« Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté », René Char, Fureur et mystère (1948).
La beauté n’est pas une notion facile à aborder. D’abord, parce qu’elle a plusieurs acceptions : elle est interne et externe – pour les philosophes de l’Antiquité, la beauté externe doit être le reflet de la beauté interne - et doit prendre en compte les attitudes et les artifices. Ensuite, parce qu’elle est relative : la définition du beau n’est pas la même selon les personnes, les zones géographiques, les cultures, et les époques. Enfin, parce qu’elle est un facteur d’inégalités et de discriminations. Distribuée de manière inégale, les propriétés corporelles sont en plus perpétuées dans les habitudes et des préférences qui peuvent renforcent ces inégalités, comme le note Bourdieu dans « La distinction » (1979). Le risque d’obésité en France est par exemple quatre fois plus grand pour une femme ouvrière que pour une cadre.
Les inégalités d’apparence entraînent des discriminations, source de coûts économiques. C’est particulièrement vrai pour les femmes : le machisme ambiant des classes intellectuelles ne leur reconnaît que la beauté externe pendant des siècles. « La sorcière » (1862) de Michelet en témoigne bien : la sorcière est une femme – plutôt vieille fille et de piètre apparence – qui décide se révolter contre la société. Encore aujourd’hui, l’apparence semble plus essentielle pour les femmes que pour les hommes. Mais peut-on le vérifier statistiquement ?
A partir d’un sondage réalisé auprès de plus de 2500 personnes sur l’apparence d’une cohorte de milliers de femmes et d’hommes actifs observés sur plusieurs années, Biddle et Hamermesh (1994, 1998) tentent d’évaluer l’impact de l’apparence sur l’accès au marché du travail en Amérique du Nord. Ils trouvent qu’en moyenne, la beauté est positivement corrélée au salaire et que la pénalité liée à une apparence jugée peu attirante - environ 10% de revenus en moins - est plus importante que le bonus lié à la beauté – environ 5% de revenus en plus. De plus, les discriminations salariales s’accroissent avec l’expérience: sans doute le sentiment de beauté rend-il les individus plus productifs. L’impact global est le même selon le genre mais a des conséquences différentes : une femme peu attirante a une plus grande probabilité d’être exclue du marché du travail tandis qu’un homme peu attirant sera victime d’une discrimination salariale plus forte. Il y a par ailleurs des effets d’auto-sélection visibles des individus dans le choix du secteur dans lequel ils vont travailler.
Probablement conscientes des avantages que l’apparence peut apporter à leurs élèves, les grandes écoles françaises ont parfaitement intégré ce facteur à leur cursus: cours d’expression orale, simulations d’entretiens, salons de rencontres avec des professionnels, divers ateliers professionnalisant, attitudes professionnelles requises, etc. « Être et paraître » en quelques sortes.
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1 commentaire:
Pour ceux que ca interesse : "Why Beauty Matters" de Mobius et Rosenblat dans l'American Economic Review (2006).
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