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Quelques réflexions sur la crise financière

jeudi 15 septembre 2011




La panique gagne les bourses de la zone euro qui ont perdu respectivement , depuis mi-juin 2011, 20 % pour l’Espagne, 22 % pour la France, 26 % pour l’Allemagne et 30 % pour l’Italie. Elle s’explique par les craintes concernant la solvabilité de la Grèce, dont les mesures d’austérité tardent à produire leurs effets, et par l’exposition de plusieurs banques françaises à la dette grecque, laquelle a conduit à la dégradation de deux d’entre elles par l’agence Moody’s le 14 septembre 2011. Devant ce chaos financier annoncé, voici quelques réflexions sur la crise que connaît l’Europe aujourd’hui.

Faut-il blâmer la Grèce pour la crise actuelle ?

La situation financière de la Grèce est grave : le pays ne parait plus en mesure de faire face à ses engagements financiers. Les mesures d’austérité ne produisent pas leurs effets, faute d’une administration fiscale performante et du temps nécessaire pour leur mise en œuvre. Faut-il blâmer la Grèce pour la crise financière actuelle ? Le pays est en effet fortement endetté (300 milliards € soit 120 % de son PIB) et surtout, il est coupable d’avoir  menti sur son niveau de déficit et d’endettement depuis le début des années 2000.

Il convient toutefois de souligner que la Grèce ne représente que 3 % du PIB de la zone euro. La faillite grecque ne peut pas à elle seule provoquer l’effondrement du système financier de la zone. Surtout, on peut s’interroger sur le rôle des banques dans la crise actuelle. Celles-ci ont en effet prêté de l’argent à la Grèce (achats de bons du trésor) à des taux d’intérêt extrêmement faibles après l’entrée de la Grèce dans la zone euro. Si la Grèce peut être blâmée pour avoir menti sur la réalité de son endettement, les banques n’ont-elles pas pris des risques inconsidérés en prêtant de l’argent à un taux d’intérêt égal à celui de la France et de l’Allemagne alors que le pays n’avait pas atteint le niveau de richesse des deux pays fondateurs de l’UE ?

L’exposition de banques à la dette grecque, notamment françaises, est la conséquence d’une stratégie qui s’avère aujourd’hui erronée : la croyance en la croissance économique grecque. La diminution de la valeur boursière des banques françaises ne fait donc que sanctionner une stratégie hasardeuse, tout comme la dégradation de la note financière de deux d’entre elles par l’agence Moody’s prend acte des risques pris par ces établissements. Leurs analyses de la situation financière et économique grecque étaient en fait inexactes : les profits anticipés ne seront pas réalisés. Il est alors normal que le cours des actions de ces banques diminue.

La sur- réaction des marchés renforce la crise actuelle

Toutefois, l’exposition au risque grec justifie-t-elle que la valeur des actions des grandes banques françaises ait perdu plus 50 % en trois mois ? Il semble que l’on soit plutôt confronté à une sur- réaction des marchés financiers qui anticipent le pire c’est-à-dire la faillite de la Grèce. C’est parce que les marchés anticipent l’insolvabilité de la Grèce que les banques françaises, exposées au risque, sont aujourd’hui dans la tourmente ; mais si le risque est possible, il n’est pas certain. Surtout, la réalisation d’un tel risque ne devrait pas avoir de conséquence systémique pour le marché financier en raison du caractère limité du stock de dette grecque (300 milliards d’euros) en comparaison des stocks français (1 600 milliards de d’euros), italien (1 850 milliards €) ou allemands (2 100 milliards €).

Un parallèle avec les crises de la dette des pays en développement ?

Un parallèle peut être établi entre la crise de la dette grecque et les crises de la dette qu’on connues les des pays en développement dans les années 1980. Tout comme la Grèce, les pays d'Afrique et d'Amérique latine souhaitaient emprunter pour investir. Les investisseurs - notamment les banques- ont estimé que les investissements seraient rentables à moyen terme et que les pays étaient capables de les rembourser. Surtout, ils recherchaient de nouvelles zones d’investissement alors que la crise consécutive au premier choc pétrolier affectait l’Europe et les Etats-Unis.

