. Jusqu’à maintenant, les différentes études statistiques mettaient en avant le fait que les individus ont une plus grande tendance i) à se marier avec des personnes qui ont le même prénom ; ii) avec des personnes qui ont le même nom de famille et iii) à vivre dans des villes dont le nom est similaire à leur patronyme. La raison avancée par les psychologues était le narcissisme.

Un jeune professeur de l’université de Pennsylvanie, Uri Simonsohn, a trouvé des résultats contredisant les anciennes théories. Ainsi, la tendance à vivre dans une ville dont le nom est similaire à son propre nom de famille a une explication des plus simples : les ¾ des villes dans lesquelles cet effet est très important ont été fondées par des gens du même nom ; par exemple Jacksonville par Jackson ou Williamsburg par Williams. Ces petites villes sont par ailleurs composées de descendants du fondateur de la ville, ce qui biaise le lien de causalité statistique.

Concernant le mariage, la plupart des études qui soulignent une tendance plus importante à se marier avec des personnes du même nom mettent de côté deux effets. D’abord l’effet ethnique. La plus grande fréquence de mariage entre personnes ayant le même nom de famille concerne les latino-américains. Or, Simonsohn souligne que dans cette communauté, il y a une plus grande tendance à divorcer puis à se remarier avec la même personne. Autrement dit, un époux se remarie avec son ex-femme qui n’a entre temps pas repris son nom de jeune fille. Cette tendance est confirmée par un contrôle tout simple : Vasquez et Vasquez ont une tendance presque deux fois plus importante que la moyenne à se marier entre eux mais Vasquez et Vazquez ont une tendance seulement 5% supérieure à la moyenne à se marier entre eux.


Le deuxième effet souligné par votre humble serviteur est qu’il y a probablement un effet géographique lié à l’immigration et à la ville dans laquelle on se trouve. Les personnes immigrées ont tendance à se regrouper dans des quartiers ou dans des villes où il y a déjà un « stock » important d’immigrés de leur région d’origine. Autrement dit, ils exportent des noms relativement similaires d’une région à une autre. Lorsqu’ils se marient dans le pays récipient, ils ont tendance à épouser une personne qui vient de la même région dans le pays d’origine et qui a donc un nom probablement similaire. Cela vaut également pour les personnes d’origine française. S’il y a une forte concentration de « Porcher » en Bretagne alors ma probabilité en tant que breton d’épouser un autre « Porcher » est plus grande. Comme le souligne l’Insee, nous avons tendance à nous marier avec des personnes qui vivent près de chez nous et qui ont les mêmes origines sociales.

Reste le mystère du prénom qui n’est pas directement élucidé. Votre humble serviteur vous propose une piste : les modes générationnelles dans l’attribution des prénoms (typiquement Léo/Léa). Mais rassurons-nous, dans le choix du conjoint, le narcissisme reste la base de tout ; la rencontre amoureuse entre deux personnes ayant le même nom ou le même prénom reste rare. Infiniment plus que le nom en lui-même, les origines sociales, le niveau d’étude, le patrimoine, la géographie et même les addictions sont des critères de mise en relation.

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Maintenir artificiellement l'euro en vie...

mardi 18 mai 2010
Quel pays doit-on sécuriser dans l’urgence ?

Afin d’éviter un nouvel épisode grec, les efforts des pays des pays membres, des institutions européennes et du FMI doivent se concentrer sur quatre pays : le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie. Rappelons tout de même que ces pays sont dans des situations différentes.

Le Portugal a une situation économique similaire à la Grèce. Fortement endetté sur les marchés étrangers, le pays est soumis à un risque d’insolvabilité, c’est-à-dire à l’incapacité de rembourser sa dette. L’épargne des ménages est faible d’où les risques de diminution brutale de la consommation suite au plan d’austérité : les ménages n’ont pas de coussin de sécurité pour continuer à consommer quand leur revenu baisse. Seul avantage du Portugal par rapport à la Grèce : une moindre évasion fiscale qui lui assure des recettes budgétaires plus importantes. Une aide précoce du FMI devrait permettre un retour à l’équilibre plus rapide qu’en Grèce car le risque d’emballement de la dette est moins important.

