"L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord des solidarités de fait", Robert Schuman, 9 mai 1950.
Nombre d’économistes se sont opposés sur la solution optimale au sauvetage grec : d’un côté, certains come Charles Wyplosz préconisaient une sortie de crise par le FMI ; d’autres, comme Stéphane Cossé et Guillaume Klossa, préconisaient une intervention européenne, in fine via la création d’un Fonds monétaire européen. C’est finalement une solution intermédiaire qui a été choisie : le Fonds monétaire international (FMI), les Etats membres de la zone euro et la Banque centrale européenne (BCE) vont prêter 110 milliards d’euros sur trois ans au gouvernement grec. En échange de ce prêt, Athènes s’est engagée à des coupes budgétaires drastiques sur les prochaines années: 11% du PIB en 2010, 4,3% en 2011, 2% en 2012 et 2013. Le ratio dette/PIB atteindra un pic de 150% en 2012-13 avant d’atteindre progressivement un niveau de dette soutenable. C’est évidemment le scénario optimiste.
Pour les plus sceptiques, ces coupes budgétaires vont accélérer la récession. Ainsi, Daniel Gros estime que, pour la Grèce, toute réduction des dépenses budgétaires de 1%du PIB entraîne une réduction de la demande de 2,5% du PIB. L’application de cette règle à une réduction du déficit de 11% est évidemment très contestable mais revient à dire que le scénario pessimiste serait une chute du PIB de 25% dès 2010. Les conséquences au niveau de la zone euro seraient terribles : sortie de la Grèce de la monnaie unique, attaques spéculatives sur l’euro, etc. Afin de bien cadrer le débat, votre humble serviteur vous invite à un jeu de questions-réponses.
Que fait la Grèce dans la zone euro ?
L’Union européenne (UE) est une Union Economique et monétaire (UEM) pour certains de ses membres qui forment la « zone euro » dont la Grèce fait partie. Juridiquement, dans la force des traités, tous les Etats membres de l’UE ont vocation à rejoindre la zone euro. Economiquement, en revanche, tous les pays de l’UE n’ont pas vocation à intégrer immédiatement la zone euro, et il semble même aujourd’hui que l’intégration de certains pays ait été précipitée. En effet, au moment de la création de l’euro (1999), les quinze Etats de l’UE dont douze allaient rejoindre la zone euro en 2002 convergeaient nominalement, c'est-à-dire par les critères de Maastricht - déficit de 3%, dette de 60%, taux d’intérêt, taux de change et inflation corrélées. En revanche, la convergence réelle était illusoire tant les écarts de productivité et de compétitivité, notamment au regard des écarts d’inflation, existaient entre les différentes régions. Enfin, politiquement, certains Etats comme le Danemark ou le Royaume-Uni ne voient pas d’un bon œil l’entrée dans la monnaie unique. En plus d’être qualifiés d’eurosceptiques, ils y perdraient leur souveraineté monétaire et estiment par ailleurs que l’euro n’apporte pas la stabilité économique qu’il promet.
Pourquoi la situation grecque n’était pas soutenable ?
La Grèce et l’Italie étaient déjà connues pour leur maquillage des comptes publics. Avec la crise économique, le déficit budgétaire et la dette grecque ont bondi respectivement à 113% et 12% du PIB tandis que les perspectives de croissance sont moroses. Le fait que la Grèce soit dans la zone euro ne l’avantage pas : la Banque centrale européenne (BCE) mène une politique de soutien du taux de change alors que les déficits publics grecs s’envolent. Deux politiques qui sont discordantes et donc insoutenables.
Deux effets sont possibles. Soit la Grèce retrouve sa souveraineté monétaire. L’augmentation de ses déficits publics entraîne une diffusion de la monnaie nationale et donc sa dépréciation qui lui redonne des gains de compétitivité, notamment vis-à-vis de la zone euro. Soit les marchés considèrent l’endettement de la Grèce comme irraisonnable au regard de sa situation économique : les taux d’intérêt sur la dette augmentent en raison d’une prime de risque sur le défaut de la dette, ce qui renforce la charge budgétaire liée au remboursement de la dette. Un plan d’austérité consistant à couper les dépenses publiques est alors mis en œuvre.
