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Polémique autour des programmes de sciences au lycée: une attaque politique contre l'école républicaine

jeudi 1 septembre 2011






Les lettres des députés de la droite populaire dénonçant le contenu des manuels scolaires de SVT en classe de première relancent malheureusement le débat sur les règles qui doivent prévaloir dans  l'élaboration d'un programme scolaire dans le cadre d'un état républicain, laïc et démocratique. Que serait un  Etat (et son école) où les contenus d'enseignement seraient dictés par des organisations religieuses, politiques, patronales ou syndicales?  

Le nouveau programme de Science en classe de premières ES et L consacre une partie aux sciences de la vie et de la terre et une partie à la physique-chimie. L'un des enjeux de ce programme est de faire acquérir aux élèves une culture scientifique et notamment « d'appréhender des enjeux de la science en lien avec des questions de société comme le développement durable et la santé, en portant un regard critique afin d'agir en citoyen responsable ». Ce cours de science permet aux élèves d'étudier le système optique et la formation des images, la chimie de la perception, l'agroalimentaire et les enjeux de la durabilité, les genres et la sexualité, et également les besoins énergétiques.



La vindicte des conservateurs contre ce nouveau programme trouve son origine semble-t-il par la présence du thème d'étude suivant: masculin/féminin. Je reproduis ci-dessous l'ensemble du préambule à ce thème du programme officiel paru le 30 septembre 2010, afin que chacun puisse juger du contenu de ce programme et de ses objectifs officiels que je fais arbitrairement figuré en gras :

 
« La prise en charge de façon responsable de sa vie sexuelle par ce futur adulte rend nécessaire de parfaire une éducation à la sexualité qui a commencé au collège. Ce thème vise à fournir à l'élève des connaissances scientifiques clairement établies, qui ne laissent de place ni aux informations erronées sur le fonctionnement de son corps ni aux préjugés. Ce sera également l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée.

A l'issue de cet enseignement l'élève devrait être capable d’expliquer :
      à un niveau simple, par des mécanismes hormonaux, les méthodes permettant de choisir le moment de procréer ou d'aider un couple stérile à avoir un enfant ;
      comment un comportement individuel raisonné permet de limiter les risques de contamination et de propagation des infections sexuellement transmissibles (IST) ;
      le déterminisme génétique et hormonal du sexe biologique, et de différencier ainsi identité et orientation sexuelles ;
      que l’activité sexuelle chez l’Homme repose en partie sur des phénomènes biologiques, en particulier l’activation du système de récompense. »

Les 80 députés UMP signataires dont Bernard Debré, Lionnel Luca et Christian Vanneste relaient à travers ce document les craintes de l'église catholique qui juge non scientifique la « théorie du genre ». Dans un article du 23 mai 2011 publié sur le site chretiente.info, on peut y lire que les nouveaux programmes de SVT constituent « un déferlement d’idéologie et même – parce qu’il s’agit en réalité d’incitation à la débauche – de pornographie ». Chacun est libre de juger si l'éducation à la santé, comme elle est présentée ici, contient un quelconque caractère pornographique.

Dans cet article, Jeanne Smits, directeur du quotidien Présent, met clairement en garde les élus de  la majorité, qui sont pour elle responsable de tels programmes, d'un désaveu d'une partie de l'électorat traditionnel de droite lors des prochaines échéances électorales. La réaction politique des parlementaires de droite a logiquement suivi, dans le but de ne pas abandonner cette frange « traditionnaliste » de l'électorat UMP, de peur qu'ils ne trouvent réconfort auprès d'une femme, grande, blonde, au phrasé paternel réconfortant (ou effrayant, c'est selon) situé un peu plus à droite encore de l'UMP.

Cette opposition au programme de science en classe de première trouve même un soutien de poids en la personne de Bernard Accoyer. Dans un entretien diffusé sur Europe 1, Bernard Accoyer, a estimé qu'il fallait « rester sur les vérités scientifiques et se garder lorsqu'on est dans des livres de sciences de dériver sur des questions de société ». Ainsi on notera, au passage, que pour le Président de l’Assemblée Nationale, les questions de société, ne peuvent donner lieu à des études scientifiques. Il s'agit là d'une vision bien restrictive des sciences mais fidèle à la tradition conservatrice, qui voit d'un mauvais œil que l'on puisse analyser de manière rationnelle la réalité sociale dans le but de l'expliquer et de la comprendre.

Le parallèle avec les débats sur l'enseignement de sciences économiques et sociales peut être fait, où il y a peu encore, certaines organisations du monde patronal notamment n’ont pas hésité à remettre en cause la légitimité des SES. Michel Pébereau, président de BNP Paribas, appelait à revoir l'enseignement de science économiques et sociales au lycée qui ne présentait pas assez à son goût les bienfaits de « l'entreprise » dans l'économie.

Ces exemples montrent qu'il peut exister des tensions fortes entre le projet de l'enseignement et ses enjeux politiques. La réforme des programmes scolaires se caractérise par une véritable ingérence du politique (et du religieux). Comme nous l'avions évoqué avec un autre observateur des idées, Simon Porcher, dans une note réalisée pourTerra Nova, les programmes scolaires sont placés dans une position délicate, entre science et politique. Dans le cadre de l'école publique laïque, pour préserver une certaine neutralité éducative, les savoirs scolaires ne doivent être enseignés qu'au nom de leur validité scientifique et de leur accessibilité pédagogique et non dans une optique politique.

Les programmes scolaires sont le fruit d'un long processus, ayant pour point de départ une lettre de cadrage du ministre, passant ensuite par une phase d'écriture, de discussion et de concertation menée principalement par un groupe d'experts (universitaires, inspecteurs, formateurs, enseignants, sélectionnés pour leur compétences disciplinaires, didactiques et pédagogiques) puis sont soumis au vote du conseil supérieur de l'éducation (CSE) qui émet ainsi un avis consultatif avant validation du ministre de l’éducation.

C'est le respect de ce processus qui doit permettre de protéger notre école des diverses attaques et manœuvres politiciennes. Ainsi, les contenus enseignés doivent en premier lieu être validés dans les champs de recherche de référence afin de les mettre à l'abri des manipulations et controverses politiques et médiatiques. C'est bien le cas pour la « théorie du genre », comme l'a notamment rappelé le 20 juillet 2011, le ministre en charge Luc Chatel, en expliquant que les programmes étaient bien « conformes à l’état actuel des connaissances scientifiques en biologie» et qu’ils «prônent un respect de chacun, conformément aux valeurs de la République».   

Le rôle de l'école est de transmettre des savoirs, afin de permettre l'émancipation des individus. S'opposer à la transmission des savoirs, comme le font ces députés de l'UMP, c'est en définitive s'opposer à cette émancipation. L'école républicaine est et doit rester émancipatrice, c'est dans ce but que les sciences y sont mobilisées et enseignées.

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