Prostitution de luxe et moralité
vendredi 16 avril 2010
Sudhir Venkatesh est venu le 15 avril présenter ses travaux à l'Ecole d'Economie de Paris. Dans un post du début du mois de mars, l'Observatoire des idées soutient que les modifications du modèle économique de la prostitution sont liées à l'apparition des nouvelles technologies de l'information, qui a renforcé le marché de la prostitution de luxe. Questionné sur le sujet, Sudhir estime que l’impact de la technologie sur la culture est moins essentiel que la « gentrification » de New York pour comprendre l'apparition d'une demande nouvelle pour les prostituées de luxe. Les NTIC ne seraient qu'un outil facilitant l'échange du service sur le marché.
L'observatoire des idées a demandé à Sudhir des informations supplémentaires sur le rapport à la moralité des prostituées de luxe, généralement très éduquées (les prostituées du réseau ‘Empire’ étaient toutes diplômées d'universités de la "Ivy league" ou de la LSE, etc.) et issues de milieux aisés. Sudhir insiste sur la dualité du marché du travail de la prostitution de luxe. Il y a deux types de travailleuses du sexe : celles qui font de la prostitution leur activité principale et celles qui en font une activité secondaire pour arrondir les fins de mois. La première catégorie de femmes est inapte au travail en entreprise : la plupart n'a d’ailleurs jamais été sur le marché du travail classique. La deuxième catégorie, celles qui souhaitent arrondir leur fin de mois, est constituée de femmes ayant le plus souvent un travail à responsabilités dans une grande entreprise. Leur choix économique n'est pas seulement opportuniste et rationnel - anesthésier la moralité contre une grosse somme d’argent – mais s’explique par le déni de la question de la moralité.
Sudhir nous a expliqué que les prostituées de luxe voient leurs rendez-vous comme des « flirts » plus que comme des échanges sexuels. Ceci est lié à deux points : d’abord aux rites de la prostitution de luxe – restaurant à la mode, fleurs et parfum en cadeau, courtoisie, rapports sexuels non-systématiques, etc. – qui masquent l’échange monétaire du rendez-vous ; ensuite, au fait que leurs clients sont réguliers sur plusieurs années et peu nombreux, trois ou quatre en moyenne. La question de la moralité ne se pose donc pas car leur activité est masquée précisément au moment où elles l'exercent, et une relation d’attirance, de confiance et d’affection se crée entre la prostituée et ses clients.
Questionnées sur leur avenir à moyen terme, les prostituées de luxe de New York étudiées par Sudhir ont toutes la même réponse : elles se voient épouser un des hommes de leur carnet d’adresse. Pour votre humble serviteur, cette réponse confirme deux choses :
- Premièrement, l’absence de moralité dans le rapport à leur métier, puisqu’elles imaginent le futur avec un de leurs clients, pourtant rencontrés dans le cadre de la prostitution. Mais le rapport aux clients est différent parce que ceux-ci considèrent les prostituées de luxe comme éduquées, donc du même monde, et par conséquent fréquentables. Cette trajectoire est différente de celle des prostituées des rues, qui finissent également souvent en couple avec un de leurs clients, mais qui i) n’ont pas de notions de l’avenir car elles exercent leur métier pour répondre à un besoin d’argent immédiat et ii) sont souvent considérées comme non fréquentables, y compris par leurs clients.
-Deuxièmement, une prise de conscience de la dépréciation de leur capital, c'est-à-dire de leur beauté. C’est ce qui les incite à penser qu’elles devront se retirer du marché de la prostitution vers 30-35 ans pour fonder une famille avec un de leurs anciens clients. Absence de moralité mais rationalité économique tout de même.
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