La remontée des taux d’intérêt au début des années 1980 a toutefois empêché les pays endettés de rembourser leurs dettes : les investissements ont été gelés et certains ont été moins rentables que prévu. Pour les prêteurs, cela a constitué une perte préjudiciable pour leurs profits mais toute décision économique implique un risque qu’il convient d’assumer. Pour les pays emprunteurs, la remontée des taux d'intérêt a conduit à un surendettement. Dans le cas de la Grèce comme dans celui des pays en développement, les prêteurs se sont trompés sur les perspectives de croissance, sur les rendements futurs des investissements et sur la capacité de remboursement des pays emprunteurs : il s’agit d’une erreur d’analyse de prêteurs soucieux de dégager des profits. Les banques sont donc aussi responsables de la crise de la dette que les Etats et doivent alors être sanctionnés par des pertes.

Le paradoxe des banques : des entreprises privés au service d’un intérêt commun

La difficulté réside dans le fait que les banques constituent des acteurs particuliers de l’économie. En tant qu’entreprises financières, elles visent à générer des profits à destination de leurs actionnaires comme toute entreprise privée ; mais elles assurent en même temps la liquidité des marchés financiers en achetant obligations d’Etat, obligations d’entreprises, actions mais aussi devises et en échangeant des titres. Cette liquidité est essentielle au bon fonctionnement de l’économie puisqu’elle favorise les transactions, les prêts, la circulation des capitaux et donc la croissance, et parce qu’elle répartit les risques d’un acteur financier sur l’ensemble des agents. C'est parce que les banques assurent une telle fonction que leur faillite est rarement envisagée par les pouvoirs publics: celle-ci peut en effet provoquer des troubles systémiques comme l'a prouvé la faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008.

Aujourd’hui, la perte de confiance des banques entre elles dans le contexte de la crise de la dette grecque est telle qu’elle remet en question leur rôle dans le système financier puisqu’elles n’assurent plus la liquidité du système : elles refusent en effet de s’échanger titres et argents. Or cette liquidité peut s’analyser comme un service public puisque de lui dépend la stabilité financière des économies.

Il est paradoxal que cette fonction de stabilisation du système financier soit laissée à des acteurs privés dont le comportement est dicté par leurs propres intérêts et non par l’intérêt général. Aujourd’hui les banques, en tant qu’entreprises, n’ont plus intérêt à se prêter de l’argent ni à acheter de la dette parce qu’elles pensent que de tels prêts n’amélioreront pas leur rentabilité. Au contraire,  les Etats ont aujourd’hui intérêt à ce qu’elles continuent à prêter pour assurer la liquidité du système financier et financer des plans de relance, la récession qui s’annonce ne faisant qu’amplifier la crise de la dette.

C’est la préférence des banques pour leur intérêt privé, au détriment de l’intérêt commun que représentent la liquidité des marchés financiers et la relance en temps de crise, qu’il convient de combattre. En outre le double-jeu des banques, qui consiste à encourager l’endettement des Etats pour acheter des produits financiers sans risques- les Etats sont réputés ne pas pouvoir faire faillite- mais à sanctionner aussitôt un Etat, par l’augmentation des taux d’intérêt, lorsque celui-ci est endetté, doit être dénoncé.

Quelles solutions pour sortir de la crise financière ?

La sortie de la zone euro est une fausse bonne idée

La sortie de la Grèce de l’euro ne constitue pas une solution puisque cela aggraverait le problème de la dette pour les Grecs et pour les banques auprès desquelles elle a emprunté. Elle aurait d’autres implications comme une baisse du pouvoir d’achat pour les Grecs et une crise de confiance dans la monnaie unique.

La restructuration de la dette grecque apparaît nécessaire

La sortie de crise vient surtout d’une restructuration de la dette grecque ce qui signifie l’abandon de créances. Le stock de dette n’est pas tel que le système financier européen risquerait de s’effondrer. Les banques exposées subiraient certes des pertes nettes, estimées à 8 milliards d'euros, mais celles-ci pourraient être compensés par d’autres profits. Rappelons que la perte de 5 milliards d’euros par la Société Générale en 2008 ne l’a pas empêché de réaliser des bénéfices.

