Fin 2006, je me souviens avoir conversé avec une étudiante américaine venue en échange. Celle-ci me racontait qu’elle passait ses week-ends à se promener et à photographier Clichy, La Courneuve, Montfermeil et Sarcelles. Elle voulait visiter les « quartiers » pour se donner une chance d’avoir sa propre vision des cités françaises. J’étais d’abord surpris mais je me suis ensuite convaincu de la rationalité de ses goûts : les bidonvilles, cités, ghettos et quartiers attirent. Nombreux sont ceux qui ont apprécié le film « Slumdog Millionnaire » (2008) de Danny Boyle : unanimité des critiques - huit oscars - et du public - 200 millions $ de recettes. « La Haine » (1995), « L’esquive » (2004) et « Entre les murs » (2008) ont eu leur lot de récompenses. « La Cité de Dieu » (2002) de Fernando Meirelles et Kàtia Lund est considéré comme un classique du cinéma latino-américain. Sur le petit écran, l’émission d’Harry Roselmack, « Derrière les murs de la cité », a reçu le « Laurier Information TV ».
Au-delà du cinéma, la mode est au « favela tour ». Environ 5% des touristes qui visitent Rio de Janeiro payent pour arpenter les rues d’un bidonville, pour y respirer l’odeur malsaine et observer la pauvreté des autres. A 23 euros la visite, Favela Tour, l’entreprise brésilienne qui propose ce service, encaisse près de 20 000 euros par mois. Les townships de Soweto en Afrique du Sud et les bidonvilles de Bombay rassemblent également plus de 500 touristes par mois pour une visite à moins de 10 euros. On pourrait crier au voyeurisme si une bonne partie des recettes – 80% pour Favela Tour - n’était pas versée aux habitants eux-mêmes ; probablement pour acheter leur calme et leur coopération. Quoi qu’il en soit le safari urbain est à la mode : pas de photos ni de regards dans les yeux au risque de réveiller la bête.
Ce qui fascine dans les espaces enclavés est leur proximité géographique avec les zones les plus aisées. C’est cette « ségrégation spatiale » comme la nomme Eric Maurin (Le ghetto français, 2004) qui est étonnante : d’un côté, une explosion démographique des villes et donc de leurs ghettos avec une population très jeune ; de l’autre, un phénomène de fuite des quartiers vers les quartiers plus aisés. Améliorer le sort des habitants des quartiers défavorisés est donc à la fois simple et compliqué : la position géographique des quartiers est favorable à un développement économique rapide (Porter, 1995) mais pourtant toutes les incitations économiques, notamment fiscales, pour relancer l’économie des quartiers défavorisés n’ont pas marché. La solution n’est donc pas de consacrer des moyens financiers sur ces espaces enclavés – au travers d’un « plan Marshall » pour la banlieue longuement évoqué – mais plutôt de « casser » les ghettos qui se sont formés. Les solutions sont connues : application de la loi SRU, politique ambitieuse de construction des logements, destruction des foyers inhabitables et relogement des habitants dans des quartiers plus aisés, redéfinition de la carte universitaire en incitant au regroupement des campus en dehors de Paris, concentration des bourses d’excellence sur les élèves issus des quartiers, recentrage des bourses sur certaines formations, décentralisation la politique sociale des départements aux intercommunalités (mesure qui serait permise par la réforme territoriale) pour limiter les inégalités territoriales au sein de chaque région, renforcement de la péréquation territoriale, bonne utilisation des mécanismes actuels d’insertion professionnelle des jeunes populations des quartiers défavorisés, renforcement des recherches économiques et sociologiques sur le quartiers… En quelques mots, il faut du temps et de l’argent. Deux éléments qui manquent aujourd’hui.
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