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La TVA sociale : des vertus incertaines pour des risques certains

jeudi 29 septembre 2011




Le deuxième débat des primaires citoyennes du 28 septembre 2011 a été l’occasion pour les candidats de s’exprimer sur des questions d’économie. Parmi elles, la TVA sociale. Il s’agirait de financer la protection sociale par l’augmentation de la TVA d’un ou deux points en diminuant les cotisations sociales employeurs. Dans les nombreux rapports publiés entre 2006 et 2009, il s’agissait précisément de diminuer les cotisations sociales employeurs de deux points soit 9 milliards d’euros et d’augmenter en parallèle la TVA de 1,5 points, portant le taux normal de la TVA française de 19,6 % à 21,1 %.

Les vertus attendues de la TVA sociale

La TVA sociale est présentée par de nombreux économistes, notamment mon camarade blogueur Simon Porcher, comme une taxe vertueuse : le financement de la protection sociale par la TVA aurait pour effet de réduire le coût du travail en France, plus élevé que la moyenne de l’OCDE surtout pour les plus bas salaires, et d’accroître ainsi la compétitivité des produits français. Elle aurait également l’avantage de faire financer la protection sociale par les produits importés alors qu’assise uniquement sur les cotisations sociales, la protection sociale n’est aujourd’hui financée que par les biens et services produits en France. LA TVA sociale peut ainsi s’analyser comme une forme de dévaluation compétitive par rapport aux partenaires extérieurs puisque elle réduirait le prix hors taxe des produits fabriqués sur le territoire national et renchérirait le prix TTC des produits importés.
 

Il me semble toutefois que le raisonnement est insuffisant et que la TVA sociale comporte de nombreux effets pervers.

La fiscalisation de la protection sociale est un processus ancien

Les plaidoyers en faveur de la TVA sociale insistent pour dire que la protection sociale est aujourd’hui essentiellement assise sur le travail, contribuant à accroître son coût en France par rapport aux autres pays de l’OCDE. En fait, si la protection sociale était essentiellement financée par le travail lors de la création de la sécurité sociale en 1945, la part des cotisations sociales dans le financement de la protection sociale est passée de 90 % à 60 % entre 1987 et 2006. Cette évolution s’explique principalement par la création et l’augmentation continue de la CSG donc par une fiscalisation croissante de la protection sociale. On ne peut donc plus avancer aujourd’hui que la protection sociale est financée par le seul travail et renchérit son coût. Des modes de financement alternatifs ont été imaginés depuis longtemps pour répondre aux besoins de financement de la protection sociale sans augmenter le coût du travail.

Les charges sociales sur les très bas salaires ont déjà presque totalement disparu rendant inutiles leur substitution par la TVA sociale

Depuis 1993, des politiques de réduction des charges sociales sur les bas salaires ont été entreprises pour réduire le coût du travail le moins qualifié particulièrement touché par les crises économiques et la compétition internationale. Aujourd’hui, les salaires au niveau du SMIC sont quasiment exonérés de cotisations de sécurité sociale (4,38 % a lieu de 30,38 % soit une réduction de 26 points). Cette exonération est ensuite dégressive jusqu’à 1,6 SMIC à hauteur de 5 % environ par tranche de salaire de 0,1 SMIC (cotisations de 27,48 % au lieu de 30,38 % à 1,5 SMIC soit une réduction de 2,90 %).

Dire que l’on réduira le coût du travail par la création d’une TVA sociale qui se substituerait aux charges sociales patronales perd donc tout son sens puisque les cotisations sociales ont déjà été massivement réduites. La TVA sociale ne pourra donc pas améliorer la compétitivité de la France sur les produits fabriqués par les salariés les moins bien payés.

Le risque d’effet d’aubaine est important

En théorie, le remplacement des cotisations sociales patronales par la TVA sociale est neutre pour le prix des produits puisque l’augmentation de la TVA est calculée pour compenser exactement la réduction des charges sociales. Si toutefois les entreprises profitent de la baisse des cotisations sociales pour accroître leurs marges, les prix hors taxes des biens et services resteront inchangés et les prix TTC augmenteront du fait de l’augmentation de la TVA. La TVA sociale comporte donc des risques inflationnistes pénalisant le pouvoir d’achat qu’il ne serait pas honnête d’éluder.

Si l’on prend pour exemple la diminution de 19,6 % à 5,5 % de la TVA dans la restauration, les prix à la consommation n’ont pas diminué parce que les entreprises du secteur ont profité de la diminution de la TVA pour augmenter leurs marges. Le raisonnement serait le même avec la TVA sociale : la réduction de deux points de cotisations sociales serait compensée par une hausse des marges dans les mêmes proportions. Au final, le consommateur paierait davantage avec le renchérissement de la TVA.

La TVA sociale réduira le pouvoir d’achat des salariés, notamment les moins bien payés

Puisque la TVA sociale a un effet inflationniste avec l’augmentation des prix qu’elle induit, le pouvoir d’achat des salariés diminuera. Cette diminution est d’autant plus forte que la propension à consommer est élevée, ce qui est le cas pour les salariés disposant d’un faible revenu. En effet, pour les salariés les moins bien rémunérés, le revenu est entièrement consommé alors qu’un salarié à plus haut revenu, s’il paiera aussi plus cher les biens qu’il achète, consomme moins en proportion de son revenu et épargne davantage.

En outre, si l’instauration d’une TVA sociale n’augmente pas le niveau des prélèvements obligatoires (il s’agit d’une substitution aux cotisations sociales), elle pose cependant un problème de justice fiscale : certes, le montant global des prélèvements obligatoires est inchangé mais la répartition de la charge fiscale est différente : dans les scénarios envisagés, 9 milliards d’euros sont transférés des entreprises vers les consommateurs c’est-à-dire principalement les salariés. Alors que la question de la justice fiscale est posée dans le cadre des primaires citoyennes, on peut se demander si un tel transfert de charges est juste et opportun en période de faible croissance des salaires.

La substitution entre cotisations sociales patronales et TVA sociale n’aura pas lieu

Pour conclure, l’important déficit de la sécurité sociale (18,6 milliards d’euros attendus en 2011) invite au scepticisme quant à la substituabilité de la TVA sociale et des cotisations patronales. Aujourd’hui le déficit et la dette accumulée (190 milliards d’euros) sont tels qu’il est probable que la TVA sociale ne soit qu’un mode de financement complémentaire pour réduire le « trou » de la sécurité sociale. Si tel est le cas, l’augmentation de la TVA n’améliorera pas la compétitivité des biens produits en France et contribuera surtout à une nouvelle hausse des prélèvements obligatoires en France.