La régulation des banques est un impératif catégorique

Pour envisager la fin de la crise, il convient de réguler davantage le secteur bancaire pour  contraindre les banques à continuer à prêter en temps de crises. Il est possible qu’une régulation réduise les profits des banques en période de prospérité, mais cela limiterait aussi la récession en période de crise : elles se verraient en effet imposer l’obligation de continuer à échanger des titres pour assurer ainsi la liquidité et la stabilité du système financer. Puisque l’actuelle liberté des banques a conduit à une crise aussi grave que celle que nous connaissons aujourd’hui, peut-être serait-il plus prudent de réguler davantage le secteur bancaire pour éviter une crise systémique et des crises futures ? Par ailleurs, l’imposition de règles aux banques peut apparaître comme une juste contre- partie aux énormes profits qu’elles ont réalisés en période de croissance et qui ne sont utilisés qu’à des fins privés.

Leur nationalisation partielle ou totale ne doit pas être éludée puisque un secteur bancaire public permet aux Etats de contrôler directement le crédit à accorder aux entreprises, aux banques et aux ménages.

La BCE doit prendre la mesure de la crise

Les banques centrales ont un rôle à jouer dans la crise puisqu’en tant que prêteur en dernier ressort, elles sont chargées d’assurer la liquidité du système financier après les banques. Puisque celles-ci ne remplissent plus ce rôle, il serait temps que les banques centrales interviennent de façon massive pour racheter les titres des banques et monétiser la dette des Etats. A ce titre, la BCE semble en retrait par rapport à la réserve fédérale américaine puisqu’elle n'a racheté que 100 milliards d’euros de dette contre plus de 1 000 milliards de dollars pour la FED.

Les eurobonds : une idée séduisante qui arrive trop tard

Face à crise de la dette grecque, l’idée d’émettre des eurobonds, obligation européenne, séduit de plus en plus. Avec une dette nulle, l’UE est en effet capable d’emprunter à un faible coût sur les marchés financiers à condition de modifier le traité de Lisbonne : cela permettra à des pays comme la Grèce, confronté à une envolée des taux d’intérêt (18 % à 10 ans selon The economist) par rapport à l’Allemagne (2,20 %) et à la France (2,90 %) de rembourser ses intérêts à un coût moins élevé.

Si l’émission d’eurobonds semble une nécessité, on ne peut que regretter qu’il ait fallu attendre la crise financière actuelle pour que des acteurs politiques et financiers se rallient à cette proposition qui implique l’endettement de l’UE en tant qu’institution. Depuis de nombreuses années en effet, les partisans d’une Europe fédérale ont toujours soutenu l’idée d’une augmentation du budget de l’UE (aujourd’hui limité à 1 % du PIB des pays de l’UE), la création d’un véritable budget fédéral ou, au moins, la possibilité pour l’UE de s’endetter pour de grands projets servant à assurer la croissance des pays les moins riches de la zone euro. L’émission d’eurobonds  sera utile pour aider les Etats confrontés à une crise de la dette mais ne servira malheureusement pas à financer les projets d’envergure dont l’Europe a besoin.

4 commentaires:

lejournaldepersonne a dit…

Beurre et confiture...

Je déclare la guerre aux considérations vulgaires : la crise boursière... les souris dans la souricière...et les hommes libres dans les fers...
Je dis qu'il n'est plus question de se laisser faire
Il y a un temps pour tout... il est temps d'être sévère!
J'exagère ?
Ça me rassure... j'aime quand je passe la mesure !

http://www.lejournaldepersonne.com/2011/09/beurre-et-confiture/

Anonyme a dit…

le risque de credit crunch que vous évoquez ne se matérialise absolument pas : http://www.banque-france.fr/fr/statistiques/economie/economie-entreprises/credit-type-entreprise.htm

En outre, reprocher aux banques à la fois de prendre des risques inconsidérés et de se montrer frileuses quant aux octrois de prêts est paradoxal, dans la mesure où le risque de crédit (et non le risque de marché) constitue l'essentiel de leur exposition au risque. Quant à la nationalisation, l'Etat actionnaire s'est globalement révélé un bien mauvais juge de ce qui était digne de prêt et de ce qui ne l'était pas (ici comme ailleurs, des aventures du Crédit Lyonnais aux créances foncières qu'on a aimablement prié les banques chinoises de fournir). Il n'y a aucun intérêt général à ce qu'une entreprise sans avenir ou un ménage insolvable se voient prêter de l'argent ; et encore une fois, le financement bancaire, en France, ne manque pas.

