Par pudeur, votre humble serviteur ne s’était jamais exprimé sur la réforme des retraites. Je pense qu’il est temps de vous donner mon point de vue sur les avantages et les inconvénients de la réforme du gouvernement.
Opportunité de la réforme
Du point de vue des équilibres démographiques, la réforme est nécessaire. Il y a actuellement 1,8 actif pour 1 retraité mais ce ratio sera de 1,2 pour 1 à l’horizon 2030. Le système par répartition à la française avait été mis en place dans un contexte où il y avait plus de 4 actifs pour 1 retraité. Par ailleurs, depuis 1960, l’espérance de vie des français a augmenté de 16 ans. Ces 16 années ont été entièrement recyclées en années de retraites. Nous travaillons de moins en moins, ce qui ne serait pas un problème si nous étions plus à travailler. Or, ça n’est pas le cas : les plus de 60 ans représentent aujourd’hui 22% de la population française et même 32% à l'horizon 2050.
Du point de vue financier, le régime général connaît un déficit de 32 milliards d’euros par an. C’est la somme qui devait être atteinte en 2020. En 2030, sans réforme, ce déficit atteindrait 70 milliards d’euros. D’un point de vue financier, la réforme du gouvernement est efficace car elle permet d’atteindre l’équilibre dès 2011 et jusqu’en 2020, au prix du pillage du Fonds de réserve des retraites qui devait assurer le financement des retraites dès 2020. La réforme de Woerth n’est qu’un toilettage car dès 2020, la question de l’équilibre financier se reposera. Il n’y aura donc pas d’autres solutions que de raboter le système par une augmentation des durées de cotisations ou des cotisations elles-mêmes au début des années 2020.
Du point de vue économique, la réforme s’inscrit dans le cadre du plan de rigueur européen. Nous avons un contrat avec l’Europe : être le plus austère possible pour éviter toute attaque "à la grecque" sur un autre pays européen. Tous les pays européens se sont d'ailleurs engagés dans une réforme des retraites. C’est un moyen facile de combler les déficits. C’est surtout plus facile que de maintenir les séniors dans l’emploi ou d’assurer la transition études-emploi pour les jeunes.
Du point de vue politique, les retraites sont un problème récurrents, qui se pose tous les dix ans (1993, 2003, 2010), souvent en situation de crise économique (1993, 2010) ou de déficits élevés (2003, 2010). La réforme des retraites pourrait être un argument de campagne du Président Sarkozy: le candidat sait d'ailleurs ne rien céder et a un avantage puisque la majorité des français reconnaît qu'une réforme est nécessaire bien qu'ils ne souhaitent pas le passage de cette réforme.
Quelles sont les autres propositions?
Le projet UMP pose l’équilibre suivant entre générations : nous vivons plus longtemps que nos aînés donc nous devons travailler plus longtemps ; nous rackettons au passage – mais dans la limite de deux années de cotisations - ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans. Le projet du PS considère la question des retraites comme étant de solidarité nationale et propose donc des taxes supplémentaires sur les plus hauts revenus et le capital, ainsi qu’une augmentation des cotisations supportées par les entreprises pour financer la réforme des retraites. Les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat insistent pour une hausse de la TVA tandis que Terra Nova propose de casser les avantages fiscaux des retraités pour lever 11 milliards d’euros par an.
La dernière proposition est très rentable mais non envisageable, en tout cas dans sa totalité : le retraité moyen gagne 1315 euros et le salarié moyen 1750 euros ; cet écart devrait augmenter car i) sauf modération salariale, les salariés français vont continuer de gagner plus en moyenne que le niveau moyen des pensions de retraites (les salaires augmentent plus vite que l’inflation, or les retraites sont indexées sur l’inflation) ; ii) le recul de l’âge de la retraite va automatiquement augmenter le nombre de retraites non complètes, donc faiblement rémunérées.
L’augmentation de la TVA serait probablement à envisager quand la sortie de crise sera confirmée : il serait inéquitable de taxer les français à un moment où la reprise n’est pas assurée.
Prendre la question des retraites comme une question de solidarité nationale comme le propose le PS impose effectivement de mettre en place des taxes équitables, donc payées par chaque contribuable (une hausse de la CSG par exemple) mais en prenant en compte les moyens de chacun (la création d’une nouvelle tranche d’imposition par exemple). L’avantage d’une réforme par l’impôt est qu’elle assure le financement du régime des retraites à moyen terme et sans toucher au Fonds de réserve des retraites. L’inconvénient, c’est qu’elle modifie la philosophie du système par répartition : tout le monde paye les retraites et non plus seulement les actifs.
Ces réformes laissent trop souvent de côté les vraies questions :
- Celles de l’équité intergénérationnelle ;
- Celles de l’équité entre salariés riches et pauvres qui seront plus tard des retraités riches et pauvres.
La réforme idéale
Le système actuel des 25 meilleures années est injuste : un ouvrier commence à travailler plus tôt qu’un cadre et va donc cotiser plus longtemps ; en dépit d’une durée de cotisation plus longue, il n’aura pas ou peu avec le mécanisme de surcote un meilleur niveau de vie à la retraite ; il mourra par ailleurs plus jeune. Un cadre et un ouvrier ont 7 ans d’espérance de vie mais dans le système actuel, mais de 10 ans si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé. Pire encore, selon l’INED, un ouvrier vit en moyenne sans incapacité jusqu’à 59 ans : comment fera-t-il pour travailler plus ?
Par ailleurs, du fait des qualifications requises pour certains métiers, un ouvrier a plus de chances d’entrer sur le marché de l’emploi avant 20 ans et a donc une grande probabilité de cotiser plus longtemps qu’un cadre.
La réforme idéale serait de déconstruire le système de répartition. Les économistes Antoine Bozio et Thomas Piketty ont proposé un système des retraites qui repose sur un âge plancher de 60 ans pour prendre sa retraite, et la suppression de l’âge auquel on peut bénéficier d’une retraite à taux plein sans avoir pleinement cotisé. Chacun cotiserait pour lui-même : pour se faire, les cotisations retraites devraient être relevées à 25% du salaire brut. En quelques sortes, chacun cotiserait plus en échange de la garantie de toucher l’argent de ses cotisations. Il n’y a plus de retraites complètes ou non, le système est lisible : si je commence à travailler à 20 ans et que je cotise 46 ans, j’ai le droit à une pension égale à l’ensemble de mes cotisations divisé par la durée de ma retraite (calculée en fonction de l'espérance de vie, par exemple par Catégories socio-professionnelles). Chacun a ainsi le droit de définir selon ses propres goûts son temps de travail et le niveau de pensions qu’il considère justes pour vivre.