Economie de la mendicité
vendredi 19 novembre 2010
Je viens de redécouvrir une série d’articles de Julien Damon sur les « vagabonds », devenus aujourd’hui des « sans domicile fixe » (SDF). Damon montre à quel point au fil des siècles les « clochards» cristallisent l’anxiété sociale et sont la cible de toutes les politiques de lutte contre l’exclusion. De l’action répressive ayant pour objectif de sauvegarder l’ordre public à la mise en place du service public d’aide contre l’exclusion dont le but est de sauvegarder la dignité du vagabond; de la donation privée à la donation publique, le statut du mendiant se retrouve toujours à l’intersection de la sécurité et de la solidarité. Autrefois considéré comme une menace pour la sécurité des gouvernants, les vagabonds apparaissent aujourd’hui comme complètement irrationnels et désorganisés : si le Président de la République doit se méfier de la rue, il n’a pas à s’inquiéter de ceux qui dorment dans la rue.
D’où vient cette évolution? Le vagabond du Moyen Âge est indigent, oisif et mobile. L’Etat a donc très vite mis en place des moyens de lutter contre la mendicité et le vagabondage. Après avoir été condamnés pendant des siècles, le délit de vagabondage est systématisé à l’article 269 de l’ancien Code pénal et subsistera jusqu’au nouveau Code pénal de 1994. Sa pénalisation va de pair avec la reconnaissance d'un atavisme criminel, développé notamment par Lombroso au XIXème siècle. Dépénalisé au fil des années, le vagabond devient clochard. Il passe du paresseux criminel possédé par une envie d’errer au statut de victime de la société industrielle. Le droit au travail n’ayant pas été mis en place par la constitution de 1848, le « sans profession » n’est plus considéré sous le prisme du bon ou du mauvais pauvre mais sous celui du déclassement ou de l'exclusion.
Il demeure toutefois des sources inespérées de revenus pour les mendiants. Prenons l'exemple de la manche « active» dans le métro parisien, celle qui consiste à aller au contact des usagers des transports publics alors qu'il sont dans le mode de transport. Si notre mendiant travaille 5 heures par jour – disons de 10h à 16h avec une heure de pause consécutive dans la journée - il a un stock potentiel de travail de 300 minutes. Supposons qu’il reste en moyenne deux stations pour faire la manche ou pour jouer d'un instrument, ce qui fait potentiellement une centaine de «performances» possibles. Supposons que tous les quatre wagons, il laisse passer un train pour ensuite en prendre un autre : notre mendiant perd alors 4 minutes toutes les 15 minutes. Il ne peut donc utiliser que les trois quarts du temps total de la mendicité. Il ne reste plus que 75 actes de mendicité possibles. Comme il est en environnement concurrentiel, il doit passer son tour une fois sur cinq pour laisser la place à un autre mendiant. Il ne travaille donc effectivement que durant 60% du temps de travail total possible. A chaque « performance », il peut espérer gagner 40 cents d’euros, ce qui fait 24 euros par jour, environ 125 euros par semaine et 500 euros par mois. Si on prend en compte l'impact de la crise économique - les dons aux associations baissent de 9% et le nombre de SDF a, selon la fondation Abbé Pierre, augmenté de 80 000 à 100 000 individus lors des cinq dernières années - on pourrait imaginer qu'un mendiant en situation de crise ne puisse retirer que 350 euros de son activité. Il fait effectivement face à la conjoncture économique et à un surcroît de concurrence. C’est à peu près les gains de la mendicité déclarés par certains Roms.
Je regrette pour ma part qu’il n'y ait pas plus d'articles de recherche sur l’exclusion et le vagabondage malgré l'héritage de Foucault. Je continuerai si possible d'alimenter ce blog de billets sur la prostitution, la rue, la ville.
2 commentaires:
Bonjour Simon,
Merci pour vos articles, continuez !
Olivier
Content que ça vous plaise!
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