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La démondialisation a-t-elle un sens?

jeudi 30 juin 2011


La mondialisation, mot utilisé le plus souvent dans le but de servir de cache-sexe à l'idéologie néolibérale, correspond au processus d'intensification des échanges économiques et culturels dans le monde. Elle prend trois formes : le développement du commerce international, l'internationalisation des processus productifs, la globalisation financière.

La « démondialisation », le nouveau mot à la mode dans les médias (et certains politiques) français, pointe les dérives du néolibéralisme. Si l’on s'intéresse, d'un point de vue strictement étymologique à ce mot, il semble inviter à réduire le degré d’ouverture de nos économies nationales. Depuis la crise de 2007-2008, le discours démondialiste, pour ne pas dire nationaliste, prend de l’ampleur dans le débat public. Comme dans toutes les périodes de crise économique, le repli nationaliste et le recours au protectionnisme sont des tentations fortes. Mais ces tentations sont-elles légitimes au regard des gains de la mondialisation?

La démondialisation vient dénoncer la pression des économies extérieures sur notre économie nationale, et plus particulièrement sur le niveau de vie des français. De nombreuses inepties sont avancées par les défenseurs d'un repli nationaliste, allant jusqu'à dire que les travailleurs immigrés exercent une pression la baisse sur les salaires des français, ce qui est très discutable. Ainsi, la démondialisation n’est pas seulement la fermeture des marchés des biens et services mais également la chasse aux travailleurs étrangers.

Le repli protectionniste dans l'histoire n'a jamais été un succès. L'exemple le plus utilisé concerne la crise économique de 1929, le fameux « Jeudi Noir ». De nombreux Etats cédèrent aux tentations protectionnistes - hausses des droits de douane, contingentement et prohibition de certains produits, dévaluations monétaires - faisant chuter de près de 40% le volume des échanges internationaux entre 1929 et 1932. Ces mesures eurent pour effet principalement de retarder la sortie de crise.

L’histoire économique regorge d’exemples de ce type. Colbert, ministre des finances de Louis XIV, pur défenseur du « patriotisme économique », décide en 1667 de doubler les taxes sur les produits anglais et hollandais. Une telle politique eu des conséquences négatives. Colbert pensait pouvoir se passait des autres pays mais au final ce sont surtout les autres pays qui ont décidé de se passer de lui. Les mesures protectionnistes s'accompagnent le plus souvent d'une certaine réciprocité en la matière. Par exemple, les Anglais, qui étaient à cette période des grands importateurs de toiles bretonnes, n'hésitèrent pas à se tourner vers d'autres contrées. Les Français et les Hollandais se livrèrent une bataille sur les tarifs douaniers de l'alcool et de la soie qui amena cette fois à un véritable conflit armé de 1672 à 1678.

Les défenseurs de la « démondialisation » envisagent de manière erronée le commerce international comme un jeu à somme nulle dans le meilleur des cas. Ils posent le problème en termes de compétition économique entre nations, où il y aurait des gagnants et des perdants. Paul Krugman dénonce cette idée reçue dans La mondialisation n'est pas coupable qu'il nomme la «théorie pop du commerce international», croisade anti-intellectuelle laissant de côté toutes les bonnes raisons d'échanger: avantages comparatifs, dotations factorielles, économies d'échelles, etc.

Si le commerce international est essentiel à la bonne santé d'une économie, il n'impacte que très relativement le niveau de vie des individus qui reste en grande partie déterminé par des facteurs internes – la productivité, la redistribution - et non par le résultat d'une compétition sur le marché international des biens et services.

Par exemple, la formidable augmentation de la productivité du travail au Japon, a entraîné une hausse des salaires japonais. Celle-ci n'a entraîné aucune modification à la baisse sur les salaires moyens européen ou américain. Si des pays gagnent au commerce international, cela ne signifie pas nécessairement que les autres seront perdants. Le niveau de vie des uns peut s'améliorer sans que celui des autres ne diminuent. Par exemple, on observe que l'augmentation du commerce international et des richesses produites depuis le début du XIXème siècle va de pair avec l'élévation du niveau de vie mondial.

Malgré tout, les inégalités entre plus riches et plus pauvres ont augmenté comme le souligne Joe Stiglitz dans La grande désillusion. Quelles réponses apporter aux dérives de la mondialisation pour qu’elle soit heureuse ?

Le problème n'est pas le commerce international mais la répartition des richesses créées au cours du processus de production. L'interdépendance commerciale des économies s’est accrue depuis la seconde guerre mondiale. Les exportations sont passées de 275 à 12 500 milliards de dollars par an entre 1950 et 2005.

