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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Y-a-t-il quelque chose de pourri au Conseil Constitutionnel?

dimanche 30 décembre 2012



Le 29 décembre 2012, le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision sur le projet de loi de financespour 2013 (PLF 2013). Définitivement adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture le 20 décembre dernier, la rapidité de la décision du Conseil Constitutionnel doit être saluée étant donné la complexité d'un texte de 65 articles et de plus de 200 pages. Il faut donc bien admettre que les "sages" de la rue de Montpensier conservent encore toutes leurs facultés mentales, tant les anciens présidents de la République, membres de droit et dont l'âge avancé pouvait laisser craindre le pire, que son Président, dont les mauvais esprits ont toujours douté du fait qu'il dispose de la moindre faculté intellectuelle.

C'est cependant moins la composition du Conseil Constitutionnel, toujours aussi contestable, que la portée et les motivations de sa décision 2012-662 DC relative à la loi de finances pour l'année 2013 (PLF 2013) qui suscitent notre interrogation. Si le Conseil Constitutionnel a jugé le PLF 2013 globalement conforme à la Constitution en acceptant une augmentation de la fiscalité estimée à 30 milliards d'euros, la soumission des revenus du capital et des dividendes au barème de l'impôt sur le revenu, alors même que le taux de prélèvements sociaux des premiers sont plus élevés que ceux des revenus d'activité, et le retour de l'impôt sur la fortune à un taux marginal de 1,5 %, l'annulation de certains articles du PLF 2013 laisse perplexe.

De jurisprudence constante, le Conseil Constitutionnel veille à ce que les impôts votés par le Parlement ne présentent ni une "charge excessive" ni un "caractère confiscatoire" pour les contribuables. Ces notions sont tellement vagues qu'elles peuvent être utilisées en toutes circonstances et remettre en cause chaque projet de loi de finances et ainsi tous les objectifs budgétaires,  fiscaux et économiques du Gouvernement. Pourtant, c'est bien ce dernier qui détient, avec le Parlement, la légitimité démocratique face à une institution dont le mode de nomination ne garantit malheureusement pas l'impartialité.

Ainsi, en censurant plusieurs dispositions du PLF 2013, il semble que le  Conseil Constitutionnel a abusé de son pouvoir en ne se contentant  pas de contrôler la conformité de la loi à la Constitution. Tout d'abord, si le Conseil Constitutionnel valide l'augmentation du taux marginal d'imposition à 45% pour les revenus supérieurs à 150 000 €, il s'inquiète étrangement de son impact sur les "retraites-chapeau", dont le taux d'imposition pourrait atteindre 75 % (article 3 du PLF 2013). Jugeant ce montant excessif pour les riches retraités, le Conseil Constitutionnel, en annulant la disposition, limite l'imposition de ces retraites à ... 68 %. On a du mal à comprendre pourquoi un taux de 75 % serait jugé excessif par nos vieux sages alors qu'un taux de 68 % ne le serait pas. Ce faisant, le Conseil Constitutionnel prive le Gouvernement et le Parlement de leur faculté de déterminer souverainement les taux d'imposition qu'ils souhaitent appliquer à certains types de revenus.

De la même façon, la volonté du Gouvernement de soumettre les gains tirés des stocks-options à l'impôt sur le revenu a été limitée par le Conseil Constitutionnel parce qu'elle pouvait conduire à une charge excessive pour certains contribuables dont l'imposition pouvait atteindre 77 %. Le Conseil a donc censuré les nouveaux niveaux d'imposition pour les ramener à leur niveau initial soit 64,5 % (article 11 du PLF 2013). Encore une fois, on peut s'interroger sur cette censure du Conseil Constitutionnel puisque le taux de 64,5 % peut aussi paraître excessif. Pourquoi donc le Conseil Constitutionnel n'est-il pas allé encore plus loin en limitant par exemple le niveau d'imposition à 40% ou 50%? C'est l'extrême subjectivité du Conseil Constitutionnel qui est ici contestable: il outrepasse ses fonctions en déterminant arbitrairement des seuils au-delà desquels les charges fiscales sont considérées comme excessives ou confiscatoires alors que la Constitution n'en prévoit aucun.

Encore plus emblématique est la censure de l'article 12 du PLF 2013. Celui-ci devait introduire une taxation exceptionnelle des revenus de 75 % au-delà d'un million d'euros de gains en 2013 et en 2014. Rappelons que seule la part du revenu au-delà du million d'euro devait être taxée à 75 %, si bien que le taux moyen d'imposition aurait été en réalité bien plus faible.

En fait d'un taux marginal d'imposition sur le revenu de 75 % comme dénoncé par ses opposants, le PLF 2013 prévoyait en fait une taxe additionnelle de 18 % sur les revenus d'activité. Le taux de 75% n'était atteint qu'en prenant en compte le nouveau taux marginal maximum d'imposition (45%), la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (4 % pour les revenus supérieurs à 500000 euros) et les contributions sociales (8 % pour la CSG et la CRDS). En fait, le taux marginal de l'impôt sur le revenu au-delà du million d'euros n'aurait pas dépassé les 67 % si l'on exclut les contributions sociales, lesquelles ne sont habituellement pas prises en compte dans le calcul de l'impôt sur le revenu.

Pour cette disposition, le Conseil Constitutionnel n'a pas fondé sa décision sur la charge excessive qu'une telle taxation pouvait représenter pour le contribuable (il serait étonnant de le voir considérer que des contribuables gagnant plus d'un million d'euros par an ne possèdent pas une capacité contributive suffisante). Il a justifié sa censure sur la rupture d'égalité entre foyers fiscaux parce que la "taxation à 75 %" était individualisée: elle prenait en compte le revenu d'un seul individu et non celui de l'ensemble du foyer fiscal. Pourtant,  la "conjugalisation" et la "familiarisation" de l'impôt (addition de l'ensemble des revenus d'un foyer fiscal divisés ensuite par le nombre de parts fiscales) ne constituent pas une exigence constitutionnelle, même si l'impôt sur le revenu est bel et bien conjugalisé et familiarisé aujourd'hui. Rien n'empêche de modifier ce principe et l'utilisation de quotients (familial et conjugal) pour calculer l'impôt sur le revenu, notamment le quotient conjugal, est critiquable. Certes, ils permettent de prendre en compte la capacité contributive réelle des foyers fiscaux et sont donc conformes à l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (la contribution de chacun doit dépendre de ses facultés); mais ils sont aussi à la source de stratégies d'optimisation fiscale qui ne sont pas acceptables.

La récente décision du Conseil Constitutionnel a donc ceci de choquant qu'elle annule des dispositions de la loi de finances pour 2013 en se fondant uniquement sur des appréciations subjectives que le Conseil utilise quand bon lui semble, et non sur des principes constitutionnels solides. Il est vrai que le Conseil Constitutionnel n'a eu - officiellement - que 9 jours pour étudier le PLF 2013: il s'est donc sûrement précipité pour trouver des arguments capables de censurer certaines dispositions du PLF 2013. Le problème est que le Conseil Constitutionnel ne convainc pas lorsqu'il se réfère aux notions de "charges excessives" pour le contribuable et de "caractère confiscatoire" de l'imposition. Ces notions jurisprudentielles demeurent trop vagues et subjectives et autorisent ainsi le Conseil Constitutionnel à annuler toute disposition inscrite dans une loi de finances au gré de son humeur du jour ou de son orientation politique.
                                                                                                         aleks.stakhanov@gmail.com

La démocratie française en cause

samedi 8 décembre 2012



La comédie de Boulevard affligeante à laquelle ont participé les dirigeants d’un des plus grand parti français, qui au passage auront réussi à évincer médiatiquement la mobilisation de Notre Dame des Landes ou encore le sommet de Doha sur le réchauffement climatique, nous laisse penser en tant que spectateur de l’arène politique que les raisons de cette scène de ménage dépassent l’enjeu de la seule présidence d’un parti politique. De nombreuses affaires montrent que, de droite comme de gauche, les hommes et femmes politiques sont exposés aux situations de conflit d’intérêt, à la pression des lobbys, aux tentations de montages financiers et fiscaux exotiques.

En politique, les individus seraient-ils d’avantage motivés par la recherche d’intérêts personnels plutôt que par la défense de l’intérêt général ? Les Français pensent que oui. Une récente enquête sur la perception de la corruption en France en 2012 montre que 70% des français considèrent que leurs représentants politiques sont corrompus. D'après Transparency International, la France se situerait ainsi au 22ème rang mondial et au 9ème rang européen des pays les moins corrompus aux yeux de l’opinion publique.

