Lutter contre les incivilités pour prévenir la délinquance?
mardi 2 novembre 2010
L’environnement dans lequel on évolue – la « structure » comme dit Lévi-Strauss - détermine une part de notre existence. Une équipe de chercheurs de l’université de Groningen a montré un lien entre la fréquence de graffitis et des autres formes de petite délinquance et le comportement d’un individu. Le résultat est simple : vivre dans un environnement délabré incite à commettre deux fois plus d'actes de vandalisme.
Le lien entre psychologie et désordre physique est une idée développée dans les années 1980 par George Kelling. La théorie de Kelling est la suivante : la tolérance zéro sur la petite délinquance permet de lutter contre la criminalité en général, y compris contre les délits de grande envergure. L’exemple développé par Kelling est assez connu. Quelques carreaux cassés dans un building vide amènent rapidement à d’autres carreaux cassés, puis à des actes de vandalisme plus importants dans le bâtiment. Lutter contre les incivilités permet alors de prévenir d’autres actes de vandalisme et probablement même d’empêcher la montée en puissance de futurs délinquants. C’est en vertu de cette théorie que New York est devenue sous Rudy Giuliani une des villes les plus sures des Etats-Unis.
De nombreuses villes européennes, y compris Paris, se donnent pour objectif de lutter contre les incivilités afin de lutter plus généralement contre la délinquance, ce qui semble appuyer la théorie de Kelling. Il existe cependant une pluralité d'autres facteurs qui influencent la criminalité et qui sont ignorés par Kelling tels que la pauvreté, la qualité du logement et la sévérité des peines lourdes. Il y a évidemment une considération sociologique à prendre en compte et c’est dans ce cadre strict que la théorie de Kelling est crédible : un comportement en société peut être diffusé et ainsi entraîner un autre comportement. C’est précisément ce que teste l’équipe de Groningen dans plusieurs études expérimentales. Prenons deux exemples.
D'abord celui de deux allées concomitantes contenant chacune deux bornes de vélos de location (type Vélib’) : une dont les murs sont repeints à neuf et une autre entièrement tagguée dans laquelle des ordures sont disposées à terre. Les deux parties de l’allée contiennent un panneau interdisant les graffitis. Sur chaque vélo, une banderole publicitaire d’une marque de sport est collée sur la borne de rattachement au vélo et doit donc être retirée au moment où le vélo est détaché pour usage. L'utilisateur du vélo a trois choix: garder la banderole (ordre), la poser sur un autre vélo ou la jeter à terre (désordre dans les deux derniers cas).
Afin de garder l’indépendance des évènements, chaque banderole jetée à terre a été systématiquement ramassée. Dans la partie du passage entièrement tagguée, 66% des utilisateurs avaient un comportement non civique. C’est deux fois plus que ceux qui utilisaient un vélo dans la partie de l’allée repeinte.
Un autre résultat significatif est celui du vol. Dans une zone considérée en désordre, un même individu a deux fois plus de chances de voler que dans une situation d'ordre. L'expérience est la suivante: une enveloppe contenant en apparence un billet de 5 euros est coincée dans la fente d'une boîte aux lettres. L'enveloppe est volée dans 13% des cas dans une condition d’ordre mais dans 25% des cas dans une condition de désordre, c'est-à-dire quand la boîte aux lettres est tagguée et que des déchets sont répartis autour. Le message est donc clair en termes de politique publique. Il faut empêcher le développement des incivilités pour lutter contre la délinquance.
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