Dans le même temps, les acquis sociaux et la protection sociale se sont accrus en France et plus globalement en Europe. Libre échange et droits sociaux sont donc compatibles, comme la période 1945-1975 le montre. La condition essentielle fut celle d'une croissance économique forte et d'un partage des richesses créées favorable aux travailleurs. A partir des années 1990, dans le même temps que la croissance ralentie, le partage de la valeur ajoutée redevient plus avantageux pour les propriétaires du capital au détriment des salariés. La part des salaires dans la valeur ajoutée a connu une forte baisse depuis 1980, passant de 75% de la VA à 65% en 2007. L’élément clé est donc la répartition des richesses.

Le problème n'est pas la mondialisation dans son ensemble mais principalement la libéralisation des marchés financiers accélérée depuis les années 1980. Le développement spectaculaire des marchés de capitaux a accru l'efficacité du financement de l’économie mais a alimenté l’instabilité des systèmes financiers. Les crises de change, de la dette et les risques systémiques ont été multipliés depuis dans les pays développés aussi bien que dans les pays émergents.

Les échanges sur les marchés financiers sont cinquante fois plus importants que les échanges sur les marchés de biens et services, ce qui montre bien leur déconnexion totale de l’économie réelle. Face à ce développement exponentiel des marchés financiers, les dispositifs prudentiels ont un temps de retard et ils n’ont à vrai dire jamais été un réel objectif ni des gouvernements ni même des opérateurs financiers. Ceux-ci sont mêmes souvent rémunérés sur les risques qu’ils prennent et n’ont pas à se soucier des conséquences sociales des crises dont ils ne supportent pas les coûts. Plutôt que démondialiser, il faut re-réglementer la finance mondiale, dans la concertation et la coordination, ce qui n’est pas une tâche simple.

Humaniser et démocratiser la mondialisation plutôt que la culpabiliser. Il ne s'agit pas de mettre moins de mondialisation, mais plutôt de proposer une autre mondialisation. Les hommes et les femmes politiques doivent, plutôt que céder au discours protectionniste, renouer avec le discours humaniste. Réguler l'économie en mettant l'Homme au centre des décisions économiques.

Face aux dérives du marché, il faut chercher à uniformiser les différents systèmes normatifs nationaux (lois, réglementations, droits), en plaçant comme principes universels, la dignité humaine et la justice sociale. Alain Supiot, juriste de formation, invite pour aller dans ce sens, à renouer avec L'esprit de Philadelphie faisant référence à la proclamation le 10 mai 1944 de la première Déclaration internationale des droits à vocation universelle.
Cette Déclaration mérite intérêt pour deux raisons. Elle offre d’abord une définition globale et compréhensible de la justice sociale: «Tous les êtres humains (…) ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité dans la sécurité économique et avec des chances égales» (art. IIa).

Elle fixe ensuite la réalisation de la justice sociale, ainsi définie, comme « le but central de toute politique nationale et internationale ». Instituant une règle à l'inverse du fonctionnement actuel de nos économies, dont nous ne devrions cesser de nous inspirer aujourd’hui: «Tous les programmes d'action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la mesure où ils apparaissent de nature à favoriser, et non à entraver, l'accomplissement de cet objectif fondamental» (art. II c).

10 commentaires:

Anonyme a dit…

http://blog.mondediplo.net/2011-06-13-Qui-a-peur-de-la-demondialisation

Anonyme a dit…

Et en quoi remettre des droits de douane et des contrôles pour les MARCHANDISES aux frontières, irait à l'encontre du machin de philadelphie ou des déclarations de 1944, haut faits de l'humanisme?
Depuis 20 ans, les seuls contrôles frontaliers existants, et vous en offusquez guère, sont ceux que subissent les sans papiers, ou les quelques containers suspectés d'importer des contrefaçons... les douaniers aux services des marges des grandes marques, qui produisent d'ailleurs largement à l'étranger. Augmenter les droits de douanes est un outil normal et utile d'une économie souveraine et souverainement menée par une nation et sa représentation politique. Ne pas utiliser les outils qui sont à notre portée si les choix politiques des peuples les imposent, revient donc à nier les droits politiques et démocratiques des peuples en question. Mais cela, il est vrai que de nombreux économistes en ont déjà fait la preuve: promulguer des interdits pour nier le droit de mettre en place d'autres choix économiques que ceux de l'orthodoxie libérale ( ou comme vous semblez le vouloir, reformer mais à la marge).
l'éclair ne viendra pas de l'économie comme science, ni des économistes, qui dans la majorité des noms connus, semblent avoir le même mode de fonctionnement que les "nouveaux philosophes". Ni nouveaux, dans leur expression vaguement réactionnaire, ni philosophes, pour n'avoir produit aucun concept vaillant, ils sont le bras vaguement armé d'une idéologie lamentable, frappant d'interdits tout ce qui ne se rsume pas à leur gloubiboulga de pensée.
Allez, encore un effort. Vous n'êtes pas obligé de finir comme un perroquet de la vulgate en cours.