L'analyse des fluctuations sévères subies par les banques sur leurs valorisations de marché est également à côté du sujet : les marchés ont depuis bien longtemps intégré l'hypothèse d'un risque de défaut grec. Un provisionnement à 100% des encours souverains grecs (hypothèse hautement improbable) ne serait catastrophique pour aucune des trois grandes banques françaises ; compte-tenu de leurs estimations de résultat pour l'exercice, elles n'auraient même pas à puiser dans leurs capitaux propres pour financer la perte comptable. En revanche, les marchés s'inquiètent de leur capitalisation (à tort ; les américains, qui eux-mêmes n'ont jamais daigné se contraindre aux règles prudentielles Bâle II, appréhendent très mal les bilans des banques européennes, notamment du fait des différences techniques entre les référentiels comptables américains et internationaux). Ils s'inquiètent également de leur liquidité, et il s'agit là d'un vrai sujet (en grande partie sur le funding en USD, en raison toujours du scepticisme des américains) ; les annonces de la BCE, qui a clairement manifesté l'intention d'assurer la liquidité des banques en se substituant, si nécessaire, au marché interbancaire de court terme (y compris en USD), devraient néanmoins calmer tout le monde.

Enfin, votre paragraphe sur les "Eurobonds" laisse songeur : ces obligations seraient un remède à tout, puisqu'ils seraient les emprunts d'une Europe dont la "dette est nulle" ?... La dette de l'Union Européenne est égale à la somme des dettes des Etats-membres. L'Union en tant que telle n'a pas le pouvoir de lever l'impôt ; tout juste se voit elle "garantie" (et encore cele reste-t-il bien fragile) de disposer de ressources propres égales à 1% de son PIB. Un taux appliqué aux "Eurobonds" serait donc une sorte de moyenne pondérée des taux appliqués aux Etats membres ; l'Allemagne paierait ainsi ce financement nécessairement plus cher que ses obligations propres (la France, vraisemblablement, aussi). Les pays AAA n'ont donc aucune incitation à troquer leur financement actuel, quitte à "mettre au pot" à des taux supérieurs dans le FESF, contre un financement européen qui ne verra probablement pas le jour.

Stakhanov a dit…

Bonjour.
Merci pour la richesse de votre commentaire: vous devriez écrire des articles si vous ne le faites pas déjà!

A propos des banques, je dis simplement qu'un défaut de paiement grec n'entrainera pas la faillite des banques françaises exposées au risque puisqu'elles ont largement les moyens de compenser ces pertes. C'est ce que vous dites aussi. Je pense cependant que les banques sont responsables de leur exposition à la dette grecque en raison des risques qu'elles acceptent de courir.
Vu les conséquences des faillites des banques sur le système financier, je regrette que les banques n'obéissent qu'à leur intérêt privé alors que la stabilité du système financier relève de l'intérêt général. Dans le domaine financier, la poursuite d'un intérêt privé ne semble pas conduire spontanément à l'équilibre et à la stabilité, raison pour laquelle il faut imposer des règles aux acteurs économiques particuliers que sont les banques.

S'agissant des nationalisation, il est vrai que le bilan est contesté mais il me semble que l'on a nationalisé en 1981-1982 des entreprises proches de la faillite: donc le bilan n'est pas si mauvais.

Je note votre avis sur les fluctuations du cours des actions des banques: la crise grecque n'a donc rien à faire dans les baisses des derniers jours?

Sur les eurobonds, je maintiens que l'UE "en tant qu'institution" n'est pas endettée. vous parlez de l'Europe, pas de l'UE. Vous dites que le taux des eurobonds sera une moyenne pondérée mais en êtes-vous certain? Lorsque l'euro a été introduit, je ne crois pas que ni l'Allemagne, ni la France n'aient payé leurs dettes plus cher: j'ai plutôt l'impression que ce sont des pays comme la Grèce ou l'Espagne ont pu s'endetter à moindre coût. par ailleurs, quand bien même le taux des eurobonds serait le taux pondéré des taux des Etats-membres, l'Allemagne paierait-elle vraiment davantage? On peut aussi penser que le taux allemand sera le taux de référence des eurobonds. je vous rappelle, mais vous le savez, que la Grèce ne représente que 3 % du PIB de la zone euro: son actuel taux d'intérêt n'aura qu'un impact marginal sur la définition du taux des eurobonds(3 % de son montant).

Bon week-end.

zahir fares a dit…

passionnant article
excellente analyse

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