La politique française fait face à une sérieuse crise de confiance mettant en péril le bon fonctionnement de la démocratie. Derrière cette crise de confiance se cachent probablement une crise de la démocratie représentative. Les dernières élections législatives de juin 2012 ont donné lieu à un taux d’abstention record. 40% des électeurs français n’ont pas pris part à cette élection qui n’est pourtant pas mineure étant donné qu'elle consiste à élire ceux qui votent les lois en France. A mesure que l’abstention monte, la légitimité électorale de nos représentants politiques baisse, bien que leurs pouvoirs restent le même. Le sentiment de coupure avec la classe politique ne cesse de monter.

On observe une chute de l’engagement politique et syndical. Moins de 2% des électeurs adhérent à un parti, de même seulement 8% de la population active est syndiqué. Les dysfonctionnements de la démocratie représentative s’illustrent aussi à travers la composition extrêmement homogène de « l’élite politique ». En effet, aujourd'hui, nous comptons en France seulement 27% de femmes parmi nos députés, moins de 1% d’élus issus des catégories populaires (employés et ouvriers). La moyenne d’âge des députés français est de 55 ans quand celle des sénateurs reste supérieure à 60 ans. Les personnes issues de l’immigration sont également très mal représentées.

Pour Loïc Blondiaux, chercheur en sciences politiques à Paris I et auteur notamment de « La fabrique de l’opinion » et d’un ouvrage intitulé « Lenouvel esprit de la démocratie », nous assistons aujourd'hui à la fin de « l’évidence démocratique », à la fin de l’illusion représentative où le vote à intervalle régulier pour des représentants suffirait à garantir lesprincipes de la démocratie

Une commission sur la moralisation de la vie politique présidée par Lionel Jospin a bien rendu un rapport au Président de la République en lien avec cette problématique mais celui-ci reste encore timide. Cette crise de confiance politique devrait au contraire nous inciter à mener une réflexion ambitieuse sur nos institutions politiques. Pour améliorer la vie politique, nous devons nous appuyer sur des modes d’organisations différents avec des instances plus participatives, nousinspirer d’expérience étrangère, démocratiser la représentation, et chercher à accroître les capacités réelles du citoyen à exercer et exprimer son propre jugement, à mettre en place les conditions d’une vrai délibération.

C’est à la condition d’une remise en cause de fond du fonctionnement politique que les français retrouveront goût à la politique.  

Négociations climatiques: un sujet chaud! (2/2)

mardi 20 novembre 2012



La réussite du sommet de Doha sera évaluer au regard de sa capacité à apporter des réponses à ces quatre sujets chauds:
            - renforcer les objectifs de réduction des émissions;
            - rendre opérationnel les engagements passés par la mise en place d'un fonds pour le climat;
            - organiser la deuxième phase du protocole de Kyoto;
            - préparer l’accord climatique international de 2020.
           
Au-delà des déclarations de principe, la conférence de Doha devra permettre de résoudre des « détails techniques » afin de rendre opérationnel des engagements passés. Il en va ainsi de la crédibilité de ces sommets internationaux sur l'environnement.

Ainsi, le fonds vert pour le climat prévu à Durban en 2011 doit permettre d’accompagner les pays en développement vers des économies moins polluantes. Cependant, à l’heure actuelle, les sources de financement de ce fonds restent encore à déterminer. Un groupe d’expert lancé par Ban Ki-Moon travaille sur la question afin de lever 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, un effort financier énorme au regard de l’effort actuel de la communauté internationale - environ 16 milliards selon le World Resources Institute.

Les dispositifs d’aide à destination des pays les plus vulnérables au risque climatique, en particulier les petits Etats insulaires, doivent se développer et trouver un cadre institutionnel mieux défini. Le système des mécanismes de développement propre, permettant aux industriels de compenser leurs émissions de carbone en développant des projets jugés propres dans des pays en développement ayant ratifié Kyoto, s’est pérennisé mais ne concerne à l’heure actuelle que quelques pays africains. Permettre à ces pays d’avoir accès à des énergies sobre en carbone est l’un des enjeux de Doha.

Dans la même lignée, afin de favoriser les transferts internationaux de technologie, un centre international des technologies du climat devrait voir le jour. La conférence de Doha devra permettre de régler ces éléments « techniques » afin de créer un cadre clair au prochain régime climatique mondial. 

Le protocole de Kyoto prend fin le 31 décembre 2012, la 18ème conférence sur le climat organisée à Doha doit déboucher sur l’ouverture de la 2ème phase du protocole de Kyoto. Le protocole de Kyoto ratifié en 1997 est le premier accord international officiellement contraignant visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les pays industriels ayant ratifiés Kyoto s’engageaient alors à réduire de 5,2% leurs émissions entre 2008 et 2012 par rapport à leur niveau de 1990. Le protocole de Kyoto est très largement remis en cause par un certains nombres de pays industriels tels que l’Australie, le Canada ou encore les Etats-Unis qui contestent le principe de la responsabilité historique différenciée. Ainsi, la deuxième phase d’engagement du protocole de Kyoto se fera sans le Canada, le Japon et la Russie, sans parler de l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui hésitent encore. L’Union Européenne s’apprête donc à être le seul émetteur majeur à se soumettre au protocole. L’Union Européenne souhaite rapprocher Kyoto II du paquet climat-énergie, fixant des objectifs climatiques européens pour la période 2013-2020, et souhaite également élargir les activités polluantes concernées par les négociations climatiques telles que l’agriculture et les transports.

La conférence de Doha devra se prononcer sur 3 points:
- la durée de la prochaine phase: 5 ans ou 8 ans;
- les objectifs contraignants de réduction des pays concernés: effort de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de 20% et/ou cible conditionnelle d’une baisse de 30%;
- les pénalités qui détermineront la crédibilité du protocole à condition qu'elles soient mises en oeuvre, crédibles et respectées. 

Le prochain sommet de Doha qui devra préfigurer le futur accord international sur le climat. Cependant nous pouvons regretter qu'un certain nombre de questions sortent des négociations. Comme l’ouvrage publié par le collectif ATTAC, La nature n’a pas de prix (2012) l’évoque, les orientations de politiques climatiques prises au niveau international mène de plus en plus à coupler les processus écologiques et la finance de marché. Le protocole de Kyoto, par exemple, a abouti dans le cadre européen à la constitution d’un marché des droits à polluer (marché carbone européen: Emission Trading System). Ces orientations ont été prises dans les années 1990, une période que l’on peut qualifier d’euphorie financière, avant les grandes crises financières asiatiques, l’éclatement de la bulle internet, ou de la bulle immobilière, et bien avant aussi la crise financière de grande ampleur que nous connaissons aujourd'hui. Les instabilités financières contemporaines doivent nous inviter à réfléchir quant aux conditions de développement de la finance-carbone et à sa capacité à réduire les émissions globales de gaz à effet de serre. Nous ne devons pas négliger le risque de la spéculation environnementale permis par la financiarisation des politiques climatiques.

Les diplomaties des pays participants aux sommets environnementaux doivent également éviter le piège du « carbocentrisme ». Une problématique importante directement liée aux questions climatiques et énergétiques est celle également de l’épuisement des ressources minières. Le charbon, le fer, le gaz, le pétrole, l’uranium, sont des ressources épuisables. La question du nucléaire devra également être abordée. Il est également intéressant de constater à quel point la question des modes de vie et de la consommation est absente de la réflexion sur le climat. Pouvons-nous continuer à nous réunir au plus haut niveau de gouvernance sans jamais remettre en cause nos modes de vie?

Négociations climatiques: un sujet chaud! (1/2)

lundi 19 novembre 2012


Le Qatar préside la prochaine conférence des Nations Unies sur le climat en décembre 2012. Organiser ce type de conférence dans un pays membre de l’OPEP peut apparaître paradoxal à première vue, tant les problématiques environnementales semblent être le cadet des soucis des pays producteurs de pétrole. Le Qatar, qui accueillera en 2022 la coupe du monde de football (lance la construction de stades climatisés sur-consommateurs d’énergies) est le pays au monde qui émet le plus de gaz à effet de serre (GES) par habitant, chaque année, chaque qatari émet plus de 40 tonnes de CO2. Au-delà de ce paradoxe, mais qui marquera peut-être l’engagement des pays de l’OPEP vers la sobriété énergétique (sic), le sommet de Doha intervient à un moment crucial pour l’avenir des négociations climatiques internationales.

