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La « double peine» des femmes issues des minorités : discriminations ethniques et sexuelles

mardi 20 avril 2010

Dans des posts récents, nous avions déjà abordé le coût de naître femme et les discriminations patronymiques sur le marché du travail. L’observatoire des idées va cette fois encore plus loin en s’intéressant aux discriminations que subissent les femmes issues des minorités ethniques sur trois marchés : le mariage, les sites de rencontres et le lieu de travail.

Le « columnist » Lexington du quotidien The Economist revient dans un commentaire récent sur un sujet désormais classique aux Etats-Unis: le marché du mariage pour les afro-américains. Ce marché mérite débat pour deux raisons. i) D’abord parce qu’il est marqué par une pénurie d’hommes noirs ayant une bonne situation : 1 afro-américain sur 9 âgé de 20 à 29 ans est en prison et 1 afro-américain sur 3 fera un séjour en prison au cours de sa vie. ii) Ensuite, parce que les différents marchés "ethniques" du mariage sont très fermés : aux Etats-Unis, 96% des femmes mariées noires ont un mari noir et 96% des femmes mariées blanches ont un mari blanc. Il est désormais commun d’admettre que la détention des afro-américains renforce les discriminations envers les femmes noires – qui sont donc soit célibataires par défaut, soit femme de détenu - autant que la communauté afro-américaine dans son ensemble. En effet, conséquence de la détention, le « vol » des petits copains entre femmes afro-américaines est chose courante et déstabilise certains quartiers.

Qu’en est-il des afro-américaines éduquées ? Celles-ci se situent en effet sur un autre marché du mariage, celui des afro-américains ayant une situation sociale appréciable. Sur ce marché, le phénomène de détournement des maris est beaucoup plus faible pour deux raisons: les afro-américains aisés ont une probabilité presque nulle de faire un séjour en prison; du fait de la séparation sociale des marchés du mariage, une femme afro-américaine d'un milieu défavorisé a peu de chances de réussir à piquer le mari d'une afro-américaine aisée. Cependant, les afro-américaines aisées sont sujettes à une autre forme de discriminations selon Lexington : la polygamie. En effet, un homme noir éduqué a une valeur largement surévaluée sur le marché du mariage afro-américain, comprenez la demande excède largement l'offre. Difficile alors pour l’homme en question de résister aux avances. Double peine sur le marché du mariage donc.

Les afro-américaines ont-elles plus de chance sur les réseaux de rencontre? Ian Ayres, professeur de droit et d’économie à Yale a récemment étudié la question. Soucieux de promouvoir sa capacité à « matcher » les profils, le site de rencontre américain OkCupid.com publie régulièrement des statistiques sur le lien entre origine ethnique et probabilité d'une histoire d'amour. A partir de ces statistiques, Ayres montre que les femmes afro-américaines sont victimes de discrimination sur les réseaux sociaux de rencontre : le taux de réponse des hommes de toute origine ethnique aux afro-américaines est 20% moins élevé que le taux moyen de réponse. A l’inverse, les femmes afro-américaines sont celles qui répondent le plus souvent aux messages laissés par des hommes, quelque soit l’origine ethnique de ces derniers. Explication : elles reçoivent moins de messages ou de réponses que la moyenne des femmes. Discriminations donc raciales sur les réseaux de rencontres.

Qu’en est-il du harcèlement ethnique et sexuel au travail ? Une série d’articles de Jennifer Berdahl de l’Université de Toronto souligne la double peine des femmes issues des minorités dans le monde du travail nord-américain. Une femme issue d’une minorité ethnique a une probabilité deux fois plus grande qu’une femme blanche d’être victime de harcèlement sexuel. Quant au risque de harcèlement ethnique, il est 1,5 fois plus élevé pour les femmes que pour les hommes issus des minorités. Au total, sur leur lieu de travail, les femmes ayant une origine ethnique sont cinq fois plus soumises aux discriminations, qu'elles soient raciales ou sexuelles, que les hommes blancs. Difficile à admettre quand on sait que les afro-américains ont un taux de réponse à leurs candidatures pour un emploi deux fois inférieurs à celui des blancs. L’ouverture du marché du travail serait a priori la solution à la diminution des discriminations sexuelles et ethniques sur le lieu du travail.

2 commentaires:

Yannick Bourquin a dit…

"Cependant, les afro-américaines aisées sont sujettes à une autre forme de discriminations : la polygamie. En effet, un homme noir éduqué a une valeur largement surévaluée sur le marché du mariage afro-américain, comprenez la demande excède largement l'offre."

Il me semblait, d'après les travaux de Becker (et de ce que j'en ai compris dans le premier livre de Delaigue et Ménia), que la polygamie avait des conséquences contre-intuitives sur le marché du mariage : pour parler crûment, un homme polygame satisfait plus de demande qu'un homme monogame, ce qui contribue à réduire la pénurie d'hommes. Si par exemple 9% des femmes acceptent la polygamie et qu'un polygame a 3 femmes en moyenne, ça veut dire que les 91% des femmes restantes sont "matchées" aux 97% des hommes restants.

Qu'en pensez-vous ?

Simon PORCHER a dit…

Merci pour cet excellent commentaire!
Effectivement Becker peut choquer par sa représentation très économique des choix sexuels, familiaux ou criminels.

Après tout, une femme peut préférer un homme polygame avec une bonne situation plutôt qu'un homme fidèle moins aisé et donc moins apte à satisfaire ses préférences économiques. Tout dépend de ses préférences. Les femmes éduquées ayant une situation financière plus enviable, leur fonction de préférence valorise probablement plus la fidélité et l'attention de leur mari que sa situation financière. La polygamie peut alors être ressentie comme une discrimination.

Mais encore une fois, tout dépend de leurs préférences et de la rareté relative de l'offre sur le marché.

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