L’Irlande et l’Espagne sont à surveiller de près. Leur situation macroéconomique est différente de celle de la Grèce : l’épargne y est plus importante, la compétitivité à l’export plus grande et la capacité à limiter l’évasion fiscale plus forte. En revanche, les deux pays ont un système financier très ouvert à l’extérieur qui les rend sensible à la conjoncture économique des marchés financiers. Ca n’est pas tant une intervention du FMI qu’une garantie de la BCE qui doit être apportée dans le cas de ces pays. Il faut en effet éviter une crise de liquidités en cas de baisse de l’activité. Bien entendu, la diminution de la dette reste une priorité, en particulier pour l’Irlande dont l’ajustement budgétaire pour continuer à financer les charges de la dette publique est comparable à celui de la Grèce. Mais l’intervention dans ces pays doit être la mise en place d’un filet de sécurité pour les protéger de la contagion plus qu’une intervention en amont comme en Grèce.

Dévaluation interne ou externe ?

Les plans d’austérité et de compétitivité ont un objectif : diminuer la dette publique et restaurer la compétitivité des économies en diminuant ou en modérant les salaires, c’est-à-dire les coûts de production. C’est ce qu’on appelle la «dévaluation interne». Compte tenu du niveau élevé des dettes publiques et des faibles perspectives de croissance, la diminution des salaires peut être plutôt récessionniste : un moindre salaire signifie moins de rentrées fiscales et une consommation moindre, ce qui fait monter la dette publique et pénalise les producteurs locaux. En étant très optimiste, on peut espérer que la diminution des coûts relance les exportations et la croissance interne, puisque le travail devient moins cher. Mais c’est évidemment sans prendre en compte les problèmes structurels des économies du sud de l’Europe. En clair, pour les PIGS (Portugal – Irlande – Grèce - Espagne), il n’est pas sûr que l’adhésion à la monnaie unique ait été bénéfique.

L’autre solution, c’est la «dévaluation externe». Bienvenue pour les pays compétitifs à l’exportation comme l’Allemagne et pour les pays très endettés, puisqu’une dévaluation peut entraîner une légère augmentation de l’inflation tout en regagnant de la compétitivité « sans peine », elle se heurte cependant à la nécessité d’un accord et à la capacité de la BCE à défendre la parité de l’euro contre les marchés. Une dévaluation coordonnée avec les principales banques centrales pour atteindre la parité euro/dollar ne serait crédible que si la parité pouvait être défendue, ce qui nécessiterait beaucoup d’énergie de la BCE et des plans de consolidation crédibles pour l’ensemble de la zone euro. En effet, toute dégradation trop rapide de la parité euro/dollar a un effet immédiat de renchérissement des importations européennes et creuse donc le déficit commercial. Du côté de la BCE, on attend probablement que les marchés soient stables pour intervenir sur la parité euro/dollar (si besoin est).

L’argent fait-il le bonheur?

mercredi 12 mai 2010
«Le bonheur est un état trop constant, et l’homme est un être trop muable pour que l’un convienne à l’autre» Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778)

Pour les économistes, la recherche sur le bonheur a longtemps été problématique pour une simple raison : le bonheur ne se quantifie pas. On peut trouver des proxys comme la qualité de vie, mais on ne peut mesurer la sensation de bonheur ni en intensité, ni en durée comme s’y emploie la recherche médicale (à travers notamment la fréquence de troubles mentaux). La récente commission Fitoussi – Sen – Stiglitz (2009) pour la création de mesures alternatives à la "richesse économique" dépasse la mesure des richesses en prenant en compte l’idée de bonheur en quantifiant le stress au travail, le travail domestique, la dégradation du capital environnemental, etc. Le PIB ne fait pas le bonheur.