Renforcer les objectifs de réduction des émissions de GES est une nécessité pour empêcher une augmentation de la température mondiale moyenne de 2°C. La démonstration scientifique de la responsabilité humaine (et industrielle) du changement climatique n’est aujourd'hui plus à faire et, comme le souligne Nicholas Sterndans un ouvrage co-publié avec Roger Guesnerie, ne rien changer au niveau actuel des émissions de GES augmente fortement la probabilité que surviennent des évènements jugés catastrophiques. La communauté scientifique s’accorde aujourd'hui sur le fait que les dommages issus du changement climatique s’intensifieront à mesure que le monde se réchauffe. Si il est toujours difficile d’anticiper l’avenir, nous pouvons entendre que la fonte des glaces, que la montée du niveau de la mer, la multiplication des tempêtes, des crues, des inondations risquent de rendre vulnérable une grande partie de la population mondiale.  Il est urgent d’inverser la tendance concernant l’augmentation des émissions. Le défi préconisé par le rapport Stern est de réaliser des réductions de 25% au minimum par rapport au niveau actuel. Ce défi est particulièrement coûteux, mais peut être atteint à condition que la communauté internationale décide de consacrer au minimum 1% du PIB mondial d’ici 2050.

Une entente de principe sur un accord climatique mondial à l’horizon 2020 a été obtenue lors de la conférence de Durban, Doha doit permettre de définir les contours de cet accord. Les incertitudes subsistent quant au degré de contraintes du futur régime climatique mondial. Celui-ci aura-t-il une valeur juridique? Tout l’enjeu est là. La Chine, l’Inde et les Etats-Unis ont pour la première fois accepté l’idée d’un accord mondial imposant des objectifs de baisse des GES. L’analyse du jeu géopolitique reflète encore la difficulté à concilier les intérêts nationaux et la protection d’un bien commun mondial. Les pays en développement, l'Inde en particulier, font valoir que cet accord de long terme devra respecter le « principe des responsabilités communes mais différenciées ». Les Etats-Unis défendent au contraire une posture inverse: il n’y a pas de différences entre les nations. De plus, les américains sont réticents envers des objectifs de réduction précis des émissions. Cette réticence s’explique notamment par la persistance d’une opinion publique américaine fortement climato-sceptique

Suite au sommet de Durban en 2011, l’Inde se positionne comme un acteur clé des futures négociations climatiques. L’Inde émet aujourd'hui 5% des émissions mondiales de GES mais ses émissions ont été multipliées par 3 entre 1990 et 2004. Sa position visant à défendre le droit à polluer des pays en développement est largement justifiée: un Indien émet 17 fois moins de CO2 qu'un Américain. Son rôle central vient de sa position géographique: 60 millions d'Indiens sont directement touchés par l'eustatisme, c'est-à-dire la montée du niveau de la mer d'ici à 2025. A court terme toutefois, l'objectif premier du gouvernement est la lutte contre la pauvreté: malgré un taux de croissance annuel du PIB d’environ 8%, elle compte 800 millions de personnes vivant avec moins de 2$/jour dont 220 millions souffrant de sous-nutrition.

Les négociations climatiques ne peuvent négliger les questions de développement humain. Le dilemme des négociations climatiques et des discussions autour du principe de « responsabilité commune mais différenciée » est qu'il faut tenir compte du passé sans négliger pour autant l’avenir. En effet, si les gros émetteurs du passé (et du présent) sont bien l’Europe et les Etats-Unis, le poids de plus en plus important de la Chine et l’Inde (les gros émetteurs de GES  du futur) dans le bilan carbone mondiale doit être intégré dans les négociations climatiques.

La conférence de Doha va préfigurer l’accord climatique mondial au moins à trois niveaux:
            - des objectifs de réduction d’émissions ambitieux d’ici 2015
            - intégrer l’idée d’équité des efforts nationaux
            - concilier politiques climatiques et lutte contre la pauvreté.

Catalogues de Noël et discriminations envers les femmes

vendredi 16 novembre 2012




L'idée que la socialisation genrée est l'une des causes des inégalités homme/femme est désormais intégrée dans la prise en compte des discriminations. En effet, les sociologues ont démontré que, dans les différentes institutions comme la famille ou l'école, les enfants effectuent un apprentissage des normes et des valeurs en vigueur dans la société différent selon leur sexe. Cette socialisation genrée entraîne des blocages pour les filles qui, à terme, même si des progrès ont été observés dans le domaine, sont sous-représentées dans les filières scientifiques les plus valorisées ou tentent moins de concours que les garçons. Globalement, les femmes s'orientent vers les métiers du "care" (santé, social, éducation) mais dans le même temps elles se ferment les portes des secteurs d'activité offrant les emplois les mieux rémunérés. La socialisation genrée est à l'origine d'une violence symbolique menant les femmes à intérioriser et à naturaliser "la domination masculine". 


Soulignée sur internet par de nombreux blog, notamment le plafond de verre, Super U prend note de l'importance de ne pas limiter les jeux possibles des petites filles et des petits garçons. On y voit ainsi dans le catalogue de Noël des petites filles jouer avec une grue ou des petites voitures et des petits garçons s'amuser avec des poupées ou jouer à la dînette. On observe que le code couleur bleu/rose est moins marqué dans le catalogue de Super U que dans celui de ses concurrents. 


Ce catalogue ne va pas réduire à lui seul les écarts de salaire par exemple, mais montre que les mœurs évoluent et que notre société va probablement vers une meilleure prise en compte des différences qu'elles intègrent souvent elle-même par son fonctionnement. On notera également la stratégie de différenciation de Super U par rapport aux autres distributeurs: en étant "progressiste" la marque de distribution fait parler d'elle. Un joli coup de com'.
 

Le rapport Gallois et la compétitivité française (2/2)

mercredi 14 novembre 2012


Après avoir indiqué dans le précédent article pourquoi on pouvait juger pertinentes les propositions du Gouvernement Ayrault, l'habileté du Gouvernement ne doit pas occulter de légitimes critiques.

Compétitivité-prix vs compétitivité hors-prix

La principale critique que l'on peut adresser au rapport Gallois et au Gouvernement est de faire reposer la compétitivité essentiellement sur les prix. Or la compétitivité hors-prix constitue un puissant déterminant de la performance des entreprises: le déficit de compétitivité avec l'Allemagne repose en fait sur la compétitivité hors-prix c'est-à-dire la conception, la qualité et les services liés aux produits. On attend encore les mesures du Gouvernement pour augmenter les dépenses de recherche (le crédit impôt-recherche devrait certes augmenter en 2013) ou aider les PME. La réduction des charges de 20 milliards d'euros soit 1 % du PIB ne suffira jamais à égaler les prix chinois ou indiens. On peut donc interpréter le crédit d'impôt du Gouvernement comme un beau cadeau fiscal fait aux entreprises pour un effet très limité sur leur compétitivité.

Les ménages seront encore et toujours mis à contribution

Par ailleurs, les ménages paieront pour cette diminution d'impôt sur les entreprises, soit avec la hausse de la TVA (6,5 milliards d'euros), soit en raison des diminutions annoncées des dépenses de l'Etat (10 milliards d'euros supplémentaires en 2014). Or les ménages seront déjà affectés par des hausses d'impôts en 2013 et la réduction des dépenses de l'Etat. Surtout, si les mesures envisagées ont pour but de lutter contre la crise, il convient de rappeler que les ménages ne peuvent pas en être tenus pour responsables, contrairement aux banques et aux acteurs financiers dont l'incompétence a conduit l'économie mondiale au bord du précipice. Non seulement, les ménages sont les principales victimes du ralentissement de l'activité économique et de l'augmentation du chômage, mais en plus ils sont mis à contribution pour résoudre une crise dont ils ne sont pas coupables...

Une stratégie non-coopérative avec les partenaires européens

En outre, une diminution des charges des entreprises françaises peut s'analyser comme une dévaluation monétaire. Dans un contexte de monnaie unique, le prix des produits français serait allégé de 20 milliards d'euros par rapport à celui de ses partenaires. Le problème est qu'une telle politique économique constitue un acte non- coopératif vis-à-vis des partenaires européens. En baissant ses coûts de façon unilatérale, la France se lance dans une stratégie de dumping fiscal que ses partenaires de la zone euro devront imiter s'ils souhaitent rester compétitif vis-à-vis de la France. Au lieu de considérer les pays de la zone euro comme des partenaires, la France les transforme en concurrent. Elle initie donc une véritable course à la réduction des coûts de production en Europe. Notons que si tous les pays de la zone euro agissent de la même manière que la France, le bénéfice attendu sera réduit à néant pour tous.

