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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Rémunération des dirigeants

mercredi 28 mars 2012



Depuis le milieu des années 1970, on considère que la rémunération des dirigeants doit être incitative. C'est ce que stipule la théorie de l'agence de Jensen et Meckling (1976): lorsque les actionnaires ne possèdent pas toute l'information nécessaire pour contrôler les dirigeants, la structure de la rémunération permet l'alignement des intérêts des deux parties.

La rémunération fixe n'étant pas incitative, du point de vue des actionnaires particulièrement, la rémunération des dirigeants est basée depuis les années 1980 sur les stock-options. Actionnaires et dirigeants ont ainsi un destin commun: maximiser la valeur de l'action de l'entreprise. Cette rémunération n'est pourtant pas exonérée de chocs exogènes: cela aurait pu accroître la volatilité des actifs financiers en liant la rémunération à une performance de court terme; par ailleurs, les dirigeants auraient finalement une part de leur rémunération liée aux mouvements des marchés financiers, parfois indépendants de la bonne performance de l'entreprise.

Alors que la capitalisation boursière des six plus grandes places financières atteint le PIB mondial, on comprend le niveau de rémunération des dirigeants. Mais de telles rémunérations sont-elles justifiées?

La réponse des économistes est double. D'un côté, la rémunération ne révèle que la structure des marchés: les dirigeants d'entreprises ont souvent des compétences extraordinaires telles qu'elles sont jugées par le marché alors que peu d'entreprises ont les moyens financiers de les attirer . Ce marché n'est pas éloigné dans son fonctionnement du marché des sportifs de haut niveau qui font face à la demande de quelques grands clubs.

De l'autre côté, la gouvernance d'entreprise peut expliquer la rémunération des dirigeants. L'actionnariat est souvent diffus et les administrateurs ont souvent partie liée avec le dirigeant (non seulement ils ont un pouvoir de révocation et de nomination mais le dirigeant lui-même peut, via le comité de nomination, influencer la composition du conseil d'administration). Les administrateurs ont par ailleurs une rémunération fixe est peu liée à la performance de l'entreprise...

Que peut-on faire face à une telle situation? Intervenir directement dans la gouvernance des entreprises par une mesure réglementaire en limitant le pouvoir du dirigeant sur le comité de rémunération et le comité de nomination des administrateurs; en liant exclusivement la rémunération des administrateurs à la performance de l'entreprise (soit-elle financière ou réelle); donner à l'assemblée des actionnaires un droit de veto sur la nomination des dirigeants.

Tout cela ne résout pas les tensions que cela pose sur la cohésion sociale, ce que les médias semblent souligner sur la rémunération des dirigeants avec le cas récent de Maurice Lévy. Je suis toutefois formellement opposé à la mise en place d'un salaire maximum comme c'est le cas aux Pays-Bas: la libre-entreprise est un principe constitutionnel qu'il faut respecter. Je pense en revanche qu'une taxation proportionnelle supérieure à 50% à partir d'une rémunération de 1 million d'euros par an et à condition de gommer les effets d'aubaine est un bon moyen de lier le fonctionnement libre de l'entreprise et la lutte contre les inégalités.

Pour en savoir plus, voir l'opus du CEPREMAP: "Comment faut-il payer les patrons?" de Frédéric Palomino, 2011.

Tarifs de l'eau

jeudi 22 mars 2012
C'est la journée mondiale de l'eau qui fait suite à un forum de l'eau associant collectivités, société civile et entreprises privées. Il faut rappeler quelques principes sur l'eau: l'accès à l'eau doit être universel et à un prix raisonnable; l'eau est rare mais elle ne l'est pas partout; enfin, le bon tarif de l'eau doit respecter les principes d'équité et de responsabilité environnementale. Je vais m'intéresser à ce dernier point en particulier.

Le débat sur les prix de l'eau en France est depuis plusieurs années centré sur les différences de tarification entre régies et délégations de service public. La différence est de 25% si l'on prend en compte le prix pour une facture de 120 m3, ce qui correspond à la consommation-type d'un ménage de deux adultes et un enfant selon l'INSEE. En revanche, trop peu d'études prennent en compte la structure tarifaire des services d'eau en France.

En France, la facture d'eau est divisée en deux parties: une partie fixe, l'abonnement, et une partie variable, qui dépend de la consommation du ménage. L'abonnement doit couvrir les frais de gestion du service et du compteur d'eau, ainsi que les charges fixes liées aux investissements. La partie variable doit couvrir la charge volumétrique de la production et de la distribution de l'eau. Ce mode de tarification est franchement régressif: les ménages les plus pauvres payent le même abonnement que les ménages les plus riches et par la suite, payent leur consommation de façon proportionnelle (la progressivité des tarifs est assez rare). Le prix moyen de l'eau pour un gros consommateur est donc plus faible que pour un petit consommateur...drôle de paradoxe.  

Ensuite, les stratégies tarifaires des régies comme des délégations vont changer d'un service à un autre: quand la densité du réseau est élevée, une partie des investissements sera probablement remboursée par la charge volumétrique; à l'inverse, quand la consommation est faible ou en diminution, les opérateurs - privés comme publics - vont augmenter le prix de l'abonnement pour sécuriser leurs revenus; enfin, certains services appliquent des prix qui sont totalement déconnectés des coûts de production et de distribution (soit pour dégager une marge, soit pour maintenir un prix trop bas de l'eau).

Les prix de l'eau doivent refléter le coût du service et ne pas résulter du manque de concurrence ou de la volonté de dégager des excédents pour financer d'autres services publics, ce qui est malheureusement parfois le cas. C'est le principe d'équité. Le principe de préservation de la ressource doit quant à lui être assuré par les redevances reversées aux agences de l'eau: ces redevances ne doivent pas être proportionnelles mais progressives pour taxer les plus gros consommateurs.

Il y a par ailleurs un débat théorique sur les modes de financement de la facture d'eau. Nous disposons de trois instruments: le tarif, la taxe et le transfert. Le tarif est évident: les consommateurs qui doivent payer ce qu'ils consomment mais il doit être en phase avec les coûts des opérateurs. La taxe pour financer les services est un sujet qui est évoqué dès la fin du XIXème siècle: une étude réalisée pour la ville de Lyon à l'époque évoque ainsi la possibilité de lier la partie fixe à la valeur locative de la surface habitée alors même que la ville de Montauban liait à cette époque abonnement et biens d'équipements (nombre de chevaux et de bovins notamment). Il n'est pas exclu qu'une taxe - avec une assiette large et un taux bas - soit efficace pour financer une partie des investissements mais l'existence de budgets annexes (mettant le service d'eau hors du budget général de la collectivité locale) rend le recours à de telles taxes en principe interdit.

Enfin, le dernier instrument est le transfert: les services reçoivent un certain nombre de subventions des agences de l'eau et des collectivités locales (ces subventions sont d'ailleurs modulées selon le mode de gestion). Les transferts pourraient en fait être directement assurés par les opérateurs et les régies. Afin de ne pas nuire à la transparence de la tarification, il est possible d'utiliser des transferts d'un montant faible - de 10 à 40 euros par an - pour alléger la facture des ménages les plus pauvres. Ces transferts peuvent être directement prélevés sur la facture des ménages les plus riches ou des plus gros consommateurs de manière forfaitaire. A supposer que seulement 5% des abonnés bénéficient d'un transfert de 40 euros, cela ne coûterait que 2 euros par an aux autres abonnés...Un "pour boire" pour restaurer l'équité de la tarification!