
La mondialisation, mot utilisé le plus souvent dans le but de servir de cache-sexe à l'idéologie néolibérale, correspond au processus d'intensification des échanges économiques et culturels dans le monde. Elle prend trois formes : le développement du commerce international, l'internationalisation des processus productifs, la globalisation financière.
La « démondialisation », le nouveau mot à la mode dans les médias (et certains politiques) français, pointe les dérives du néolibéralisme. Si l’on s'intéresse, d'un point de vue strictement étymologique à ce mot, il semble inviter à réduire le degré d’ouverture de nos économies nationales. Depuis la crise de 2007-2008, le discours démondialiste, pour ne pas dire nationaliste, prend de l’ampleur dans le débat public. Comme dans toutes les périodes de crise économique, le repli nationaliste et le recours au protectionnisme sont des tentations fortes. Mais ces tentations sont-elles légitimes au regard des gains de la mondialisation?
La démondialisation vient dénoncer la pression des économies extérieures sur notre économie nationale, et plus particulièrement sur le niveau de vie des français. De nombreuses inepties sont avancées par les défenseurs d'un repli nationaliste, allant jusqu'à dire que les travailleurs immigrés exercent une pression la baisse sur les salaires des français, ce qui est très discutable. Ainsi, la démondialisation n’est pas seulement la fermeture des marchés des biens et services mais également la chasse aux travailleurs étrangers.
Le repli protectionniste dans l'histoire n'a jamais été un succès. L'exemple le plus utilisé concerne la crise économique de 1929, le fameux « Jeudi Noir ». De nombreux Etats cédèrent aux tentations protectionnistes - hausses des droits de douane, contingentement et prohibition de certains produits, dévaluations monétaires - faisant chuter de près de 40% le volume des échanges internationaux entre 1929 et 1932. Ces mesures eurent pour effet principalement de retarder la sortie de crise.
L’histoire économique regorge d’exemples de ce type. Colbert, ministre des finances de Louis XIV, pur défenseur du « patriotisme économique », décide en 1667 de doubler les taxes sur les produits anglais et hollandais. Une telle politique eu des conséquences négatives. Colbert pensait pouvoir se passait des autres pays mais au final ce sont surtout les autres pays qui ont décidé de se passer de lui. Les mesures protectionnistes s'accompagnent le plus souvent d'une certaine réciprocité en la matière. Par exemple, les Anglais, qui étaient à cette période des grands importateurs de toiles bretonnes, n'hésitèrent pas à se tourner vers d'autres contrées. Les Français et les Hollandais se livrèrent une bataille sur les tarifs douaniers de l'alcool et de la soie qui amena cette fois à un véritable conflit armé de 1672 à 1678.
Les défenseurs de la « démondialisation » envisagent de manière erronée le commerce international comme un jeu à somme nulle dans le meilleur des cas. Ils posent le problème en termes de compétition économique entre nations, où il y aurait des gagnants et des perdants. Paul Krugman dénonce cette idée reçue dans La mondialisation n'est pas coupable qu'il nomme la «théorie pop du commerce international», croisade anti-intellectuelle laissant de côté toutes les bonnes raisons d'échanger: avantages comparatifs, dotations factorielles, économies d'échelles, etc.
Si le commerce international est essentiel à la bonne santé d'une économie, il n'impacte que très relativement le niveau de vie des individus qui reste en grande partie déterminé par des facteurs internes – la productivité, la redistribution - et non par le résultat d'une compétition sur le marché international des biens et services.
Par exemple, la formidable augmentation de la productivité du travail au Japon, a entraîné une hausse des salaires japonais. Celle-ci n'a entraîné aucune modification à la baisse sur les salaires moyens européen ou américain. Si des pays gagnent au commerce international, cela ne signifie pas nécessairement que les autres seront perdants. Le niveau de vie des uns peut s'améliorer sans que celui des autres ne diminuent. Par exemple, on observe que l'augmentation du commerce international et des richesses produites depuis le début du XIXème siècle va de pair avec l'élévation du niveau de vie mondial.