Au niveau microéconomique, les études de Wolfers et Stevenson, soutiennent l'idée que le revenu en valeur absolue compte plus que le revenu relatif. A partir de sondages réalisés aux Etats-Unis, ils montrent que les hauts revenus se déclarent deux fois plus « très contents » que les revenus les plus bas. Rien de surprenant. Mais en comparant ces résultats à ceux des enquêtes internationales, il apparaît que les plus pauvres ne seraient pas plus heureux s’ils vivaient dans une société moins inégalitaire, c'est-à-dire s’ils étaient relativement plus riches. L’argent pour ce qu’il est fait le bonheur.

Ce résultat contredit le paradoxe d’Easterlin, selon lequel bien que les riches soient toujours plus heureux que les pauvres, les riches des pays riches ne sont pas plus heureux que les riches des pays pauvres. Pour les tenants de la psychologie hédonique, comme le prix Nobel d’économie Kahneman, nous nous adaptons aux évènements heureux: plus d’argent ne rend pas plus heureux celui qui en a déjà beaucoup. L’argent fait moins le bonheur que la position que nous avons dans la société.

Qu’en est-il des évolutions dans l’espace et dans le temps ?

Géographiquement, on observe une forte corrélation entre bonheur, mesuré par les conditions de santé et le nombre de personnes à risques, et qualité de la vie, mesurée par 25 variables aussi bien météorologiques que sociales (Oswald and Wu, 2009). De son côté Clark (2009), s’intéresse aux phénomènes de ghettoïsation des riches et des pauvres. Si la plupart des gens se complaisent d’être plus riches que leurs voisins (Luttmer, 2005), pourquoi les plus riches et les plus pauvres habitent-ils dans des quartiers différents? La réponse est simple : un quartier aisé permet d’avoir accès à plus de « biens publics », en premier lieu la sécurité, tandis que le fait d’avoir une situation économique similaire à la majorité de ses voisins accroît la sensation de bonheur. Pour les plus aisés, le bonheur provient essentiellement de la quantité de biens publics à leur disposition; pour les moins aisés, le bonheur provient de l’appartenance à la même classe sociale que la majorité des habitants.

Dans le temps, Stevenson s’intéresse en particulier au cas des femmes. En dépit de l’obtention de droits identiques, de la possibilité de choisir librement leur choix de vie et de la convergence des salaires, les femmes sont moins heureuses aujourd’hui qu’il y a trente ans. Et cette tendance générale est vraie pour toutes les femmes, qu’elles soient éduquées ou non, au foyer ou sur le marché du travail, avec ou sans enfants. Peut-être cela s’explique-t-il par le fait que les femmes gagnent toujours 30% de moins que les hommes en dépit de toutes les avancées sociales et économiques des trente dernières années. Cet effet est d’autant plus plausible que selon les psychologues, les sociétés occidentales surévaluent l’impact de l’argent sur le bonheur.

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Le sauvetage « à la grecque » : retour sur le plan et perspectives

lundi 10 mai 2010
"L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord des solidarités de fait", Robert Schuman, 9 mai 1950.

Nombre d’économistes se sont opposés sur la solution optimale au sauvetage grec : d’un côté, certains come Charles Wyplosz préconisaient une sortie de crise par le FMI ; d’autres, comme Stéphane Cossé et Guillaume Klossa, préconisaient une intervention européenne, in fine via la création d’un Fonds monétaire européen. C’est finalement une solution intermédiaire qui a été choisie : le Fonds monétaire international (FMI), les Etats membres de la zone euro et la Banque centrale européenne (BCE) vont prêter 110 milliards d’euros sur trois ans au gouvernement grec. En échange de ce prêt, Athènes s’est engagée à des coupes budgétaires drastiques sur les prochaines années: 11% du PIB en 2010, 4,3% en 2011, 2% en 2012 et 2013. Le ratio dette/PIB atteindra un pic de 150% en 2012-13 avant d’atteindre progressivement un niveau de dette soutenable. C’est évidemment le scénario optimiste.

