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"Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme à idées n'est jamais sérieux" Paul Valéry


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Le prénom et le nom déterminent-ils une existence ?

mercredi 24 février 2010
Le nom est il un facteur de réussite ? Dans un article connu, Fryer et Levitt (2004) analysent l’impact du prénom sur les parcours scolaires et professionnels. A partir d’un échantillon de registres de naissances en Californie, ils montrent qu’il existe une corrélation forte entre le prénom et la qualité d’existence des individus. Les auteurs ne considèrent cependant pas le prénom comme un facteur pouvant influencer la réussite future d’un enfant mais comme un indicateur d’un background culturel et socio-économique. Autrement dit, une famille à faibles revenus et avec peu de diplômes a plus de chances de choisir un prénom associé à une moindre réussite scolaire ou sociale, et ainsi de perpétuer l’association d’un prénom à un destin social. Les auteurs estiment par exemple à partir des registres californiens que les mères noires isolées et avec des revenus faibles ont tendance à donner à leurs enfants des prénoms que l’on ne retrouve chez aucune famille blanche. L’analyse de l’évolution du stock de prénoms est toutefois rassurante : un prénom de « perdant », ou un prénom ringard, peut devenir un prénom de « gagnant » ou un prénom à la mode.

Aux Etats-Unis, mon prénom – Simon - est associé, selon un sondage en ligne, à l’intelligence et à la vieillesse. Pourtant, Simon n’est pas un prénom de vieux : il y a quatre fois plus de bébés prénommés Simon en 2008 qu’en 1960 ! Mais le prénom reste relativement peu distribué aux Etats-Unis : il n’est dans le Top 100 des prénoms masculins d’aucun Etat américain. A priori, Simon n’est donc pas un prénom discriminant pour réussir mais peut paraître vieillot. Heureusement, un prénom peut se changer en surnom.

Qu’en est-il des enfants nés en France de parents étrangers ? On pourrait s’attendre à ce que les parents, soucieux de leur intégration dans la société française, donnent un prénom sonnant « français » à leurs enfants, c'est-à-dire un prénom avec une racine latine et biblique.

Dans une étude récente, Arai et al. (2008), à partir d’une base de l’INSEE d’enfants nés après 2002, s’intéressent aux prénoms donnés aux enfants nés en France, en distinguant cinq groupes d’enfants : les enfants français nés de parents français, de parents originaires d’un autre pays d’Europe ou de parents originaires du Maghreb ou du Moyen-Orient ; et les enfants étrangers, nés de parents étrangers européens ou originaires du Maghreb ou du Moyen-Orient. A partir des noms attribués par les différents groupes, ils calculent un indice de distance par rapport au groupe de noms le plus attribués aux enfants français nés de parents français.

Les prénoms attribués sont très différents d’un groupe à l’autre, particulièrement pour les enfants étrangers nés en France de parents originaires du Maghreb ou du Moyen-Orient. La raison n’est pas religieuse mais culturelle, les pratiques religieuses n’étant pas corrélées au fait d’attribuer un nom se rapprochant d’un nom français. En revanche, les prénoms des enfants français nés de parents étrangers ont tendance à être similaires à ceux donnés à des enfants français nés de parents français. La tendance à donner un prénom similaire à ceux des enfants français nés en France est renforcée par le niveau d’éducation des parents, le nombre d’années qu’ils ont vécu en France, et l’âge auquel ils sont arrivés. Les auteurs concluent à une forte assimilation des immigrés dans la société française.

Si un individu peut cacher son prénom, il aura plus de mal à falsifier son patronyme. Le dernier rapport de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) révèle un fort taux de réclamations sur le critère de l’origine et du nom, notamment dans le cadre de l’obtention d’un logement, où la mise en cause des origines atteint 50% du total (il est de 37% dans l’éducation et de 25% pour l’emploi). Le patronyme est un signal pour les forces discriminantes.

Dans une étude sur le marché du travail suédois, Arai et Skogman Thoursie (2006) montrent que les immigrés qui changent de patronymes – le cas le plus courant étant les personnes nommées Mohammad sous une de ses différentes formes d’orthographe - pour un nom sonnant suédois (Andersson, Bergman, Olofsson, etc.) ont i) plus de chances de trouver un travail et ii) deviennent plus productifs à cause du sentiment d’insertion qu’ils éprouvent. Ils évaluent à 26% le surplus de salaire résultant d’un changement de nom et concluent à un degré élevé de discriminations sur le marché du travail suédois. Doit-on alors inciter les migrants à changer de patronymes pour une meilleure insertion ?