Malgré tout, les inégalités entre plus riches et plus pauvres ont augmenté comme le souligne Joe Stiglitz dans La grande désillusion. Quelles réponses apporter aux dérives de la mondialisation pour qu’elle soit heureuse ?
Le problème n'est pas le commerce international mais la répartition des richesses créées au cours du processus de production. L'interdépendance commerciale des économies s’est accrue depuis la seconde guerre mondiale. Les exportations sont passées de 275 à 12 500 milliards de dollars par an entre 1950 et 2005.
Dans le même temps, les acquis sociaux et la protection sociale se sont accrus en France et plus globalement en Europe. Libre échange et droits sociaux sont donc compatibles, comme la période 1945-1975 le montre. La condition essentielle fut celle d'une croissance économique forte et d'un partage des richesses créées favorable aux travailleurs. A partir des années 1990, dans le même temps que la croissance ralentie, le partage de la valeur ajoutée redevient plus avantageux pour les propriétaires du capital au détriment des salariés. La part des salaires dans la valeur ajoutée a connu une forte baisse depuis 1980, passant de 75% de la VA à 65% en 2007. L’élément clé est donc la répartition des richesses.
Le problème n'est pas la mondialisation dans son ensemble mais principalement la libéralisation des marchés financiers accélérée depuis les années 1980. Le développement spectaculaire des marchés de capitaux a accru l'efficacité du financement de l’économie mais a alimenté l’instabilité des systèmes financiers. Les crises de change, de la dette et les risques systémiques ont été multipliés depuis dans les pays développés aussi bien que dans les pays émergents.
Les échanges sur les marchés financiers sont cinquante fois plus importants que les échanges sur les marchés de biens et services, ce qui montre bien leur déconnexion totale de l’économie réelle. Face à ce développement exponentiel des marchés financiers, les dispositifs prudentiels ont un temps de retard et ils n’ont à vrai dire jamais été un réel objectif ni des gouvernements ni même des opérateurs financiers. Ceux-ci sont mêmes souvent rémunérés sur les risques qu’ils prennent et n’ont pas à se soucier des conséquences sociales des crises dont ils ne supportent pas les coûts. Plutôt que démondialiser, il faut re-réglementer la finance mondiale, dans la concertation et la coordination, ce qui n’est pas une tâche simple.
Humaniser et démocratiser la mondialisation plutôt que la culpabiliser. Il ne s'agit pas de mettre moins de mondialisation, mais plutôt de proposer une autre mondialisation. Les hommes et les femmes politiques doivent, plutôt que céder au discours protectionniste, renouer avec le discours humaniste. Réguler l'économie en mettant l'Homme au centre des décisions économiques.
Face aux dérives du marché, il faut chercher à uniformiser les différents systèmes normatifs nationaux (lois, réglementations, droits), en plaçant comme principes universels, la dignité humaine et la justice sociale. Alain Supiot, juriste de formation, invite pour aller dans ce sens, à renouer avec L'esprit de Philadelphie faisant référence à la proclamation le 10 mai 1944 de la première Déclaration internationale des droits à vocation universelle.
Cette Déclaration mérite intérêt pour deux raisons. Elle offre d’abord une définition globale et compréhensible de la justice sociale: «Tous les êtres humains (…) ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité dans la sécurité économique et avec des chances égales» (art. IIa).
Elle fixe ensuite la réalisation de la justice sociale, ainsi définie, comme « le but central de toute politique nationale et internationale ». Instituant une règle à l'inverse du fonctionnement actuel de nos économies, dont nous ne devrions cesser de nous inspirer aujourd’hui: «Tous les programmes d'action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la mesure où ils apparaissent de nature à favoriser, et non à entraver, l'accomplissement de cet objectif fondamental» (art. II c).