Pour les plus sceptiques, ces coupes budgétaires vont accélérer la récession. Ainsi, Daniel Gros estime que, pour la Grèce, toute réduction des dépenses budgétaires de 1%du PIB entraîne une réduction de la demande de 2,5% du PIB. L’application de cette règle à une réduction du déficit de 11% est évidemment très contestable mais revient à dire que le scénario pessimiste serait une chute du PIB de 25% dès 2010. Les conséquences au niveau de la zone euro seraient terribles : sortie de la Grèce de la monnaie unique, attaques spéculatives sur l’euro, etc. Afin de bien cadrer le débat, votre humble serviteur vous invite à un jeu de questions-réponses.

Que fait la Grèce dans la zone euro ?

L’Union européenne (UE) est une Union Economique et monétaire (UEM) pour certains de ses membres qui forment la « zone euro » dont la Grèce fait partie. Juridiquement, dans la force des traités, tous les Etats membres de l’UE ont vocation à rejoindre la zone euro. Economiquement, en revanche, tous les pays de l’UE n’ont pas vocation à intégrer immédiatement la zone euro, et il semble même aujourd’hui que l’intégration de certains pays ait été précipitée. En effet, au moment de la création de l’euro (1999), les quinze Etats de l’UE dont douze allaient rejoindre la zone euro en 2002 convergeaient nominalement, c'est-à-dire par les critères de Maastricht - déficit de 3%, dette de 60%, taux d’intérêt, taux de change et inflation corrélées. En revanche, la convergence réelle était illusoire tant les écarts de productivité et de compétitivité, notamment au regard des écarts d’inflation, existaient entre les différentes régions. Enfin, politiquement, certains Etats comme le Danemark ou le Royaume-Uni ne voient pas d’un bon œil l’entrée dans la monnaie unique. En plus d’être qualifiés d’eurosceptiques, ils y perdraient leur souveraineté monétaire et estiment par ailleurs que l’euro n’apporte pas la stabilité économique qu’il promet.

Pourquoi la situation grecque n’était pas soutenable ?

La Grèce et l’Italie étaient déjà connues pour leur maquillage des comptes publics. Avec la crise économique, le déficit budgétaire et la dette grecque ont bondi respectivement à 113% et 12% du PIB tandis que les perspectives de croissance sont moroses. Le fait que la Grèce soit dans la zone euro ne l’avantage pas : la Banque centrale européenne (BCE) mène une politique de soutien du taux de change alors que les déficits publics grecs s’envolent. Deux politiques qui sont discordantes et donc insoutenables.

Deux effets sont possibles. Soit la Grèce retrouve sa souveraineté monétaire. L’augmentation de ses déficits publics entraîne une diffusion de la monnaie nationale et donc sa dépréciation qui lui redonne des gains de compétitivité, notamment vis-à-vis de la zone euro. Soit les marchés considèrent l’endettement de la Grèce comme irraisonnable au regard de sa situation économique : les taux d’intérêt sur la dette augmentent en raison d’une prime de risque sur le défaut de la dette, ce qui renforce la charge budgétaire liée au remboursement de la dette. Un plan d’austérité consistant à couper les dépenses publiques est alors mis en œuvre.

Pourquoi la dette grecque devient-elle soudain un problème ?

En monnaie unique, la pression sur les taux de change se fait moins sentir, en particulier pour un petit pays comme la Grèce qui ne représente que 2,5% du PIB de la zone euro. La monnaie unique rend plus floue les tensions sur les marchés financiers. Ainsi, un pays trop endetté comme l’Islande, a connu une forte dévaluation de sa monnaie et une montée des taux d’intérêts sur les titres de dette, poussant le pays à la quasi-faillite. Les Islandais ont alors compris que l’entrée dans la monnaie unique pouvait limiter les crises car la dévaluation monétaire est moins aisée, particulièrement si l’Etat en faillite est de petite taille.