En France, la francisation du nom des personnes naturalisées est une procédure courante, sur la base du volontariat afin de faciliter leur intégration. Le changement de prénom est également possible, y compris pour les enfants. Les études de Patrick Weil sur l’immigration montrent bien une évolution dans l’acception et l’insertion des immigrés. Les Espagnols, les Italiens et les Portugais ont des noms dont les origines culturelles et religieuses sont les mêmes que les Français. Leur intégration a pourtant été longue et difficile. Elle est aujourd’hui néanmoins considérée comme acquise. Que l’on se rassure, les discriminations ne sont ni générales, ni absolues.

Quand faut-il naître ?

mardi 23 février 2010
Y-a-t-il une bonne époque pour naître ? Les démographes le savent : un fait historique – guerre, catastrophe naturelle, pandémie – a des conséquences sur une population à long terme. Le déversement de 70 millions de litres de défoliants dans le Sud du Vietnam entre 1961 et 1971 a causé des malformations chez plus de 200 000 enfants vietnamiens nés pourtant des années après la fin de la guerre du Vietnam (1975). Certains facteurs sont exogènes ; d’autres sont liés aux comportements humains : les démographes le savent bien aussi.

Almond et Mazumder (2009) s’intéressent par exemple au lien entre le jeûne du Ramadan chez les femmes enceintes et la santé de l’enfant in utero. A partir d’un panel de données sur les naissances dans les communautés musulmanes du Michigan et du Sud de l’Ouganda, ils montrent que les enfants nés de femmes qui ont jeûné pendant leur grossesse ont une probabilité plus grande d’avoir un handicap physique tel qu’une incapacité mentale, visuelle ou auditive aussi bien à la naissance qu'au cours de la vie, et, avec une probabilité plus forte, un faible poids à la naissance. Les tendances sont les mêmes pour le Michigan et l’Ouganda : les enfants nés 9 mois après le début du Ramadan sont les plus touchés par les différentes formes de handicaps. En Ouganda, les enfants nés 9 mois après le Ramadan ont un risque 22% plus élevée que la moyenne d’avoir un handicap en grandissant. En fonction du calendrier lunaire qui détermine chaque année le début du mois de Ramadan, les auteurs pensent qu’il est possible de prédire le mois pendant lequel le taux d’enfants naissant avec un handicap sera le plus élevé et ainsi vérifier la pertinence de leur étude statistique.

Plusieurs études ont également été réalisées sur l’écart optimal qu’il faut observer entre deux naissances. Du point de vue sanitaire, des naissances rapprochées peuvent entraîner des conditions de vie difficile pour l’enfant qui naît et pour la mère. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que des grossesses trop rapprochées augmentent les risques de complications lors de l’accouchement. L’OMS recommande d’espacer les naissances d’au moins deux ans. Statistiquement, les risques de naissances prématurées, de faible taille ou de faible pondération pour l’enfant, sont également plus importants lorsque les naissances sont espacées de plus de cinq ans. Toutefois, l’OMS se garde de faire une recommandation sur la partie supérieure de l’intervalle.

Plus récemment, les études sur l’espacement des naissances dans les pays de l’OCDE se sont concentrées sur la « qualité » des enfants. Dans les pays de l’OCDE, la norme est d’avoir deux enfants et les profils d’espacement des naissances convergent ou divergent selon les politiques familiales qui y sont menées. Le gap entre deux naissances dans une même famille peut-il influencer les résultats scolaires des enfants?

Dans une étude sur la Suède, Per-Petterson et Skogman Thoursie (2006) s’intéressent aux effets de la réforme du congé parental en Suède (1980) qui permet de bénéficier de revenus de remplacement élevés sans retourner sur le marché du travail entre deux naissances à condition que la période entre les deux naissances n’excèdent pas 24 mois. Autrement dit, la politique familiale suédoise donne une prime au faible espacement des naissances pour éviter les sorties multiples du marché du travail. Conséquences : l’écart entre les naissances a beaucoup diminué et les résultats scolaires des enfants aussi. En contrôlant par le niveau d’études et le salaire des mères, le nombre d’enfants, le genre des enfants, on retrouve cet effet négatif du faible écart entre deux grossesses.