Anonyme a dit…

Je dois dire que votre article est décevant. Tout remettre sur les marchés financiers et dire à la fin qu'il faut retrouver l'esprit des bons samaritains est d'une banalité énervante.

Vous feriez mieux de lire l'article de Laidi dans Le Monde ou bien celui du monde diplo cité plus haut pour vous faire une véritable idée de ce qu'est la démondialisation et de son danger intellectuel.

Matteo a dit…

Vous vous refusez à dire qu'il y a des perdants et des gagnants mais allez dire aux ouvriers de Siemens qu'il n'y a que des gagnants à la mondialisation et qu'ils doivent saisir les Nations Unies pour qu'on les reconnaisse comme victimes, ils vous rieront au clapet!

Anonyme a dit…

"avantages comparatifs, dotations factorielles, économies d'échelles,"

dumping social, protectionnisme inavoué, productivisme inepte


le tout censé retrouver l'harmonie après "uniformisation des systèmes normatifs nationaux"
mais comment et par qui?
à la sauce Lisbonne par le G-20?
à la sauce Athènes par les gaz lacrymos?

Anonyme a dit…

Une très bonne dissert de terminale ES.
argumentée, naïve et partiale.

Eros a dit…

Vous êtes passé à côté du sujet à mon goût...

UMPiste a dit…

Le discours sur la démondialisation à gauche comme à droite ne va pas plus loin que la meilleure protection d'emplois attaqués par le commerce international et à moins que chacun s'aligne sur une législation pro-française, il faudra taxer les délocalisations...mais vous n'en parlez pas! Dommage

Vincent L. a dit…

Vu les commentaires, je vais précisé rapidement mon propos.

1/ problème de sémantique: Pourquoi mettre en cause la mondialisation si ce que l'on souhaite dénoncer c'est le néo-libéralisme?
2/ Les défenseurs de la "démondialisation" font un bon diagnostic de la situation mais ne revendiquent pas les bonnes solutions. (taxer les importations, sortir de l'euro...)
3/ Le vrai problème dans la mondialisation est: la redistribution des richesses produites et l'instabilité des marchés financiers
4/ démondialiser= augmenter les prix des produits, aller dire aux consommateurs que les ordinateurs, les smartphones, les écrans plats, les machines à laver, les laves-vaisselle etc... ne seront plus accessible au plus grand nombre car coûteront trop cher?
5/ il faut démocratiser la mondialisation

6/ pour compléter, en réponse quelques liens à lire:

"La démondialisation: un concept superficiel et simpliste" (ATTAC) http://www.france.attac.org/articles/la-demondialisation-un-concept-superficiel-et-simpliste

"l'esprit de philadelphie" La justice sociale face au marché totale(AlainSupiot) http://www.journaldumauss.net/spip.php?article636

Anonyme a dit…

La mondialisation (depuis les années 80) est responsable partout dans le monde
- De la dérèglementation des échanges
- D’une montée en puissance des groupes industriels et financiers qui peuvent désormais exercer des pressions sur les états
- De l’influence croissante des lobbys
- De la remise en cause de la consultation des citoyens pour les orientations économiques.
- D’un affaiblissement de l’autorité des instances politiques qui ne seront plus en mesure de « démocratiser la mondialisation ».
- D’un regain d’avantages pour ceux qui savent se mettre « à l’abri » des contraintes fiscales et sociales. C’est la mission première des gestionnaires aujourd’hui.
- De regroupements excessifs des pôles industriels et commerciaux, laissant des grandes régions sans emplois. Et c’est ce dernier point qui me semble le plus important car l’intérêt d’une politique globale est d’aller vers l’harmonisation.

Comment comme vous le dites, placer comme but centrale la justice sociale, sans mettre au premier plan la défense de l’emploi ? Cette justice sociale n’est pas qu’une affaire de répartition des richesses, mais également de répartition des emplois.
Il ne faut pas voir dans l’ajout de droit de douane une hostilité envers les autres nations (la réciprocité s'apliquant d'ailleurs) mais simplement une politique visant à éviter des déséquilibres entre les bénéfices liés à l’activité, et l’emploi.
Le rôle économique de ces taxes est de pousser les entreprises à être présentes et à produire directement sur tous les marchés qu’elles convoitent. A la différence d’un point de vu nationaliste, les entreprises étrangères sont dans cette optique toujours les bienvenues.

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