Les procès en incompétence intenté au Gouvernement socialiste l'a conduit à donner des gages aux libéraux

Pour conclure, on peut peut-être saluer l'habilité politique du Gouvernement mais aussi regretter sa conversion à la seule logique de la compétitivité-prix. L'exploitation immédiate du rapport Gallois a bien fait taire l'opposition de la droite et de la presse. Reste que par ces mesures, le Gouvernement semble avoir surtout voulu donner des gages aux libéraux, à la droite et aux patrons. Il faut dire que dès son élection, un procès en incompétence économique a été organisé contre le Gouvernement, comme si la gauche ne savait pas restaurer la croissance et la stabilité économique... Une telle idée prête naturellement à rire alors que le bilan de la gauche en matière de croissance économique et de réduction des déficits de 1997 à 2002 n'est plus à démontrer. Malheureusement une telle campagne de désinformation a conduit le Gouvernement à rechercher avant tout à rassurer les milieux économiques au lieu de proposer les réformes structurelles dont la France a vraiment besoin.



aleks.stakhanov@gmail.com

Le rapport Gallois et la compétitivité française (1/2)

mardi 13 novembre 2012



Critiqué tant pour son incapacité à contrôler son Gouvernement et sa majorité que pour son inaptitude à relancer l'économie, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé mardi 6 novembre dernier 35 mesures pour restaurer la compétitivité française. Non seulement il a fait sien le diagnostic du rapport Gallois, mais en plus il a immédiatement présenté les mesures concrètes qu'il comptait mettre en œuvre, alors que l'ensemble de la presse et l'opposition pronostiquaient un abandon pur et simple du rapport. Si la patronne du Medef estime avoir été entendue, une partie de la gauche critique la politique d'austérité du Gouvernement: en augmentant les impôts des ménages via la TVA, Jean-Marc Ayrault prendrait des mesures que la droite n'aurait pas désavouées et copierait la TVA sociale de Nicolas Sarkozy. Si l'habileté politique du Gouvernement peut être saluée, les mesures du Gouvernement suscitent également des critiques légitimes.

Un crédit d'impôt original

Principale annonce du Gouvernement, la baisse de 20 milliards d'euros de charges pour les entreprises vise à restaurer la compétitivité- prix des entreprises. En payant moins d'impôts, les entreprises pourront vendre moins cher leurs produits et ainsi être plus concurrentielles, sauf si elles préfèrent utiliser cette diminution d'impôts pour accroître leurs profits et les dividendes non réinvestis.

L'originalité de la mesure du Gouvernement réside surtout dans sa forme: un crédit-d'impôt. Alors que le droite et le Medef souhaitaient une diminution immédiate des charges sociales, avec pour risque une aggravation du déficit de la sécurité sociale, la proposition du Gouvernement permet de lier cette diminution de charges à la masse salariale et à l'emploi. Les entreprises auront donc intérêt à conserver leurs salariés, et même à augmenter leur nombre si elles veulent profiter encore davantage de ces réductions de charges. Une limite cependant: le crédit d'impôt s'annulera à 2,5 SMIC, au risque de conduire les entreprises à maintenir les salaires en-dessous de ce seuil. Un crédit d'impôt dégressif aurait été plus efficace mais pourrait coûter au final davantage que les 20 milliards d'euros que le Gouvernement a proposé. Reste que les emplois rémunérés au-dessus de ce seuil sont les plus qualifiés et les plus productifs: la demande des entreprises pour de tels emplois est moins corrélée à leurs prix, si bien que l'effet de seuil ne devrait pas avoir de conséquence trop importante.

La hausse de la TVA proposée par le Gouvernement est plus juste que la TVA sociale

Afin de financer une partie des diminutions d'impôt pour les entreprises, le Gouvernement a décidé d'augmenter la TVA. A une droite qui y voit un retour à la TVA sociale et souligne par la même occasion l'hypocrisie de la campagne socialiste s'opposent les critiques d'une partie de la gauche qui dénoncent la baisse du pouvoir d'achat des ménages. En passant à 20 % pour le taux normal de TVA (au lieu des 19,6 %) et à 10 % pour le taux moyen (au lieu de 7 %), le Gouvernement escompte 6,5 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Il est exact que cette hausse de la TVA sera supportée par les ménages. Néanmoins, elle apparaît plus juste que la TVA sociale de Nicolas Sakozy (taux normal relevé de 1,6 point à 21,2 %), parce qu'elle sera compensée par une diminution de la TVA à prix réduit: appliquée aux produits alimentaires et de première nécessité, celle-ci passera de 5,5 % à 5 %. Un tel taux réduit est d'autant plus favorable aux ménages les plus modestes que leur structure de consommation est avant tout composée de biens de consommation courants, alors que des ménages plus aisés consomment davantage de biens à 7 % (restauration) et à 19,6 %.

Surtout, cette hausse de la TVA ne peut être comparée à la précédente TVA sociale: cette dernière visait à financer la protection sociale alors que cette question ne figure pas parmi les objectifs du Gouvernement. L'augmentation n'est donc pas de même nature.

Une partie de la gauche considère toujours que cette hausse de la TVA réduira la consommation des ménages. Ainsi les prix dans la restauration et dans les travaux aux particuliers, principaux secteurs aujourd'hui à 7 %, devraient effectivement augmenter. Toutefois, la baisse de la TVA dans la restauration de 19,6 % à 7 % avait été vertement critiquée par la gauche, compte tenu de son coût pour les finances publiques (3 milliards d'euros) et de l'insuffisance de contre-parties en matière d'emplois et de salaires. Il pourra alors sembler paradoxal que les mêmes qui s'opposaient à la baisse de la TVA dans la restauration critiquent maintenant sa légère augmentation. Quant à ceux qui souhaiteraient conserver un taux de TVA à 7 %, on pourra leur rétorquer que la hausse de 3 points reste modérée et que ce nouveau taux reste très en retrait de l'ancien taux de 19,6 %.

La mise en œuvre prévue en 2014 permettra de prendre en compte la conjoncture économique

La report à 2014 de la mise en mise en œuvre effective du crédit d'impôt et de la hausse de la TVA apparaît encore astucieux. En effet, tout en permettant aux entreprises de prendre en compte cette baisse dans leurs projets d'investissement, le Gouvernement ne leur rétrocédera le crédit d'impôt que l'année suivante. Ainsi le Gouvernement pourra-t-il se laisser encore du temps pour réfléchir aux modalités de financement de cette baisse de charges par de nouvelles recettes (taxe écologique) et la diminution des dépenses publiques. Par ailleurs, le Gouvernement pourra s'assurer que les entreprises respectent bien l'esprit de la mesure, c'est-à-dire conservent et créent des emplois. En outre, le Gouvernement pourra aussi analyser la conjoncture et modifier, si besoin, ses propositions. Un tel changement serait cependant contraire à l'objectif de stabilité et de prévisibilité des mesures économiques à destination des entreprises.

aleks.stakhanov@gmail.com

Nobel d'économie 2012: jeu, set et match

mercredi 31 octobre 2012

L'attribution récente du "Nobel" d'économie à deux microéconomistes, spécialisés en théorie des jeux et dans le design des marchés, a entraîné plusieurs réactions des commentateurs, qui en pleine crise économique mondiale, voyaient le prestigieux prix être remis à un macroéconomiste. 

Les récents lauréats du prix Nobel d'économie, Alvin Roth et Lloyd Shapley, ont été récompensés pour leurs travaux sur la théorie des jeux coopératifs, c'est-à-dire des jeux dans lesquels les acteurs peuvent se concerter et s'engager à coopérer avant de définir une stratégie permettant d'augmenter leur bien-être. Les théoriciens des jeux estiment pouvoir identifier des combinaisons de stratégies permettant aux individus d'atteindre une situation optimale. Trop théorique nous dira-t-on. Quasiment inutile diront d'autres, le marché permettant la rencontre de l'offre et de la demande, la théorie des jeux n'est intéressante à étudier que quand les acteurs ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Et pourtant, une telle réflexion est capable de changer profondément le monde dans lequel nous vivons.