En revanche, l’euro devient un voile pour les gouvernements : la situation des pays très endettés reste relativement stable jusqu’à ce que le seuil psychologique d’endettement pour les marchés soit dépassé et que les agences de notation ne dégradent la note du titre de dette. La spéculation sur les titres de dettes peut alors contaminer l’ensemble de la zone monétaire : les investisseurs peuvent estimer que la stabilité de la monnaie unique n’est pas garantie et ainsi parier sur sa dévaluation.

Sauver l’euro ou sauver la Grèce ?

Le sauvetage de la Grèce n’a qu’un seul objectif : protéger l’euro d’une dévaluation rapide de la monnaie européenne ou d’une forte montée des taux d’intérêts sur la dette des autres pays membres. A travers la Grèce, c’est en fait l’Union économique et monétaire que l’on sauve.

Cette situation de sauvetage est d’ailleurs particulière. Afin de prévenir les situations de crises des finances publiques, le traité européen prévoit l’interdiction de sauvetage d’un pays par un autre (art. 125 TUE). Il s’agit d’éviter l’aléa moral ; autrement dit, chaque pays doit assumer ses responsabilités. Mais plus fondamentalement, comme le note Wyplosz, cet article « indique que les difficultés budgétaires d’un pays sont un problème purement local ». D’ailleurs, comme le note Fitoussi dans le Monde du 5 mai dernier, la zone euro est, en ce qui concerne les finances publiques dans les pays développés, la région la plus vertueuse avec une dette de 84% du PIB et un déficit de 6,9%, contre 92% et 10,7% aux Etats-Unis et 197% et 8,2% au Japon. De quoi rassurer les marchés.

Dévaluation de l’euro, risque de contagion et nouvelle gouvernance économique

Compte tenu des niveaux du déficit et de la dette comparativement faibles pour la zone euro, on pourrait considérer comme irrationnelle la réaction des marchés à l’annonce du plan de sauvetage. Tandis que les principales bourses ont dévissé, la devise européenne a chuté à environ 1,25 dollars contre 1,45 dollars au début de l’année. Il y a encore quelques mois, la plupart des gouvernements européens ne se seraient pas plaints d’une dévaluation relative de l’euro par rapport au dollar. En effet, de l’avis de la plupart des commentateurs, l’euro était largement surévalué, ce qui pénalisait la compétitivité-prix des pays européens. Les investisseurs spéculent plutôt en faveur d’une contagion de la crise à l’Espagne, l’Irlande et au Portugal. Là encore, le FMI, la BCE et la Commission devront trouver un moyen de s’entendre sur les voies de rééchelonnement de la dette à suivre.

La réaction des investisseurs n’est cependant pas irrationnelle. Le plan de sauvetage se fait au détriment d’un des piliers fondamentaux de l’UE : le Pacte de stabilité et de croissance. Celui-ci apparait encore comme largement illusoire. Non respecté (2003 et 2004), assoupli (2005), insulté (2002) et désormais piétiné (2010), le plan de sauvetage, aussi réactif soit-il, révèle les carences de la gouvernance économique européenne. Force est de constater que si l’Euro survit, un effort de rattrapage et d’uniformisation de la zone euro ainsi que des règles fortes de gouvernance devront être mises en place. A défaut d’un gouvernement économique européen, ce sont les constitutions économiques des Etats membres qui devront être changées : chaque pays, s’il souhaite rester dans l’Union monétaire, devra constitutionnaliser un « Pacte européen de croissance et solidarité ».

Dans l’immédiat, chaque pays doit rendre un plan de réduction de la dette sur les trois ans à venir. Paris et Rome se sont déjà lancées dans la voie d’un plan crédible de soutien des finances publiques. Le message est clair : il faut envoyer un signal positif au marché.