Comment expliquer de tels résultats alors que l’école est gratuite et que les inégalités de revenus en Suède sont parmi les plus faibles ? Les auteurs avancent deux explications à ce phénomène : d’abord, la dilution de l’attention des parents entre les enfants ; ensuite, le manque de moyens des services publics pour l’enfance (crèches, etc.) dans les années qui ont suivi la réforme.

Quelle leçon doit-on en tirer pour la politique familiale en France ? Le congé parental français est assez différent : à chaque enfant, un congé d’un an peut être renouvelé deux fois. Faute d’assistance suffisante, beaucoup de femmes déclarent vouloir mais renoncer à un enfant supplémentaire. Afin de maintenir une fécondité élevée – nous sommes champions d’Europe - et d’améliorer la transition entre grossesses et marché du travail, les pouvoirs publics devraient privilégier les investissements dans les services de l’enfance et non une prime à la réduction des écarts de naissance entre les enfants…pour l’amour de nos petits !

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Quel est le coût de naître femme ?

lundi 22 février 2010
Le hasard de la naissance peut être un fardeau à supporter toute sa vie ou une chance dont il faut jouir au maximum. La réflexion du philosophe Epictète (v. 50-125 après JC) dans son Manuel est aussi juste que violente : « souviens-toi que tu es acteur dans un drame que l’auteur a fait à sa volonté ». L’acte de naissance est en lui-même la première inégalité : un individu né aux Etats-Unis a trois fois plus de chances d’être pauvre qu’un individu né en France ; un enfant né en Afrique sub-saharienne aura une vie deux fois plus courte qu’un enfant né au Japon. Trois types d’inégalités à la naissance vont être rapidement analysés dans ce post qui sera scindé en trois parties - l’inégalité liée au genre (Partie I), les inégalités conséquentes à la temporalité de la naissance (Partie II) et l’inégalité qui peut résulter du nom ou du prénom (Partie III) – pour répondre à la question suivante : peut-on diminuer les inégalités liées à la naissance en modifiant des choix individuels ?

Être une femme a un coût économique. Une étude de l’INSEE (2006) sur le système éducatif français (1984-2004) confirme la tendance des filles à mieux réussir leurs études que les garçons. 68% d’une génération de filles possède le baccalauréat contre seulement 56% pour les garçons. Elles obtiennent également avec une probabilité plus grande un diplôme du supérieur. Les inégalités de salaire entre hommes et femmes sont pourtant de 19% - 350 euros nets par mois - en France et le coût implicite d’être une femme au cours de la vie professionnelle, sans prendre en compte les inégalités de pensions de retraite, est donc de 160 000 euros (350 euros par mois pendant 40 ans). Comment expliquer un tel coût lié au genre ?

Une partie des inégalités salariales est justifiée par les différences de durée de paie entre les genres - les femmes connaissent des ruptures de leur activité salariale plus régulières que les hommes, notamment du fait de la maternité – mais également par des choix de scolarité moins rémunérateurs. Malgré une modification des incitations possibles en réformant le congé parental et en incitant les filles à choisir une filière plutôt qu’une autre, il y a une réalité sociologique évidente : les femmes prennent plus de congés que les hommes pour assurer des tâches familiales quotidiennes (s’occuper des enfants malades par exemple) et les écarts de salaires sont persistants en contrôlant pour les diplômes et les spécialisations (Goldin et Katz, 2009).

Dans un article original, Ichino et Moretti (2009) démontrent à partir d’une étude sur les salariés d’une entreprise que l’absentéisme résultant des désagréments liés aux cycles menstruels explique 14% des différences salariales entre hommes et femmes. L’absentéisme régulier lié aux règles - il est nettement fréquent par période de 28 jours dans la base de données - des femmes de moins de 45 ans constitue un « signal » négatif qui les pénaliserait dans l’ensemble de leur carrière. Elles ont effectivement un moindre accès aux promotions managériales internes du fait même de cet absentéisme régulier alors qu’il n’affecte pas pour autant leur productivité globale. Le débat sur l’égalité salariale devrait donc aborder les questions suivantes : doit-on subventionner les femmes de moins de 45 ans ou avantager les femmes de plus de 45 ans dans les nominations et les promotions professionnelles?