Les travaux d'Alvin Roth et Lloyd Shapley ont été en partie consacrés à la possibilité de maximiser les stratégies des agents sur des marchés où il n'y a pas de prix apparent. Le "marché" du mariage est un exemple souvent cité mais il est existe également des coûts apparents à plusieurs marchés, basés sur les listes d'attente comme les dons d'organes ou les affectations en université. Tous ces marchés n'ont pas de système de prix et leur fonctionnement est largement instable. Alvin Roth a par exemple participé à la création de systèmes de gestion des dons d'organe permettant de diminuer les listes d'attente. Par exemple, un mari prêt à offrir un rein à sa compagne peut ne pas être compatible avec son épouse mais l'être pour sauver la femme d'un autre donneur ayant potentiellement le groupe sanguin requis. Il est alors simple de comprendre que la réduction rapide des temps d'attente est possible pour les deux couples en croisant les donneurs et les receveurs. Des algorithmes simples permettraient d'améliorer le marché de l'adoption, les affectations des fonctionnaires et des étudiants également. Certaines entreprises sont en train de développer ce type de stratégies: Starbucks pense à mettre en place un plan permettant à un salarié d'échanger son travail avec un autre salarié de manière à ce que chacun d'eux travaille plus près de son domicile. 

A plusieurs reprises, ces réflexions ont été considérées inutiles. Les politiques, les spectateurs, les commentateurs sont généralement plus concernés par la conjoncture économique et les salariés d'entreprises traitent en majorité de transactions tarifées, d'équilibre des budgets, de stratégie-prix que d'amélioration du fonctionnement de marchés, qui par ailleurs n'ont souvent pas de prix. Toutefois, le développement des nouvelles technologies a changé la donne. Avec la généralisation des enchères en ligne et des produits basés sur la gratuité de l'usage mais vivant de la publicité et étant donc terriblement dépendants de leur audience, les microéconomistes ont retrouvé un succès certain dans la "vraie" vie. Hal Varian (Berkeley) est le chef économiste de Google, R. Preston McAfee est au centre de recherche de Google après avoir passé plusieurs années chez Yahoo!, Susan Athey (Harvard) est conseillère de Microsoft, Patrick Bajari (Minnesota) a récemment rejoint Amazon pour être vice-président et chef économiste, et Steven Tadelis (Berkeley) est économiste chez eBay. 

Bravo à l'Union européenne pour son prix Nobel de la Paix

dimanche 14 octobre 2012


Vendredi 12 octobre, le comité Nobel réuni à Oslo a remis le prix Nobel de la Paix à l'Union Européenne. Alors que l'Union européenne semble en panne depuis de nombreuses années et que  s'éloigne le rêve d'une Union sans cesse plus étroite des peuples européens, ce prix vient rappeler que, malgré les difficultés économiques persistantes et les reproches légitimes qui peuvent être adressées envers l'institution européenne, celle-ci n'est pas exempte de réussite.

En honorant l'UE de son prix Nobel, le Comité a voulu récompenser l'Union pour sa promotion de la paix, de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l'homme en Europe. Sur ce plan, le succès est incontestable puisqu'aucun membre de l'UE n'a été en situation de guerre avec ses partenaires. Après deux guerres mondiales sanglantes, l'objectif de la construction européenne a donc été atteint: nul n'envisage plus désormais de recourir à la force, la guerre est devenue inimaginable et la situation de paix entre membres est devenue la norme alors qu'elle était l'exception avant la Seconde guerre mondiale.

N'en déplaise aux eurosceptiques, en raison même de la paix, les bénéfices de l'UE seront toujours bien supérieures aux déceptions que ses politiques peuvent susciter. Rappelons d'une part que toutes les politiques de l'UE sont toujours approuvées par les Etats au sein du Conseil, si bien que les critiques devraient plutôt concerner les Etats que l'Union elle-même. D'autre part, l'importance de l'économie apparaît somme toute très relative au regard du bien commun que constitue la paix entre les peuples. Ainsi l'opposition aux dernières mesures économiques prises par l'Union, notamment le TSCG, ne suffit pas à discréditer l'Union et son bilan. L'économie est bien peu de choses si on la compare aux sujets d'importance tels que la guerre et la paix.

Reste que l'on pourrait aussi regretter la timidité du Comité Nobel, qui récompense l'action de l'UE sur le plan interne, en faveur de ses états-membres, mais occulte ses efforts en tant qu'acteur international de promotion de la paix. Il est vrai que les pays européens se sont déconsidérés lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie avec les conséquences dramatiques que l'on connaît. Mais l'objectif d'une politique étrangère et de sécurité commune n'avait pas encore été adopté en 1991 (Traité de Maastricht en 1992) et l'impuissance de l'UE s'explique encore une fois par les divisions des Etats et la persistance de vieux réflexes diplomatiques fondés sur des intérêts nationaux. Surtout, des actions ont été conduites dans l'ensemble du monde, tant sur le plan civil que militaire, en Afrique, dans les Balkans, au Moyen-Orient ou dans le Caucase et elles contribuent aux efforts de l'Union en faveur de la paix: le comité aurait dû le rappeler.

D'aucuns parmi les eurosceptiques ont exprimé leur stupéfaction à l'annonce du verdict du comité Nobel. L'UE ne serait pas un producteur de paix mais au contraire le principal facteur de "guerre sociale" en Europe en raison des plans d'austérité qui se succèdent dans les pays d'Europe, de l'augmentation du chômage et des tensions sociales qu'ils provoquent. Le fait qu'une telle prise de position vienne de personnalités politiques aussi contestables que Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan suffit je crois à la déconsidérer. Rapprocher les politiques de l'UE à des actions de guerre constitue une manipulation intellectuelle. La contestation sociale des politiques européennes est légitime mais une telle analogie me rappelle la référence abusive à l'image de la prise d'otage à la moindre grève ou manifestation: elle est absurde. Enfin, s'il existe bien une entité qu'il faut dénoncer dans la crise actuelle, c'est moins l'Union européenne, dont l'action est publique et qui est à ce titre l'objet de critiques dans nos démocraties, que les marchés financiers, lesquels n'ont pour le compte toujours pas de numéro de téléphone.

aleks.stakhanov@gmail.com



Montebourg et la politique industrielle (bis)

lundi 8 octobre 2012
On parle beaucoup de la similarité des interventions de Nicolas Sarkozy à la cité des "4000" en 2005 et celle de François Hollande à Echirolles la semaine dernière. On parle moins de la similarité de l'intervention de Montebourg la semaine dernière avec celle de Batman en août dernier. 


Montebourg à Florange.


Batman à la mairie de Gotham.


We are Pigeons

mardi 2 octobre 2012
Je ne suis pas - pour le moment - entrepreneur. Toutefois, j'ai défendu dans mes recherches antérieures à l'ESCP, mes tribunes et les différentes commissions auxquelles j'ai participé la nécessité de créer un environnement favorable à l'innovation en France. Je me permets à ce titre d'avoir un avis tranché sur les pigeons et de partager des éléments de réflexion d'Henri Verdier, un véritable entrepreneur.
 
 
 
Beaucoup de chroniqueurs télés et des entrepreneurs ont critiqué le projet de loi de finances 2013 qui prévoit d'aligner la fiscalité du patrimoine sur celle du travail. Les entrepreneurs mettent en avant les risques pris et la probable démotivation des investisseurs face à un tel arsenal financier.
 
Henri Verdier adresse trois critiques au mouvement "je ne suis pas un pigeon". D'abord, le mouvement fait croire que le gouvernement n'aime pas les entrepreneurs, ce qui est faux si l'on prend en compte la pérénisation d'un certain nombre d'instruments maintenus, à commencer par le Crédit Impôt Recherche (CIR), étendu aux petites et moyennes entreprises. Ensuite, le mouvement semble plus un mouvement contre le gouvernement ou la majorité au pouvoir plus qu'un véritable instrument de lobbying pour améliorer la fiscalité des entreprises françaises. Enfin, il existe en ces temps des personnes encore plus mal loties que les entrepreneurs.
 
 

Montebourg et la politique industrielle


« A chaque fois qu'on a nationalisé, l'Etat n'a pas été un très bon gestionnaire », a fait remarquer Arnaud Montebourg, dimanche soir sur le plateau du journal de 20 heures France 2. 

C'est faux, l’intervention de l’Etat dans l’organisation industrielle a été un succès dans l’après guerre, elle a connu plusieurs échecs dans les années 1980 avant d’être vidée de son sens par l’Acte Unique européen qui interdit toute aide d’Etat. A plusieurs reprises dans les années 1990, on s’est demandé si l’Etat ne devait pas avoir un rôle de prêteur en dernier ressort pour sauver les industries en faillite. L’industrie automobile américaine a quasiment nationalisée en 2008 et est aujourd’hui redevenue compétitive (jusqu’à quand ?).