Enfin, la création d’un fonds monétaire européen reste d’actualité. Probablement très favorable à l’aléa moral, un « fonds de stabilité » – alimenté et verrouillé en période de croissance, redistribué en période de récession - permettrait de débloquer rapidement des fonds pour aider une région en difficulté. Pour encadrer l’aléa moral, on pourrait créer une règle assurantielle : chaque état peut toucher une aide équivalente au montant de sa cotisation, tandis qu’en période de récession, une aide substantielle serait soumise à un avis de la Commission et de l’Eurogroupe. Ce fonds de stabilité serait un fonds de défense de la zone euro. Ce serait aussi admettre que l’UE devienne une forme de fédération économique, à défaut d’avoir un marché du travail mobile.

Le 9 mai 2010, soixante ans après la déclaration Schuman se sont mis d’accord sur un plan de secours pour aider les pays de la zone euro. Le total se décompose en 60 milliards de prêts apportés par la Commission européenne et 440 milliards d'euros de prêts et garanties par les pays de la zone euro. Le Fonds monétaire international apportera une contribution additionnelle sous forme de prêts, pour un montant pouvant atteindre 250 milliards d'euros. La première réaction des marchés semble positive. Dès l'annonce du plan, l'euro remontait au-dessus de 1,29 dollar américain dans les échanges en Asie. A Tokyo, en début d'après-midi, l'indice Nikkei prenait plus de 1,5 %, après avoir perdu 3,1 % vendredi.

Le statu quo de la zone euro est la meilleure des solutions

Tous les gouvernements économiques de la zone euro ont les mains liées. Les pays vertueux qui choisiraient de quitter la zone euro auraient une monnaie surévaluée par rapport à l’euro : leurs exportations seraient moins compétitives tandis que le coût sec de changement de monnaie est important. Par ailleurs, un pays non-vertueux qui serait exclu de la zone euro, comme la Grèce, connaîtrait une sous-évaluation de sa monnaie, qui serait i) dangereux compte tenu de ses finances publiques dégradées mais ii) favorable à ses exportations au détriment de la zone euro. L’inconvénient pour la zone dans son ensemble est que la monnaie européenne et ses gouvernements perdraient toute crédibilité sur le long terme. La mémoire est un facteur économique important et quiconque aurait vécu une période de crises intestinales aussi profonde renoncerait à reconstruire une Europe économique ou à y investir, au moins pour la génération à venir.

Quant au périmètre de la zone euro, il doit être défini de façon précise : les pays de l’UE qui n’ont pas les mêmes caractéristiques réelles que les pays vertueux de la zone euro doivent être écartés pour le moment.

En revanche, la BCE pourrait bien encore jouer un rôle de pompier

Deux solutions semblent essentielles : i) s’accorder avec les principales zones monétaires – Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni et Japon – pour faire une « frappe ponctuelle » sur la parité euro/dollar et ii) annoncer une stratégie claire de maintien et de défense de l’euro à la parité euro/dollar. Un accord avec la Federal Reserve américaine peut être trouvé: l'euro est le dernier rempart qui protège une spéculation déstabilisatrice sur le dollar. Rappelons encore une fois que la situation financière des Etats-Unis est pire que la zone euro. Ils bénéficient en revanche d'un budget fédéral et d'une mobilité du travail qui leur permet de mieux absorber les chocs tandis que le dollar reste la monnaie de réserve internationale. En revanche, il est à peu près certain qu'une attaque réussie sur l'euro précéderait une attaque sur le dollar.

Enfin, la garantie de restructuration des banques de la zone euro et de l’UE ne doit être explicitement apportée qu’au cas par cas en fonction des éventuels sauvetages. Garantir les fonds des banques serait admettre que la stabilité financière de l’Europe dans son ensemble est menacée. Un signal fort négatif pour les marchés.