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Doit-on s’étonner ou s’indigner de la violence à l’école ?

dimanche 21 février 2010

« Ouvrez une école, vous fermerez une prison ! ». La célèbre injonction de Victor Hugo est encore d’actualité d’un point de vue économique et sociologique: l’éducation a historiquement un rôle de prévention des crimes et des délits autant qu’un rôle de réparation. De nombreuses études économétriques (Fougère et al., 2009) soulignent le lien positif entre chômage des jeunes et le nombre de délits mais également le lien négatif entre le nombre d’années d’études et la probabilité d’aller en prison et même la durée d’incarcération (Lochner et Moretti, 2004). Il semble toutefois que la massification de l’école ait limitée sa capacité intégratrice de toutes les classes sociales et même engendrée de l’exclusion.
L’émotion des médias lors des faits de violence dans le milieu scolaire et l’utilisation des enseignants de leur droit de retrait ont relancé le débat sur la sécurité à l’école. Le gouvernement a d’ailleurs décidé de lancer des « états généraux » sur le sujet. Mais doit-on pour autant s’étonner et s’indigner de tels faits de violence ?

Statistiquement, il n’est pas étonnant que les lycées des quartiers sensibles soient soumis à des violences physiques ou verbales quotidiennes. D’abord parce qu'au niveau national les mineurs représentent 17% de l’ensemble des crimes et délits enregistrés en 2008 (INSEE), ensuite parce que 50% des faits de violence se concentrent sur 10% des lycées. Une faible proportion de lycées connaît donc des faits de violence réguliers qui empêchent le système d’enseignement secondaire d’assurer sa mission principale d’éducation. Toutefois, l’école reste relativement sanctuarisée puisque le rapport incidents/population est de 12 pour 1000 à l’école contre 57 pour 1000 au niveau national. Même en contrôlant pour le nombre d’incidents qui sont réglés en « interne » dans les établissements scolaires, les crimes et les délits sont moins courants au sein des écoles qu’au niveau macro national. Dans le temps long de l’histoire, de nombreuses études sociologiques soulignent la diminution de la violence et de l’insécurité (crimes de sang, viols, rackets, dégradation d’infrastructures, insultes verbales, etc.) dans le système éducatif et l’expliquent comme une conséquence du fait de la disparition des mesures de violence corrective.

D’un point de vue sociologique, la violence est une forme d’interaction sociale constructrice de la personne humaine. Il n’est pas étonnant qu’elle soit plus visible dans les quartiers défavorisés car i) le degré d’aversion à la violence y est plus faible ; ii) la remise en cause de l’école comme institution y est plus forte (Baudelot et Establet, 1970).

On ne peut cependant minimiser le problème pour deux raisons. D’abord, les crimes et les délits ont des coûts humains et économiques qui renforcent les inégalités entre quartiers et populations. D'où l'idée de droite d'être plus dissuasif en étant plus répressif. Ensuite, les moyens alloués à l’éducation sont actuellement inégalement répartis. D'où l'idée de gauche d'être plus préventif en augmentant les moyens humains. La solution réside peut-être dans les inégalités d'infrastructures. Par exemple, Paris compte un lycée pour 600 jeunes de 15-19 ans et la Seine-Saint-Denis un lycée pour 900 jeunes de 15-19 ans. En dynamique, les chiffres sont encore plus significatifs : en 1990, l’écart de jeunes de 15-19 ans entre Paris et la Seine-Saint-Denis était de 20% alors qu’il n’est plus que de 10% en 2008. L'économiste dira que la demande potentielle de lycées est plus importante que l'offre de lycées: la bonne éducation aurait donc un prix implicite beaucoup plus élevé pour les populations les plus démunies, et le "gap" de prix serait en train de s'accroître au mépris des inégalités de revenu. Ces chiffres sont d'autant plus inquiétants que le rattrapage démographique va être très rapide : la Seine-Saint-Denis compte 200 000 jeunes de 5-14 ans contre 190 000 pour Paris. L’augmentation des infrastructures scolaires en banlieue permettrait de limiter la taille des classes mais également de sectoriser les lycées pour éviter les affrontements entre quartiers. Le problème est évidemment financier mais l’investissement peut être très rentable d’ici à 2020 !