En fait, l’Etat n’est pas mauvais gestionnaire, ni mauvais actionnaire. Il ne prend pas plus de temps que le « marché » à recouvrir ses pertes. Il prend juste plus de temps à se retirer des activités déficitaires. 

"Pour" Charlie Hebdo

vendredi 21 septembre 2012



En publiant son numéro hebdomadaire mercredi 19 septembre 2012, Charlie Hebdo a de nouveau créé la polémique en France. Quelques jours après que de violentes manifestations ont agité le monde musulman pour protester contre les outrances et les absurdités d'un mauvais film, L'innocence des musulmans, sorti aux Etats- Unis et retraçant de façon grotesque la vie du prophète de l'Islam Mahomet, le journal satirique a une fois encore cédé à la tentation en publiant des caricatures du prophète. Loin de vouloir susciter la polémique, en s'associant au navet américain, et offenser davantage la communauté musulmane dans le monde et en France, Charlie Hebdo souhaitait au contraire dénoncer la manipulation dont font l'objet des Musulmans dans le monde et  l'instrumentalisation des religions et des croyants à des fins politiques.

Comme le révèle le Canard enchaîné de mercredi 19 septembre 2012, le nanard dont il est question était en effet déjà sorti depuis plus d'un an aux Etats-Unis sans provoquer la moindre indignation, même après sa traduction en arabe le 2 juillet dernier. Il a ensuite fallu attendre septembre 2012 pour que des mouvements de protestation surgissent dans le monde musulman afin de manifester contre le film avec les malheureux excès qu'on connaît, notamment en Libye (assassinat de l'ambassadeur des Etats- Unis et de trois autres ressortissants américains le 11 septembre 2012) et en Afghanistan (explosion à l'aéroport de Kaboul le 18 septembre 2012 qui a fait  12 victimes). Il est donc vraisemblable que, tout comme pour les caricatures du journal danois Jyllands-Posten en 2006, des groupes extrémistes aient utilisé le film de série Z pour échauffer les esprits et organiser des émeutes dans le but d'accroître la pression et l'influence des religieux dans les pays majoritairement musulmans, surtout ceux dans lesquels une aspiration démocratique et laïque s'est faite jour au cours des "Printemps arabes".

En faisant à nouveau paraître des caricatures du prophète, Charlie Hebdo n'a pas cherché à offenser davantage les Musulmans de tous les pays, ni à faire le jeu d'extrémistes salafistes qui pourraient utiliser ces caricatures pour attiser encore la colère des croyants, mais à réagir à une actualité hallucinante: celle d'un film islamophobe qui provoque des manifestations sanglantes dans le monde musulman. Comme chaque semaine, Charlie Hebdo tente de faire rire avec une actualité grave, ridiculise ses protagonistes et se moque comme toujours des religions, de toutes les religions. Pour critiquer le christianisme, Charlie dessine Jésus et le pape; pour critiquer le judaïsme, des rabbins et pour dénoncer les islamistes le prophète de l'Islam Mahomet...Dans le cas qui nous intéresse, la manipulation des croyants paraît évidente: comment peut-on en effet imaginer que des individus puissent associer un film, même mauvais, au pays dans lequel il a été produit, les Etats-Unis?

Il est vrai que la représentation du prophète est proscrite dans la religion musulmane et que de tels dessins, même avec l'objectif de faire rire, vont non seulement susciter l'hostilité des islamistes  initiateurs des manifestations mais aussi des musulmans modérés qui, bien qu'hostiles aux récents débordements, sont simplement mécontents du blasphème que constitue, à leurs yeux, l'image du prophète. Aussi dénoncent-ils les excès du journal pour sa propension à moquer leurs croyances et par la même occasion à les injurier.

Reste que dans un Etat laïc et républicain comme la France, qui respecte toutes les croyances, y compris religieuses, le délit de blasphème n'existe pas: un journal ne peut pas être mis en accusation pour avoir ridiculisé un principe sacré d'une religion. En effet, la notion de sacré est totalement étrangère au droit français. La loi sur la presse du 29 juillet 1881, grande loi de la III° République, pose le fondement de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, conformément à l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, les seules limites étant l'injure, la diffamation, l'atteinte à l'honneur ou la publication de fausses nouvelles. En aucun cas le blasphème ne figure parmi les délits de presse. Certains députés -de droite- mal inspirés et en quête de notoriété ont parfois tenté d'interdire le blasphème religieux par voie de caricature au nom de l'intégration des populations immigrées, du respect des croyances et du pacte social. Ce faisant, en plus de se déconsidérer- l'illustre député Eric Raoult n'a pas été réélu-, l'auteur de la proposition visait tout simplement à limiter les libertés publiques afin, paraît-il, de sauvegarder l'ordre public. Si cette méprisable proposition de loi n'a heureusement jamais atteint le stade de la discussion, les réactions de plusieurs personnalités politiques à la publication par Charlie Hebdo de  caricatures s'inscrivent malheureusement dans la même veine.

Si la qualification d'"acte islamophobe" par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) ne doit pas étonner parce qu'il y voit un blasphème que les croyants d'autres religions, les athées et le droit français ne reconnaissent pas,  incapable qu'il est s'inscrire dans une réflexion laïque, pourtant la seule possible en l'état du droit français, les réserves du Ministre français des Affaires étrangères semblent plus étonnantes. Laurent Fabius a en effet accusé l'hebdomadaire de jeter de l'huile sur le feu en  publiant ces caricatures dans le contexte actuel de troubles violents dans le monde musulman. On peut toutefois admettre que le Ministre des Affaires étrangères reste dans son rôle au sein du pouvoir Exécutif. Tout en affirmant défendre la liberté d'expression, il souhaite assurer la sécurité des ressortissants français dans les pays où sont organisées des manifestations. En plus de fermer les consulats et les lycées français, sa parole vise en fait à donner des gages aux responsables politiques étrangers et surtout aux intégristes: ainsi espère-t-il que la voix officielle de la France les conduira à plus de retenue, ce dont on peut douter.

C'est surtout la prise de position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle et figure éminente du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) qui laisse perplexe. En jugeant "pas appropriée" la publication de caricatures dans le journal et en considérant que  celui-ci s'inscrivait dans la provocation du film islamophobe et "l'imbécilité réactionnaire du choc des civilisations", l'ancien dirigeant trotskyste semble ne pas avoir compris l'ambition de l'hebdomadaire: dénoncer les fanatismes et l'instrumentalisation de la religion et des croyants par des extrémistes, mais en aucun cas soutenir les islamophobes. On est au final surpris qu'une figure de la gauche se fasse le contempteur de la liberté d'expression: souhaite-t-il  l'instauration du délit de blasphème pour éviter toute tension? La réaction du co-président  du groupe des Verts au Parlement européen Daniel Cohn-Bendit, dont on attendait plus d'humour, surprend également lorsqu'il insulte les responsables de Charlie Hebdo. Selon lui, la provocation ne doit s'adresser qu'aux détenteurs du pouvoir: aussi conviendrait-t-il d'épargner les intégristes qui ne le détiennent pas encore...Faudra-t-il attendre que ces derniers prennent le pouvoir par la force pour que la caricature de leurs idées, de leurs croyances et de leurs postures deviennent moralement acceptables?

Tout ce débat très sérieux, dans lequel se compromettent quelques éminentes personnalités politiques -elles auront d'autres occasions, n'en doutons pas, pour se racheter-, fait oublier la chose suivante: Charlie Hebdo est un journal satirique et humoristique, dans lequel le dessin occupe une  place très importante. Face aux événements toujours tragiques de l'actualité, Charlie décide d'en parler et de prendre le parti d'en rire! Ce n'est pas toujours fin, souvent vulgaire, assez grossier, parfois méchant, toujours direct...Mais ce n'est  jamais bête et cela frappe souvent juste!