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Les bleus payent-ils trop cher leurs prostituées ?

jeudi 6 mai 2010
Tout le monde en parle depuis quelques semaines : des footballeurs connus sont suspectés d’avoir eu des relations sexuelles tarifées avec des prostituées de luxe dont certaines étaient mineures. Selon les journaux, les footballeurs auraient payé 500 à 700 euros la passe et de 1500 à 2000 euros la nuit, soit le salaire moyen français. Deux questions sont donc évoquées : i) payent-ils trop cher leurs relations sexuelles ? ; ii) pourquoi ont-ils recours à la prostitution alors même qu’ils ont un accès gratuit et illimité au sexe ?

Recadrons le contexte de la prostitution de luxe. Aux Etats-Unis, l’ancien gouverneur de New York Eliot Spitzer avait dû quitter ses fonctions en 2008 suite à la révélation de ses ébats sexuels réguliers avec une prostituée de luxe. Il payait 4300 dollars la soirée, soit 3370 euros, c'est-à-dire deux fois plus que nos bleus. Spitzer avait par ailleurs un « compte client », réservé aux réguliers, qui lui permettait d’avoir une ristourne. Pour beaucoup d’analystes, Spitzer s’est fait coincé parce qu’il ne payait pas assez cher ses prostituées. En effet, selon Venkatesh, le marché de la prostitution de luxe est divisé en deux niveaux : celui des agences d’escorte – 2000 à 5000 dollars la soirée - et celui des travailleuses indépendantes, qui peuvent pratiquer des tarifs deux fois plus élevés. Les agences d’escorte ne vous garantissent pas autant de discrétion que les travailleuses indépendantes. On ne serait jamais remonté aux joueurs de l’équipe de France si la jeune femme n’était pas liée à un réseau.

Par ailleurs, le tarif de la prostituée de luxe ne peut être apprécié qu’en comparaison au salaire des joueurs. Supposons que la jeune femme taxe 2000 euros la soirée. Ribéry gagne plus de 400 000 euros par mois. Le rapport est de 1/200. Si on garde les mêmes proportions pour le salaire moyen français, on obtiendrait un rapport sexuel valorisé à 2000/200 = 10 euros. C’est cinq fois moins cher que le prix de la « passe » au Bois de Boulogne. Autrement dit, ceteris paribus, les joueurs de l’équipe de France auraient pu payer 10000 euros la nuit sans incidence sur leur mode de vie, et en se protégeant peut-être d’un scandale. Peut-être ont-ils même bénéficié d’une réduction parce qu’ils sont connus ?

On comprendra que des footballeurs de classe internationale soient prêt à débourser quelques milliers d’euros pour un service. Mais il est plus difficile de comprendre pourquoi ils ont recours à la prostitution alors qu’ils bénéficient d’un accès gratuit et quasi-illimité au sexe. On pourrait évoquer la sollicitation dont ils sont l’objet, leur fort appétit sexuel lié au stress qu’ils génèrent, l’envie de ne fournir aucun effort avant d’avoir une relation sexuelle, etc. La réponse vient probablement du fait qu’ils cherchent simplement une escorte. Dans un post du mois dernier, nous évoquions l’irrégularité des relations sexuelles dans le marché de la prostitution de luxe. Celle-ci ne se borne pas à l’ébat sexuel mais a une dimension très charnelle et relationnelle, aussi bien pour le client que pour la prostituée. Si les célébrités et les hauts revenus ont recours à la prostitution de luxe alors même qu’ils ont un accès aisé au marché du sexe, c’est probablement parce qu’ils assimilent leurs relations à un simple flirt. Ou alors cela signifie qu'ils avantagent la prostitution sur les relations classiques: entre la fan sentimentale, la profiteuse et celle qui tarifie directement, peut-être ont-ils estimé la dernière comme étant plus économique?