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Faut-il réformer la carte scolaire ou simplement appliquer la loi SRU ?

lundi 15 février 2010

Le logement familial est-il un facteur de réussite scolaire des enfants ? Il semble relativement évident que les « meilleures » écoles – celles qui ont les classes préparatoires les plus réputées et le taux de réussite au Baccalauréat le plus élevé - sont dans les zones urbaines les plus aisées et ont donc, par l’effet du zonage des collèges et des lycées, des élèves issus des familles aisées. Les parents qui souhaitent que leurs enfants étudient dans ces établissements ont alors deux possibilités: i) se rapprocher géographiquement d’un bon collège ou d’un bon lycée sous la contrainte financière - Black (1997) montre ainsi que ceteris paribus les parents du Massachusetts sont prêts à payer un loyer 5% supérieur pour que leurs enfants étudient dans un collège réputé – ou alors ii)contourner les règles de zonage du collège/lycée en fonction du domicile parental, c'est-à-dire la carte scolaire. Afin de permettre aux meilleurs étudiants des quartiers difficiles d’étudier dans des établissements prestigieux, la carte scolaire est assouplie depuis la rentrée 2007 mais pour quel bilan ?

Les résultats de l’enquête de la Cour des Comptes (novembre 2009) faite à la demande du Sénat sur l’impact de l’assouplissement de la carte scolaire sur les 254 collèges « ambition réussite » - les collèges les plus défavorisés de France- ont eu l’effet d’un pavé dans la marre. En effet, près de 75% des collèges étudiés ont perdu des élèves, entraînant ainsi « une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs d’inégalités » (Cour des Comptes, 2009). Inégalités en termes de moyens mais également en termes de « savoirs » puisque les meilleurs élèves ont effectivement un « bon de sortie ».

On ne peut cependant critiquer les conséquences de cette promesse électorale de Nicolas Sarkozy sans en souligner l’objectif louable qui la régissait : casser l’asymétrie d’information entre « insiders » de l’éducation nationale, au fait des procédures pour « contourner » la carte scolaire, et « outsiders » pour lesquels le système était opaque. On peut en revanche regretter que l’assouplissement de la carte scolaire ne soit pas accompagné d’un renforcement de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « SRU », qui permettrait de réduire les inégalités entre établissements scolaires en intégrant un peu de mixité sociale dans les autres quartiers.

Le gouvernement a récemment réaffirmé la volonté d’appliquer la loi SRU, notamment dans sa mesure phare - l’obligation d’un pourcentage de 20% de logements sociaux dans les communes urbaines de plus de 3500 habitants - en prenant mieux en compte les différences territoriales. La mixité sociale attendue de la loi SRU pourrait être un remède aux inégalités entre écoles de l’enseignement secondaire.

Il y a bien sûr des dizaines de facteurs pouvant expliquer les inégalités de réussite scolaire. Les enquêtes menées par le Ministère de l’Education Nationale sont généralement focalisées sur les inégalités salariales, sur les différences de catégories socioprofessionnelles ou encore sur les écarts de diplômes entre parents. La redistribution, la gratuité de l’école et la protection sociale doivent permettre d’atténuer ces différences. L’existence de logements à loyers modérés est également une forme de redistribution. Dans L’égalité des possibles (2005), Eric Maurin insiste sur la nocivité du surpeuplement des logements sur les résultats scolaires : un adolescent n’ayant pas une chambre individuelle pour faire ses devoirs a 60% de chances de redoubler au moins une fois avant la fin du collège (la moyenne étant de 40%) et une chance sur trois de sortir sans diplômes du système éducatif (INSEE, 1997).

Pour Eric Maurin, le combat contre les inégalités passe par le désenclavement des quartiers sensibles. Répartir les habitations à loyer modéré de façon équitable sur l’ensemble du territoire français permettrait de limiter l’effet des inégalités économiques spatiales sur la réussite future des enfants…et réinjecter un peu d’égalité en début de vie scolaire.

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Faut-il faire passer un alcootest aux piétons?

mercredi 10 février 2010
Le plan de sécurité routière de Jacques Chirac est une des réussites de son deuxième mandat: en cinq ans, pas moins de 8 000 morts et 100 000 blessés ont été évités. En dépit des risques liés à la conduite sous l'emprise de l'alcool, trop de personnes continuent à prendre le volant en état d'ivresse. 28% des accidents mortels sont liés à un état d'ébriété avéré. En pleine nuit, cette proportion atteint même 43%.