                                                                                                          aleks.stakhanov@gmail.com

Faut-il ratifier le dernier traité européen par référendum?

jeudi 20 septembre 2012



La récente fête de l'Humanité a été l'occasion pour le Gouvernement de mesurer l'écart grandissant entre les attentes des militants et sympathisants du Front de gauche et du Parti Communiste et les premières mesures qu'il a annoncées. Critiqué pour la forte participation des ministres à l'université d"été du Medef afin de rassurer le patronat sur ses objectifs économiques, fiscaux et sociaux (imposition à 75 % des revenus supérieurs à 1 M€, soutien à la filière nucléaire, lancement d'une consultation entre syndicats et patronat sur la flexibilité du travail), le Gouvernement n'était représenté que par sa sympathique -mais peu expérimentée- porte-parole. Le principal grief du Front de Gauche concernait principalement le Traité sur la stabilité, la coordination et la Gouvernance de l'Union économique et monétaire (TSCG) qui devrait être adopté par voie parlementaire dans quelques semaines grâce à la majorité dont dispose le Parti socialiste à l'Assemblée nationale et au Sénat. A cette ratification parlementaire, les militants et sympathisants du Front de Gauche opposent la ratification par voie référendaire comme pour le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, convaincus qu'il s'agit de l'unique procédure susceptible d'exprimer réellement la volonté du peuple et qu'elle conduirait à son rejet comme en 2005. Une manifestation est prévue le 30 septembre 2012 prochain pour exiger un tel référendum conformément à l'article 53 de la Constitution.

L'austérité généralisée contribue à aggraver la crise économique

La principale critique adressée à l'encontre du TSCG est qu'il contraindrait les Gouvernements des pays européens signataires à mener des politiques d'austérité parce qu'il impose des limitations strictes de déficit et de dette publique. Si une stratégie économique de désendettement peut, à certaines conditions, contribuer au redressement économique d'un Etat, lequel retrouverait des marges de manoeuvre budgétaire et lui éviterait d'être soumis au diktat des marchés financiers qui exigent des taux d'intérêt toujours plus élevés comme pour l'Italie ou l'Espagne, une telle généralisation des politiques d'austérité en Europe conduit paradoxalement  à réduire la croissance de tous les Etats d'Europe et donc à rendre encore plus difficile le désendettement des Etats et le retour à l'équilibre des finances publiques. C'est cette stratégie générale de désendettement, en situation de crise économique, qui doit être combattue pour ses effets pro-cycliques: elle aggrave en fait la dette des Etats et amplifie la crise économique. Reste qu'il ne semble pas que l'objectif du TSCG soit l'austérité généralisée.

Le TSCG peut avoir des effets contra-cycliques et ne conduit pas mécaniquement à l'austérité

Si le TSCG prévoit bien une limitation du déficit structurel à 0,5 % du PIB et de la dette à 60 % du PIB, cela ne signifie pas en réalité que le TSCG contraigne les Etats à une politique d'austérité pro-cyclique amplifiant les difficultés économiques actuelles. En effet, alors que le précédent pacte de stabilité et de croissance (PSC) limitait les déficits à 3 % du PIB, la nouvelle référence à une norme structurelle -et non plus conjoncturelle- du déficit laisse penser qu'il sera possible de dépasser les 3 % de déficit en situation de crise. En effet, il se peut très bien qu'un pays connaisse un déficit structurel de 0,5 % et un déficit conjoncturel bien supérieur à ce seuil et bien au-delà des anciens 3 % du PSC, et ce en raison de la vigueur de la crise. Le TSCG n'impose donc pas par lui-même une politique d'austérité en temps de crise. Alors que l'objectif du Gouvernement Ayrault de réduction du déficit public -conjoncturel- à 3 % du PIB en 2013 est critiquée en cette période de ralentissement de l'activité économique (prévision de croissance de 0,5 % à 0,8 % en 2013), l'adoption de la nouvelle norme de 0,5 % de déficit structurel que prévoit le TSCG pourraît même paraître plus laxiste que l'objectif défini de 3 % puisqu'un pays pourra très bien respecter la norme structurelle  (0,5 % du PIB) en dépassant les 3 % conjoncturel, ce seuil issu du PSC devenant caduc après ratification du TSCG. Ainsi le Gouvernement Ayrault propose-t-il un objectif qui semble plus strict que ce qu'imposerait le TSCG si celui-ci était ratifié.

La nouveauté du TSCG concerne principalement les périodes de croissance

C'est surtout en période de croissance que le TSCG impose des efforts nouveaux aux Etats: en effet, dans une telle situation, le déficit structurel devra aussi être contenu à 0,5 % du PIB, ce qui implique mécaniquement un excédent conjoncturel. Le principal effet du TSCG sera donc surtout d'imposer un excédent budgétaire en période de croissance, ce que n jamais réalisé la France, y compris pendant la période 1997- 2002, dernière période de croissance forte. Mais il ne s'agit pas  d'empêcher tout déficit et toute politique de relance en situation de crise puisque la référence à une norme de déficit structurel (0,5 %) autorise des déficits conjoncturels beaucoup plus importants. Dans ces conditions, il ne peut être reproché au TSCG son caractère pro-cyclique: il semblerait plutôt qu'il s'agisse cette fois d'un mécanisme véritablement contra-cyclique et donc économiquement pertinent, prévoyant la réduction des déficits en période de croissance mais aussi la possibilité de relances  en situation de crise. Auparavant, le PSC limitait trop drastiquement le déficit conjoncturel en situation de crise (3 %) sans prévoir de retour  à l'équilibre ou à l'excédent en période de croissance et semblait donc réellement pro-cyclique.

Si l'on ajoute que les déficits structurels peuvent atteindre 1 % du PIB si la dette de l'Etat est durablement inférieure à 60 % du PIB,  le TSCG semble moins rigide que le précédent pacte. Par ailleurs, des mesures temporaires et des circonstances exceptionnelles pourront être prises en compte pour ne pas respecter la lettre du TSCG décidément plus souple qu'il n'y paraît.

Le TSCG ne changera pas la construction européenne

Nous avions indiqué dans un précédent article que le TSCG ne changerait pas la donne en matière européenne, ce qui pouvait expliquer qu'on ne s'y oppose pas.

En effet, la gouvernance européenne n'en ressort pas fondamentalement renforcée, pas plus que la construction européenne, et le citoyen européen n'apparaît toujours pas en mesure d'influer directement sur le processus décisionnel européen. Toutefois, le TSCG aura pour effet d'accroître la supervision de la Commission européenne , gardienne des Traités, dans le respect des normes définies et obligera un Etat à retourner à l'équilibre -voire à l'excédent- en période de croissance économique. En période de crise, il semble que le TSCG soit moins contraignant que ne l'était le PSC.

Le TSCG doit-il être une cause de rupture à gauche?

Dans ces conditions, on peut s'interroger sur l'opposition acharnée du Front de Gauche devant un tel Traité. Certes, la ratification par référendum d'un traité est une possibilité offerte par la Constitution et il est dommage que les citoyens européens ne soient que très rarement appelés à s'exprimer directement sur un projet européen. Toutefois, on ne peut pas considérer que la ratification parlementaire constitue un déni de démocratie puisque la France reste une démocratie représentative, dans laquelle la quasi-totalité des lois et des traités sont approuvés par voie parlementaire. L'offensive du Front de Gauche pour un référendum a donc une visée symbolique: il s'agit d'appeler à davantage de démocratie directe (pourquoi ne pas alors appeler à une mise en oeuvre effective et simplifiée du droit d'initiative populaire prévue à l'article 11 de la Constitution depuis le 23 juillet 2008) et surtout à se différencier d'un Gouvernement qu'il juge trop modéré et conserver des marges de manœuvre électorales. Cependant, la contestation du TSCG peut produire l'effet inverse de celui recherché: en effet, plus souple que son prédécesseur, son rejet par référendum -lequel n'a rien d'acquis- nous replacerait dans le cadre stricte du PSC dont les effets sont plus strictes et pro-cycliques et donc économiquement moins pertinents; Quant à appeler à la mise en oeuvre du référendum d'initiative populaire, un tel mot d'ordre paraît trop technique pour être mobilisateur alors que la critique permanente de l'Europe reste beaucoup plus simple et politiquement plus rentable.

                                                                                                                                 Stakhanov
                                                                                                          aleks.stakhanov@gmail.com

La mondialisation de l’inégalité

dimanche 16 septembre 2012



François Bourguignon dans La mondialisation de l’inégalité, publié cet été dans la collection La République des idées au Seuil cherche à éclairer le rapport entre mondialisation et inégalités. Cet ouvrage riche en données empiriques est à la fois prospectif et prescriptif. Il permet d’avoir un éclairage sur la dynamique des inégalités, en différenciant la tendance mondiale des évolutions nationales apportant ainsi des éléments de compréhension des politiques économiques à mener dans le contexte de la mondialisation. 