Pourquoi la dette grecque devient-elle soudain un problème ?
En monnaie unique, la pression sur les taux de change se fait moins sentir, en particulier pour un petit pays comme la Grèce qui ne représente que 2,5% du PIB de la zone euro. La monnaie unique rend plus floue les tensions sur les marchés financiers. Ainsi, un pays trop endetté comme l’Islande, a connu une forte dévaluation de sa monnaie et une montée des taux d’intérêts sur les titres de dette, poussant le pays à la quasi-faillite. Les Islandais ont alors compris que l’entrée dans la monnaie unique pouvait limiter les crises car la dévaluation monétaire est moins aisée, particulièrement si l’Etat en faillite est de petite taille.
En revanche, l’euro devient un voile pour les gouvernements : la situation des pays très endettés reste relativement stable jusqu’à ce que le seuil psychologique d’endettement pour les marchés soit dépassé et que les agences de notation ne dégradent la note du titre de dette. La spéculation sur les titres de dettes peut alors contaminer l’ensemble de la zone monétaire : les investisseurs peuvent estimer que la stabilité de la monnaie unique n’est pas garantie et ainsi parier sur sa dévaluation.
Sauver l’euro ou sauver la Grèce ?
Le sauvetage de la Grèce n’a qu’un seul objectif : protéger l’euro d’une dévaluation rapide de la monnaie européenne ou d’une forte montée des taux d’intérêts sur la dette des autres pays membres. A travers la Grèce, c’est en fait l’Union économique et monétaire que l’on sauve.
Cette situation de sauvetage est d’ailleurs particulière. Afin de prévenir les situations de crises des finances publiques, le traité européen prévoit l’interdiction de sauvetage d’un pays par un autre (art. 125 TUE). Il s’agit d’éviter l’aléa moral ; autrement dit, chaque pays doit assumer ses responsabilités. Mais plus fondamentalement, comme le note Wyplosz, cet article « indique que les difficultés budgétaires d’un pays sont un problème purement local ». D’ailleurs, comme le note Fitoussi dans le Monde du 5 mai dernier, la zone euro est, en ce qui concerne les finances publiques dans les pays développés, la région la plus vertueuse avec une dette de 84% du PIB et un déficit de 6,9%, contre 92% et 10,7% aux Etats-Unis et 197% et 8,2% au Japon. De quoi rassurer les marchés.
Dévaluation de l’euro, risque de contagion et nouvelle gouvernance économique
Compte tenu des niveaux du déficit et de la dette comparativement faibles pour la zone euro, on pourrait considérer comme irrationnelle la réaction des marchés à l’annonce du plan de sauvetage. Tandis que les principales bourses ont dévissé, la devise européenne a chuté à environ 1,25 dollars contre 1,45 dollars au début de l’année. Il y a encore quelques mois, la plupart des gouvernements européens ne se seraient pas plaints d’une dévaluation relative de l’euro par rapport au dollar. En effet, de l’avis de la plupart des commentateurs, l’euro était largement surévalué, ce qui pénalisait la compétitivité-prix des pays européens. Les investisseurs spéculent plutôt en faveur d’une contagion de la crise à l’Espagne, l’Irlande et au Portugal. Là encore, le FMI, la BCE et la Commission devront trouver un moyen de s’entendre sur les voies de rééchelonnement de la dette à suivre.
La réaction des investisseurs n’est cependant pas irrationnelle. Le plan de sauvetage se fait au détriment d’un des piliers fondamentaux de l’UE : le Pacte de stabilité et de croissance. Celui-ci apparait encore comme largement illusoire. Non respecté (2003 et 2004), assoupli (2005), insulté (2002) et désormais piétiné (2010), le plan de sauvetage, aussi réactif soit-il, révèle les carences de la gouvernance économique européenne. Force est de constater que si l’Euro survit, un effort de rattrapage et d’uniformisation de la zone euro ainsi que des règles fortes de gouvernance devront être mises en place. A défaut d’un gouvernement économique européen, ce sont les constitutions économiques des Etats membres qui devront être changées : chaque pays, s’il souhaite rester dans l’Union monétaire, devra constitutionnaliser un « Pacte européen de croissance et solidarité ».