On estime à 800 milliards le nombre de kilomètres parcourus en voiture en France chaque année pour 80 000 accidents en 2008, soit un accident tous les 10 millions de kilomètres. Si on considère le nombre de tués (4000 en 2008), il y a un tué par accident de la route tous les 200 millions de kilomètres. En France, 9 millions d'alcootests sont effectués tous les ans, soit un contrôle tous les 89 000 kilomètres. Or, la distance moyenne parcourue à chaque déplacement pour un conducteur urbain est de 4 kilomètres. Ceci explique probablement pourquoi tant de personnes ivres se décident à prendre le volant.

Chaque année, près de 1000 piétons sont tués sur les routes. Si on considère qu'il y a 5,5% de consommateurs d'alcool "à risques" en France, on pourrait dire qu'environ 60 piétons ivres ont été tués sur les routes françaises. Ce chiffre est relativement bas par rapport au nombre total de tués sur la route. Il n'en demeure pas moins déterminant pour le choix à effectuer entre rentrer à pied ou rentrer en voiture comme le remarque S. Levitt dans son nouveau livre « Super Freakonomics ».

Si on considère qu'un français marche en moyenne 2 km par jour en dehors de sa maison ou de son lieu de travail, la probabilité pour un piéton en état d'ébriété de mourir dans un accident de la route est de 0,000000025. C'est peu pourrait-on se dire mais c'est en fait relativement élevé: un conducteur ivre a presque deux fois moins de chances de mourir qu'un piéton saoul.

Il faut évidemment prendre en compte la mort de tiers qui peut être liée au taux d'alcoolémie du conducteur et qui peut donc multiplier le nombre de morts par 1,5. On compte en effet 1000 morts par an pour lesquels la causalité avec l'alcoolisme du conducteur est avérée. Dans cet échantillon, environ 35% sont des tiers pour le conducteur. Autrement dit, son comportement peut entraîner la mort directe d'autres personnes (passagers, piétons, autres conducteurs), ce qui n'est pas forcément vrai pour le piéton en état d'ébriété. Un agent "individualiste" en état d'ébriété préfèrera donc rentrer en voiture plutôt qu'à pieds. Et son bon ami ou quelqu'un de bienveillant devrait le raccompagner, appeler un taxi ou lui conseiller de ne pas trop boire...pour son bien.

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L'addiction au tabac est-elle contagieuse?

mardi 9 février 2010

Il y a tout juste deux ans, la France suivait ses voisins européens, notamment l'Irlande, l'Italie et la Suède, dans l'interdiction de fumer dans les lieux fermés. Les fumeurs doivent maintenant se "parquer" en terrasse pour apprécier une cigarette. La justification était évidemment sanitaire: faire en sorte qu'un choix personnel - fumer - se soit pas supporté par des tiers - les passifs - en raison de sa nocivité. Fumer est une externalité négative dira l'économiste.

Cette politique révèle surtout une nouvelle approche pour les sciences sociales: le "peer-effect", pourtant bien connu des sociologues, est depuis considéré comme un facteur d'explication des décisions personnelles de santé. Dans les questions sanitaires, le "peer-effect" est crucial car il peut accélerer ou arrêter une épidémie.

Une étude récente de Christakis et Fowler (2007) aux Etats-Unis qualifie ainsi l'obésité d'épidémie américaine. Un peu plus tôt, plusieurs études ont été faites sur les comportements des couples: fumer, faire du sport, boire, se droguer et même la manière de se droguer sont des choix "contagieux" (pour une revue de littérature, voir Clark et Etilé, 2006). Surtout, la conclusion la plus importante de Clark et Etilé (2006) est que la contagion se fait en dépit de l'information sur les risques liés à ce comportement. Il existe bien sûr un effet de "peer-selection" qui va probablement être renforcé par l'interdiction de fumer: les fumeurs se rencontrent. Mais nous ne pouvons qu'être rassurés par la "peer-pressure": si un des conjoints arrête de fumer, l'autre a également plus de chances d'arrêter ceteris paribus au risque de devoir s'isoler pour fumer.

Je comprends mieux pourquoi il est interdit de fumer dans certaines parties d'Hong-Kong ou de Tokyo. Les politiques ont misé sur une interdiction géographique de fumer pour renforcer le multiplicateur de l'effet "interdiction" et ainsi éviter les débordements d'un choix personnel sur les autres. Attendons de voir si cette politique sera mise en place en France.

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