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UK: best party place in the World?

lundi 3 mai 2010
Dans un post de février, nous avions déjà souligné les dangers liés à l’alcoolisme des piétons. Mais nous avions volontairement écartés les chiffres liés aux agressions. En effet, l’alcool est un accélérateur de festivités autant qu’un destructeur des rapports humains. Un article récent du Wall Street journal évoque l’augmentation de la consommation d’alcool au Royaume-Uni. La consommation d’alcool pur par personne y a augmenté de 19% entre 1980 et 2007, alors qu’elle a diminué de 13% dans les pays de l’OCDE. A titre d’exemple, la consommation moyenne a diminué de 17% aux Etats-Unis, de 24% au Canada, de 30% en Allemagne et de 33% en France d’après l’OCDE. Au total, les plus de 15 ans du Royaume-Uni boivent 448 millions de litres d’alcool pur chaque année. C’est environ 25 milliards de verres. Soit plus de 500 verres par personne. Best party place in the world !

Quelles sont les conséquences économiques de cet esprit festif ? D’abord un coût économique énorme pour le NHS : l’alcoolisme coûte 3 milliards d’euros tous les ans. Et de nombreux incidents : à Cardiff, on recense 1500 agressions liées à l’alcool tous les week-ends. C’est beaucoup pour une ville de 300 000 habitants…qui compte tout de même 150 000 personnes dans ses rues le samedi soir. Une personne qui sort une fois par semaine est donc victime en moyenne d’une agression tous les ans. Pour faire face à ces incidents, plusieurs townships ont déjà légiféré : horaires d’ouverture limités, réglementation contraignante sur l’utilisation de gobelets en plastique plutôt que des verres. On compte en effet 87000 attaques au verre tous les ans en Grande-Bretagne. Criminalité et alcool font généralement bon ménage.

Les comportements à risques sont également encensés par l’alcool. A partir de données espagnoles, Ana Isabel Gil Lacruz, Marta Gil Lacruz and Juan Oliva Moreno (2009) montrent en utilisant des méthodes parfois critiquables que la consommation excessive d’alcool augmente la probabilité de rapports sexuels à risques. L’abus d’alcool est doublement coûteux puisqu’il a des conséquences sanitaires/économiques fortes : maladies sexuellement transmissibles et grossesses non-désirées.

La Grande-Bretagne envisage actuellement, en cette période d’élections législatives, une réglementation plus forte de la vente d’alcool et une taxation plus importante des boissons alcoolisées sur le modèle suédois. En Australie, un débat récent sur la taxation de l’alcool proposait une taxe « anti-cuites » proportionnelle au pourcentage d’alcool contenu dans la boisson. Dans un article récent, Srivastava et Zhao (2010) montrent que les personnes ayant le plus de «cuites» ont i) des comportements à risques plus fréquents que les buveurs occasionnels, ii) consomment majoritairement des alcools «forts» et iii) prennent généralement leurs «cuites» lorsqu’ils sont chez eux et non en dehors. La solution politique pour limiter les «cuites» serait de taxer très progressivement - et non proportionnellement - les alcools par degré alcoométrique.

En France, l’accise sur les alcools qui consiste à prélever n euros par litres d’alcool vendus est très progressive tandis qu’une taxe de santé publique dite «Premix» prélève 11 euros par décilitre d’alcool pur et qu’une cotisation de santé publique s’applique aux boissons titrant plus de 25% vol. Compte tenu de l’addiction des français à l’alcool - ils consomment 25% de litres d’alcool pur en plus que le Royaume-Uni – les marges de taxation semblent encore élevées. Autre solution : taxer fortement les comportements à risque sous l’emprise de l’alcool. Levitt et Porter (2001) proposaient un modèle économique mettant en balance le coût d’une vie et la probabilité de mourir suite à un accident avec un chauffeur ivre. Le montant du délit d’ébriété au volant devrait être pénalisé par une amende de 8,000 dollars. A mettre en place ?

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