Des inégalités inégales 

En France, le niveau de vie individuel moyen annuel est d’environ 18000 euros en 2006, les 10% les plus riches y reçoivent 23% du revenu total et un peu plus de 6 fois le revenu des 10% les plus pauvres. Le coefficient de Gini est de 0,28 (ce qui signifie que l’écart de niveau de vie entre 2 personnes sélectionnées au hasard vaut donc 28% du revenu moyen). Le Brésil, pays dit « émergent » est un des pays les plus inégalitaires au monde. Le niveau de vie des 10% les plus riche est de 22000 euros quant il est seulement de 500 euros pour les 10% les plus pauvres. L’écart est de plus de 40, et le coefficient de Gini est de 0,58. En Ethiopie, les 10% les plus riches vivent avec 1000 euros par personne et par an, et les 10% les plus pauvres survivent avec environ 160 euros par an. Au niveau mondial, l’écart de niveau de vie entre les 10% les plus riches (qui vivent avec environ 27000 euros/an) et les 10% les plus pauvres (niveau de vie annuel de 300 euros/personne) est de 90. Le coefficient de Gini est de 0,66.

Les inégalités dans le monde sont donc bien au-delà des inégalités existantes au sein des communautés nationales, cependant ces deux dimensions de l’inégalités connaissent des dynamiques différentes. Depuis 1820, l’inégalité mondiale a connu une hausse considérable, c’est seulement depuis 1989 que l’on commence à observer une baisse. Ainsi cet ouvrage met en avant un paradoxe, alors qu’on observe une baisse de l’inégalité mondiale, que l’auteur qualifie de « retournement historique », on assiste dans le même temps à une augmentation des inégalités au sein des territoires nationaux. Il y a ainsi un risque d’internalisation de l’inégalité, menant au passage d’inégalités entre les nations hier, à l’inégalité au sein des nations demain (Bourguignon; Guesnerie; 1999).

Des inégalités nationales qui montent

A partir des travaux de Saez et Piketty sur les Etats-Unis et ceux de Landais sur la France, on peut en effet mettre en avant une tendance au retour des inégalités (mesurées par les écarts inter-décile et inter-centile) et notamment à un rythme de croissance de celles-ci similaire à celui de la fin du 19e siècle et ce depuis une vingtaine d’années maintenant. La hausse des inégalités s’effectue par le haut de la distribution des revenus. Les 1% les plus riches connaissent des augmentations de revenus considérables. Cette évolution se retrouve dans les ¾ des pays de l’OCDE, pays scandinaves compris (rapport de l‘OCDE, Growing unequal, 2008). C’est également le même constat qui est opéré dans la grande majorité des pays en développement. Ainsi en Inde, en Chine, les gains de la croissance ne profitent qu’à une partie privilégiée de la population. 

Éléments d’explications 

Il serait aisé de rapprocher cette montée des inégalités internes à l’une des principales évolutions qu’a connu le monde sur cette période, l’intensification du processus de mondialisation à travers l’internationalisation des échanges. Cependant, à l’instar de Paul Krugman, pour F. Bourguignon la mondialisation n’est pas coupable. En effet, celle-ci a permis pour les pays émergents de se développer grâce à une croissance forte. Les gains dans les pays développés sont moins flagrants, mais existent. En revanche, Bourguignon ne nie pas que la mondialisation entraîne des changements structurels impactant notamment la répartition des richesses au sein des nations. La mondialisation a permis en effet de faire baisser les prix d’un certains nombres de produits importés et permet également de nombreux gains de productivité grâce à la spécialisation de nos économies dans les technologies de pointe. Elle a dans le même temps, entraîné dans les pays développés une certaine désindustrialisation. De même la concurrence des pays à bas salaire limite les perspectives d’évolutions salariales dans les secteurs victimes de la compétition internationale. La mondialisation joue également un rôle dans la montée des inégalités au sein des nations voyant ainsi s’apprécier la rémunération du capital (au détriment du travail), augmentant ainsi les taux de profit. L’explosion des très hauts revenus, s’explique en partie par l’extension de la taille des marchés. Par exemple, les artistes ou les sportifs ont bénéficié de l’augmentation de leurs audiences grâce au développement des techniques de communication. De la même manière, la taille des entreprises exerçant à l’international a augmenté, voyant du même coup la rémunération des dirigeants augmenter. 

Le tournant libéral en cause 

Mais la montée des inégalités s’expliquent également par la dérégulation des marchés qui s’est opérée depuis le tournant libéral du début des années 1980 sous l’impulsion de Reagan et Thatcher. Ainsi du point de vue distributif, on observe un recul de la progressivité de l’impôt. Les revenus du capital et ceux du travail ne sont pas soumis au même régime. Le capital bénéficie, au nom de sa plus forte mobilité, d’une fiscalité plus avantageuse. Ainsi, par exemple pour la France on obtient un taux moyen d’imposition régressif (Landais, Piketty, Saez). La dérégulation financière, profitant aux détenteurs de capitaux, et celle du marché du travail, contribuant à précariser les moins qualifiés, ont également conduit à l’accroissement des inégalités nationales. C’est dans ce contexte libéral observé dans de nombreux pays de l’OCDE que les inégalités nationales se sont remises à progresser. 

Une redistribution mondialisée pour une mondialisation équitable 

La mondialisation, nous explique F. Bourguignon, a permis d’hisser des millions de personnes au dessus du seuil de pauvreté, elle permet le rattrapage des économies émergentes, et réduit ainsi l’inégalité mondiale. Au niveau national, en revanche, elle est l’une des causes, directe et indirecte, de l’augmentation des inégalités. Ce n’est finalement pas la mondialisation qui est en cause dans la dynamique des inégalités mais plutôt la domination de la « doxa libérale » sur l’économie, qui mène souvent à opposer équité et efficacité conduisant à l’immobilisme politique ou du moins au « laisser-faire ». F.Bourguignon tord le cou à cette idée. Pour lui, les politiques n’ont pas à choisir entre équité et efficacité. Tout d’abord, il apparaît que les inégalités puissent être néfastes à l’efficacité économique. En effet, l’explosion des inégalités peut être source de déséquilibres macro-économiques. L’exemple de l’apparition de la crise économique et financière né aux Etats-Unis trouve son origine pour J. Stiglitz dans l’augmentation des écarts de revenus au sein de la société américaine. Pour l’auteur, toutes les « imperfections de marché sont responsables d’inégalités, qui contribuent dans le même temps à rendre l’économie inefficace. » 

De la même manière, le mécanisme du crédit visant à prêter à ceux qui ont des garanties plutôt qu’à ceux qui n’ont rien peut mener à détourner les fonds prêtés des projets les plus productifs. L’inégalité de fortune conduisant à une inégalité d’accès au marché du crédit est source d’inefficacité économique. Le même argument peut également s’appliquer à l’éducation. Enfin, l’inégalité est néfaste à l’économie car elle entraîne l’apparition de troubles sociaux et politiques. La situation du Brésil, du Mexique ou de la Colombie illustre bien cette idée. Près de 10% de la population travaille dans le domaine de la « sécurité ». F.Bourguignon s’interroge sur l’efficacité d’une telle situation tant il semblerait plus utile que ces personnes soient employés dans des domaines où les externalités sont importantes (infrastructures, santé, éducation…). 

Ainsi des politiques doivent être mises en places pour lutter contre ces inégalités qui sont ni souhaitables moralement ni économiquement efficaces. L’enjeu est d’arriver à lutter contre les inégalités nationales sans juguler la réduction des inégalités mondiales. Une partie des inégalités nationales est la conséquence de la mondialisation. Certains sont tentés à prendre des mesures protectionnistes, le terme de « démondialisation » s’est notamment popularisée en France au cours de la compagne à l’élection présidentielle. Ce type de repli nationaliste est à éviter pour une communauté soucieuse du bien-être de la population mondiale. F. Bourguignon s’interroge donc dans les dernières pages de cet ouvrage sur la manière de rendre compatible la mondialisation et le recul des inégalités nationales. L’aide au développement est aujourd’hui le seul instrument de redistribution internationale. Les pays riches consacrent ainsi près de 0.35% de leur PIB à cette aide. Cette aide, critiquée, est utile tant elle soulage la pauvreté. Il convient cependant de s’assurer qu’elle ne soit pas détournée. Cette aide somme toute dérisoire, loin de l’objectif de 0.7% du revenu national, doit s’appuyer sur une coordination des donateurs afin d’éviter les doublons, et d’en améliorer la gouvernance. 

 L’auteur conclut son ouvrage par la phrase suivante : « Eviter la mondialisation de l’inégalité passe aujourd’hui par la mondialisation de la redistribution ». Il s’agit à travers cette idée, d’harmoniser les fiscalités nationales et de développer la fiscalité internationale afin notamment d’éviter la course au moins disant fiscal.