Dans l’immédiat, chaque pays doit rendre un plan de réduction de la dette sur les trois ans à venir. Paris et Rome se sont déjà lancées dans la voie d’un plan crédible de soutien des finances publiques. Le message est clair : il faut envoyer un signal positif au marché.
Enfin, la création d’un fonds monétaire européen reste d’actualité. Probablement très favorable à l’aléa moral, un « fonds de stabilité » – alimenté et verrouillé en période de croissance, redistribué en période de récession - permettrait de débloquer rapidement des fonds pour aider une région en difficulté. Pour encadrer l’aléa moral, on pourrait créer une règle assurantielle : chaque état peut toucher une aide équivalente au montant de sa cotisation, tandis qu’en période de récession, une aide substantielle serait soumise à un avis de la Commission et de l’Eurogroupe. Ce fonds de stabilité serait un fonds de défense de la zone euro. Ce serait aussi admettre que l’UE devienne une forme de fédération économique, à défaut d’avoir un marché du travail mobile.
Le 9 mai 2010, soixante ans après la déclaration Schuman se sont mis d’accord sur un plan de secours pour aider les pays de la zone euro. Le total se décompose en 60 milliards de prêts apportés par la Commission européenne et 440 milliards d'euros de prêts et garanties par les pays de la zone euro. Le Fonds monétaire international apportera une contribution additionnelle sous forme de prêts, pour un montant pouvant atteindre 250 milliards d'euros. La première réaction des marchés semble positive. Dès l'annonce du plan, l'euro remontait au-dessus de 1,29 dollar américain dans les échanges en Asie. A Tokyo, en début d'après-midi, l'indice Nikkei prenait plus de 1,5 %, après avoir perdu 3,1 % vendredi.
Le statu quo de la zone euro est la meilleure des solutions
Tous les gouvernements économiques de la zone euro ont les mains liées. Les pays vertueux qui choisiraient de quitter la zone euro auraient une monnaie surévaluée par rapport à l’euro : leurs exportations seraient moins compétitives tandis que le coût sec de changement de monnaie est important. Par ailleurs, un pays non-vertueux qui serait exclu de la zone euro, comme la Grèce, connaîtrait une sous-évaluation de sa monnaie, qui serait i) dangereux compte tenu de ses finances publiques dégradées mais ii) favorable à ses exportations au détriment de la zone euro. L’inconvénient pour la zone dans son ensemble est que la monnaie européenne et ses gouvernements perdraient toute crédibilité sur le long terme. La mémoire est un facteur économique important et quiconque aurait vécu une période de crises intestinales aussi profonde renoncerait à reconstruire une Europe économique ou à y investir, au moins pour la génération à venir.
Quant au périmètre de la zone euro, il doit être défini de façon précise : les pays de l’UE qui n’ont pas les mêmes caractéristiques réelles que les pays vertueux de la zone euro doivent être écartés pour le moment.
En revanche, la BCE pourrait bien encore jouer un rôle de pompier
Deux solutions semblent essentielles : i) s’accorder avec les principales zones monétaires – Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni et Japon – pour faire une « frappe ponctuelle » sur la parité euro/dollar et ii) annoncer une stratégie claire de maintien et de défense de l’euro à la parité euro/dollar. Un accord avec la Federal Reserve américaine peut être trouvé: l'euro est le dernier rempart qui protège une spéculation déstabilisatrice sur le dollar. Rappelons encore une fois que la situation financière des Etats-Unis est pire que la zone euro. Ils bénéficient en revanche d'un budget fédéral et d'une mobilité du travail qui leur permet de mieux absorber les chocs tandis que le dollar reste la monnaie de réserve internationale. En revanche, il est à peu près certain qu'une attaque réussie sur l'euro précéderait une attaque sur le dollar.
Enfin, la garantie de restructuration des banques de la zone euro et de l’UE ne doit être explicitement apportée qu’au cas par cas en fonction des éventuels sauvetages. Garantir les fonds des banques serait admettre que la stabilité financière de l’Europe dans son ensemble est menacée. Un signal fort négatif pour les marchés.
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